Emprise française en Afrique: « Est-ce le commencement de la fin ? », s’interroge Maryse Quashie

L’Afrique est-elle en train de se débarrasser de l’emprise française ? C’est la question que se posent que se posent Maryse Quashie et Roger Folikoue, dans leur chronique hebdomadaire « Cité au quotidien », évoquant les cas malien et gabonais. Bonne lecture.

CITE AU QUOTIDIEN : Le commencement de la fin

« Puisque  vous  persistez  à  conserver  à  la  tête  de  votre  pays  un  gouvernement  militaire  et bien  nous  ne  vous  aiderons  plus  à  chasser  les  djihadistes! »  Tel  est, traduit en langage ordinaire, le discours du président français  adressé aux Maliens après le second coup d’état du Colonel Assimi  GOÏTA.  Cela  ressemble à ce qu’on appelle officiellement des sanctions légitimes pour un  comportement  répréhensible  aux  yeux  d’une  certaine  communauté internationale, mais, à  nos  oreilles  cela  a  sonné  comme  un  chantage  difficile  à  supporter. Le lendemain, cela a été encore plus difficile à vivre lorsque les hommes politiques maliens ont fait profil bas en essayant de rassurer le pouvoir  français  sur  les  intentions  du nouveau gouvernement malien.

Cependant  tout  bien  réfléchi,  avec les  développements  ultérieurs,  on  peut  se  demander qui  a  vraiment  montré  sa  force  dans  toute  cette  affaire.  En effet, quoi qu’il en soit, le président de la transition le Colonel Assimi GOÏTA reste à la tête du gouvernement malien; la France remet en question la forme de sa présence au Mali, et la CEDEAO, en quelque sorte mise devant le fait accompli, ne proteste presque plus contre ce second coup d’état comme elle l’avait fait au moment du premier en août 2020. Alors puisque le peuple malien ne s’est soulevé, ni contre le nouveau gouvernement mis en place, ni pour que la présence française se poursuive sans changement, n’est-ce pas lui qui est sorti vainqueur de cette affaire ? On n’a pas réussi à lui imposer ce dont apparemment il ne voulait pas.

Dans le même temps, on annonce que le Gabon va rejoindre le Commonwealth. N’est-ce pas une  sorte  de  camouflet  donné à la sacro-sainte francophonie, surtout de la part d’un pays toujours si fidèle à ses amitiés françaises? 

Cependant, l’interrogation  posée  par  ces   événement s’est   celle-ci: annoncent-ils une nouvelle ère pour les Africains des anciennes colonies françaises, le commencement de la fin des souffrances? Ce n’est pas sûr. En effet les troupes françaises qui vont quitter le Mali ne  vont-elles  pas  être redéployées  dans  un  autre  pays,  le  Tchad  et  peut-être  même  le Gabon,  des  pays où  il  y  a  des  bases  militaires  françaises? N’est-ce  pas  ainsi  que  le  Togo  a accueilli des militaires français durant le conflit ivoirien il y a une dizaine d’années?

Et tant que les Africains restent plutôt impuissants et silencieux dans le cas du coup d’état au Tchad, il est clair que les  beaux principes émis dans les textes restent tout à fait formels face au jeu des intérêts de l’ancienne puissance coloniale en Afrique francophone.

Ces  intérêts on  tentera au  fond de  les sauvegarder puisqu’ils  sont  liés  à  ceux  de  certains Africains. Et  pour  ce  qui  est  du  cas  du  Gabon,  le rapprochement  avec  le  Rwanda  devenu anglophone et cependant courtisé par la France, montre que la Francophonie ne peut pas être affaiblie à cause du semblant de défection d’un seul de ses membres.  Pourtant, de la même façon qu’aujourd’hui il n’est plus question de parler  de  colonies  en Afrique, de  la  même  façon  que  le  Discours  de  la  Baule  en  faveur  d’une  certaine démocratisation  a  été formulé  grâce  à la pression des  mouvements sociaux exprimant  les aspirations  des  peuples  africains  à  plus  de  liberté,  la  France  doit  prendre  de  nouvelles précautions dans l’expression de ses rapports avec ses anciennes colonies: elle ne doit plus avoir l’air de leur donner directement des ordres, son langage doit dire que ce sont des Etats souverains,  des  partenaires  à  part  égale. L’humiliation sera certainement moins grande, lorsque des précautions même de forme seront prises pour s’adresser à nous.

Cela ne  doit  pas  pour  autant nous  amener  à  nous  réjouir  inconsidérément.  En  effet  les intérêts de la communauté internationale en Afrique  sont si importants qu’il ne s’agira très certainement que d’un changement de surface. Comme on est passé du colonialisme au néocolonialisme sans qu’au fond rien ne change pour les populations qui souffrent toujours, de nouvelles stratégies sont en train d’être affûtées pour maintenir le continent sous la coupe de ceux qu’ils empêchent de respirer depuis si longtemps.

Construire véritablement un  monde  de  paix  et désirer honnêtement une  paix  durable  ne peut pas se faire dans le mépris mais au contraire dans la reconnaissance de chaque individu et  de  chaque  Etat. Un renversement de logique et de paradigme s’impose. Passer  de  la société  de  mépris  à  la  société  de  la reconnaissance, comme l’indique Axel Honneth doit être   une   des   règles   du   multilatéralisme   vrai et   légitime,   celui   au   nom   duquel   les Occidentaux n’avaient d’ailleurs pas apprécié les décisions et comportements de l’ancien président américain Donald TRUMP.

Nous  le  savons  bien  dans  notre  pays,  on  ne  doit  pas  se  faire  d’illusions  sur  les métamorphoses de ceux qui veulent rester au pouvoir. En 2005, les Togolais ont cru qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour eux. Oui, superficiellement. Le style semble avoir changé, mais la limitation des  libertés  semble toujours être à l’ordre du jour et  le  partage  équitable  des richesses du pays est toujours problématique car les richesses ne profitent en effet qu’à une minorité. Vouloir vivre tous ensemble dans le bonheur partagé est-il vraiment irréaliste et irréalisable?

Pour en revenir à l’ensemble du continent africain, il ne faut pas que nous croyions qu’un simple  changement  de  partenaire  constitue  la  solution  miracle  pour  nous.  Les  contrats seront-ils plus justes? Certainement pas car ces nouveaux partenaires ne vont pas établir des liens avec nous par philanthropie. C’est ainsi que nos paysans sont déjà dépossédés de leurs  terres  car  de  larges  espaces  agricoles,  des  pans  de  forêt sont  vendus  par  milliers d’hectares à des partenaires Chinois ou Indiens. En effet, ce ne sont pas que nos ressources minières  qui  sont  intéressantes,  nos  ressources  agricoles  aussi! Mais qu’en est-il de nous-mêmes, et des générations futures? Les pays africains ne doivent-ils pas être plus exigeants dans la signature de ces nouveaux partenariats? 

Alors,  autant  que  ceux qui n’ont aucune pitié des paysans qu’ils chassent de la terre de leurs  ancêtres,  des  populations  qui  crèvent  de  faim  pendant que d’autres exploitent sur leurs  terres  des  mines  dont  ils  tirent  des  millions  de  dollars, autant qu’ils affinent  leurs stratégies,  autant  ceux  qui  sont  du  côté  des  peuples  africains  doivent se  munir  de nouvelles tactiques pour faire face aux nouvelles situations.

La première tactique consiste à examiner avec soin le dispositif mis en place par ceux qui ont pour but d’appauvrir nos concitoyens. Il reste toujours des interstices dans ce type de dispositif permettant de le miner. Pensons à ce qui restait du Rwanda après le génocide de 1994. Malgré ce qu’on peut reprocher au pouvoir actuel de Paul KAGAME qui  ne  laisse  pas place  à  une  expression  plurielle  des  opinions,  il  a  su  tirer  parti  de  sa  situation  pour  être aujourd’hui un pays dont le développement économique  est  reconnu.  En  moins  de  trente ans, les Rwandais dont on parlait avec pitié et commisération sont devenus ceux avec qui on essaie de nouer des partenariats dont profiteraient les entreprises occidentales.

Par  conséquent  prenons  conscience,  qu’il existe toujours des fissures dans les dispositifs d’oppression, ne serait-ce  que  la  mauvaise  conscience  de  certains  des  acteurs  de  ces dispositifs,  tous  ceux  qui  disent:  «Franchement  cette  fois-ci  nous  sommes  allés  trop  loin». Mais  aussi, tous  ceux  qui  piétinent  derrière  attendant  avec  impatience  leur  tour  pour  se remplir poches et comptes en banque: ils constituent aussi des maillons faibles.

Il n’est guère besoin d’aller plus loin. Ce que les défenseurs des Droits de l’Homme et de la démocratie, ceux qui luttent pour l’équité et la justice, doivent savoir, c’est qu’il ne s’agit ni de crier trop tôt victoire, ni surtout de baisser les bras dans un découragement qui n’est pas de mise en ce moment.

L’Afrique n’a-t-elle  pas  une  chance historique de théoriser sur la philosophie d’Ubuntu(cf. Nelson  Mandela  et  Desmond  Tutu)qui  prendra  en  compte  tous  les  domaines  de  la  vie  de l’homme dans la cité et dans les relations entre les Etats?

Lomé, le 18 Juin 2021

One thought on “Emprise française en Afrique: « Est-ce le commencement de la fin ? », s’interroge Maryse Quashie

  1. La France joue le jeu de l’autruche et depuis l’indépendance des pays francophones. un jeu basé sur une méthode esclavagiste des premiers colonisateurs y compris lcelle du père Foucaul et d’autres missionnaires,en donnant l’impression que la France vous traite d’égal à égal. 

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