On ne brûle pas la maison du menteur, on la démolit pièce par pièce

Faux dilemme, Alternative perdante, Choix truqué, Argumentaires moisis, Sophisme

 Aujourd’hui, avec votre permission, on va commencer par une actualité togolaise.

Il y a quelques jours, monsieur Ihou Watéba a affirmé sur des médias de la place que la décision de fermer une nouvelle fois les lieux de culte dans le cadre de la lutte contre le coronavirus au Togo était une proposition des responsables religieux eux-mêmes.

 Monsieur Ihou Watéba est ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, membre du comité scientifique de lutte contre le coronavirus au Togo et selon ses propres termes, « lieutenant » de la cheffe du gouvernement togolais.

 Il rendait compte de ce qu’il aurait dit au cours d’une réunion du gouvernement avec les autorités religieuses.

 Ecoutons-le plutôt :

  […] J’ai dit qu’il est inconcevable qu’au Togo, on continue de priver certains de leur totale liberté parce que certaines personnes ne veulent pas jouer le jeu de la vaccination. Et par voie de conséquence, les gens qui se sont vaccinés ou qui adhérent aux mesures, on ne peut pas les priver de leur liberté à cause de quelques personnes qui ne respectent pas les lois. Donc, on ne ferme pas les églises mais on va demander aux gens de rentrer dans les églises en présentant la preuve de leur vaccination. […] Le ministre d’Etat Boukpessi a renchérit et affirmé qu’il suffit de mettre en place des contrôles pour que les églises fonctionnent. Quelle n’a été notre surprise ! C’est là où je dis que si les leaders religieux commencent à dénaturer la vérité, je ne sais pas le degré de leur foi. Qu’ils nous disent qui ils sont réellement ! L’évêque qui était là le jour-là, il s’est levé et il dit que lui ne voit pas comment on peut contrôler à l’entrée des églises les pass vaccinaux et que cela va être compliqué. Et que, eux, ils préfèrent qu’on ferme. On s’est regardés. Le représentant des musulmans a dit que chez eux, ils font au moins 5 prières par jour et que les prières commencent à 4h du matin et qu’ils préfèrent qu’on ferme purement et simplement. C’est eux qui ont proposé.

 Réponse du berger à la bergère. Dans un message aux fidèles catholiques, l’évêque de Dapaong Dominique Banlène Guigbile raconte sa version des faits.

 Quelqu’un peut-il croire vraiment que les responsables des confessions religieuses aient demandé au gouvernement de fermer les lieux de culte ? Si des autorités de ce rang distillent ainsi des intox (fausses informations) sur les médias publics, c’est qu’au Togo, le ridicule ne tue pas. Voici ce qui s’est passé : le gouvernement a invité les autorités religieuses à une rencontre au cours de laquelle il leur a été signifié que l’on doit fermer les lieux de culte ou conditionner l’accès à la présentation d’une preuve vaccinale. C’est alors que les responsables religieux, pour préserver la liberté des citoyens par rapport au vaccin, ont dit qu’ils préfèrent voir les lieux de culte fermés que d’exiger la carte vaccinale aux fidèles pour participer au culte.

 Pourquoi j’aborde cette actualité ? Parce que cela me permet d’illustrer un concept très répandu en communication manipulatoire : le faux dilemme.

 Je vous propose une clarification de cette notion et après je vais vous raconter une histoire pour mieux illustrer mon propos.

 Le faux dilemme ou alternative perdante ou encore choix truqué est expliqué par Jacques Perani dans son ouvrage, Comment progresser en communication avec la dialectique, Normand Baillargeon dans son Petit cours d’autodéfense intellectuelle et Richard Monvoisin dans sa thèse de doctorat Pour une didactique de l’esprit critique.

 Le faux dilemme consiste à donner à ses interlocuteurs une impression de choix entre deux possibilités qui sont soit toutes deux perdantes pour les autres soit toutes deux gagnantes pour soi.

 Pour Richard Monvoisin, c’est «un raisonnement fallacieux consistant à présenter deux conclusions à un problème donné, comme si elles étaient les deux seules options à ce problème. L’erreur ou la manipulation se situe dans une mise en contradiction factice des alternatives qui n’a pas lieu d’être. Lorsque le faux dilemme n’est pas repéré, le piège se referme alors avec la manière de sélectionner l’une des deux alternatives. »

 C’est exactement ce plat là que le gouvernement togolais a servi aux autorités religieuses au cours de cette fameuse réunion. Le gouvernement a présenté la situation comme s’il n’y avait que deux possibilités pour juguler la propagation du coronavirus. Dans les deux cas de figure, les leaders religieux étaient perdants. Et ils ont choisi le “moins pire du pire” !

 Avant de vous dire ce que j’aurais fait à la place des autorités religieuses, je vais vous raconter l’histoire de Papa Araignée qui cherchait un imbécile avec qui faire « affaire ».

Papa Araignée et Papa Hyène font affaire

 Papa Araignée vivait, en ces temps-là, au bord du lac. Le lac regorgeait de poissons, de beaucoup de poissons. De quoi faire la fête tous les jours…et même gagner une petite fortune grâce à la vente de poissons. Mais pour Papa Araignée, c’est trop de fatigue que d’aller à la pêche. « Il faut d’abord fabriquer des nasses. Ensuite les poser. Puis…Non, ce qu’il me faut c’est un imbécile, un pauvre nigaud pour faire le travail à ma place. Allons de ce pas rendre visite à notre ami Papa Hyène !», résolut-il après mûre réflexion.

 Vous allez me dire, « Mais pourquoi Papa Hyène ? ». Parce que Papa Hyène est réputé être l’animal le plus sot de la brousse. Il n’y a pas son pareil quand il s’agit de se faire avoir.

 Papa Hyène était d’accord pour pêcher avec Araignée à condition que le partage soit équitable.

 -Allons dans la brousse couper de quoi faire les nasses, suggéra Araignée.

 Au pied du premier palmier, Papa Araignée dit à Papa Hyène :

 -Que choisis-tu, entre couper les branches du palmier ou supporter la fatigue ?

 -Quoi ? Tu me prends pour un imbécile ? Non, Papa Araignée, je ne veux pas de fatigue. Alors c’est moi qui vais couper. N’oublie pas que c’est toi qui es venu me chercher. C’est à toi de te charger de la fatigue.

Et Papa Hyène coupa, coupa et coupa. Il coupa des heures tandis que Papa Araignée se prélassait à l’ombre en poussant de grands soupirs simulant l’épuisement.

 Les branches de palmiers coupées, Araignée dit à Hyène :

 -Maintenant, je pense que par mesure d’équité, je vais porter ce fardeau et te laisser la fatigue et les maux de reins.

 -Moi les maux de reins ? Jamais ! N’oublie pas que c’est toi qui es venu me chercher. Aide-moi plutôt à mettre le paquet sur la tête. Assez d’histoires comme ça. Prends la fatigue et les maux de reins.

 Et Araignée se contenta de suivre en gémissant comme s’il souffrait le martyr à chaque pas.

 Araignée utilisa le même stratagème pour faire faire également le reste du travail par Papa Hyène : fabriquer les nasses et les transporter au lac.

 Au bord de l’eau, Araignée dit encore à Papa Hyène :

 -Tu ne le sais peut-être pas mais il y a une bête féroce dans l’eau. Pour l’amour de Dieu, laisse-moi poser les nasses et accepte la mort au cas où le monstre nous attaquait.

 -N’y pense même pas, lui répondit Papa Hyène qui s’empressa de rentrer dans l’eau, de poser les nasses et de les garnir d’appâts.

 Pendant ce temps, Araignée au sec regardait faire. Puis, tous les deux rentrèrent se coucher en se donnant rendez-vous au lac le lendemain.

 Le lendemain, ils viennent inspecter les nasses. Il y avait quatre poissons.

 -Quatre poissons, quelle chance ! Prends-les, tu les a bien mérités, s’écria Papa Araignée. Je me contenterai des huit poissons que n’nous prendrons demain.

 -Tricheur ! Tu me prends pour un idiot ? Je n’en veux pas des quatre-là. Les huit de demain seront à moi.

 Araignée prit les poissons sans se faire prier.

 Le lendemain, les nasses avaient effectivement pris huit superbes poissons.

 Comme toujours, Papa Araignée s’empresse de prendre la parole :

 -Huit gros et gras poissons ! C’est ton tour de les prendre. Je préfère patienter jusqu’à demain pour avoir les seize que l’on aura.

 Comme il fallait s’y attendre, Papa Hyène laissa les huit poissons pour prendre les seize. Puis les seize dans l’espoir d’avoir les trente-deux…jusqu’à ce que les nasses à force d’être malmenés ici et là deviennent totalement inutilisables.

 -Papa Hyène, regarde-moi ça. Les nasses n’ont plus fière allure. Je doute qu’elles puissent prendre encore un seul poisson. Mais je donne ma tête à couper qu’il se trouverait bien au marché du village un imbécile qui serait heureux de me les prendre moyennant une petite fortune. Allez, prends les poissons et laisse-moi les nasses.

 A ces mots, Papa Hyène faillit se fâcher.

 -Pas question, hurla-t-il. Tu prends les poissons, un point, un trait. Je préfère prendre les nasses et en tirer le jackpot. A moi, la belle vie!

 Papa Araignée prit les poissons, Papa Hyène ce qui restait des nasses et tous deux se rendirent sur la place du village.

 Et ce qui arriva ensuite est une autre histoire que je vous laisse deviner.

 On aurait tort de tout mettre sur l’apparente « sottise » de Papa Hyène. Même des adultes réfléchis comme nous sommes susceptibles d’être manipulés par un faux dilemme.

 Rappelez-vous de ces tours de magie où on vous invite à choisir une carte dans un paquet. Vous êtes convaincu d’avoir librement sélectionné une carte. Pourtant, le magicien a minutieusement organisé les conditions de ce choix pour savoir d’avance la carte que vous allez choisir. Le magicien n’a donc pas deviné votre carte. Il a forcé votre choix.

 Et c’est exactement ce que le gouvernement a voulu faire avec les autorités religieuses. Leur donner une alternative entre fermer les lieux de culte ou conditionner leur accès à la présentation d’une preuve vaccinale, c’est une tentative insidieuse de rendre les religieux complices d’une obligation vaccinale qui ne dit pas son nom. Et en prime, pouvoir soutenir que c’était une proposition des leaders religieux eux-mêmes! Cela équivaut sur le plan de la fourberie mentale au choix forcé des magiciens.

 Vous voulez savoir si, de mon point de vue, les leaders religieux ont bien réagi à la tentative de manipulation du gouvernement ? Je ne vais pas répondre à cette question. Je vais faire mieux. Je vais vous dire ce qu’il aurait fallu faire dans l’idéal : utiliser la technique du MU [mou].

La technique du Mu

 Richard Monvoisin l’explique très bien dans sa thèse de doctorat Pour une didactique de l’esprit critique. La technique du MU consiste face à de faux dilemmes et des questions toxiques « à refuser l’hameçonnage et à dénoncer la question. Une recommandation du moine Unshen est de déclarer « Mu », en référence au maître zen Zhàozhōu Cōngshěn, qui au IXe siècle rétorquait cela aux questions qui lui paraissaient ne pas avoir de sens. » En effet, « À la question Un chien a-t-il l’essence d’un Bouddha ? Zhàozhōu Cōngshěn aurait répondu « Wú » (mu en japonais, c’est-à-dire rien). […] Cette réponse a été reprise par les hackers du groupe canularo-sectaire « discordiste », dans leur jargon, afin de répondre aux questions trop insidieuses. »

Utilisation du faux dilemme

 Ce procédé est très répandu en politique. C’est par exemple « Vous êtes avec nous ou avec les terroristes » de Georges W. Bush après le 11 septembre 2001. C’est également  « La France, on l’aime ou on la quitte » du Front National, De Villiers et de Sarkozy.

C’est un procédé également utilisé en marketing pour conclure une vente. On dira par exemple au prospect : « Préférez-vous partir sur le modèle blanc ou le noir ? Avec options ou sans options ? Souhaitez-vous régler en 3 fois ou bien payer au comptant ? »

 Le but de la formulation est évidement de faire deux propositions conduisant in fine au même résultat : la réalisation de la vente!

 Un autre exemple tiré de La communication d’influence de Christine Marsan et Fabrice Daverio :

 Un soir, Sacha reçoit un appel :

 – “Bonsoir, votre conseiller bancaire souhaite faire le point  sur votre compte. En regardant son agenda, je peux vous proposer un rendez-vous mardi de la semaine prochaine, à moins que vous ne préfériez samedi matin, puisque l’agence est dorénavant également ouverte le samedi.”

 Cette phrase a pour but de pousser Sacha à prendre tout simplement rendez-vous tout en donnant une impression de choix, puisqu’il est libre de choisir entre deux créneaux !

 En conclusion, face à une situation qui a l’air d’un dilemme, il faut s’assurer que c’est est vraiment un. Quand on n’a que deux options face à une situation donnée, il faut chercher la troisième option ! Car entre le noir et le blanc, il existe une bonne quantité de nuances de gris.

Mes recommandations :

 Comment progresser en communication avec la dialectique

Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon

 Pour une didactique de l’esprit critique de Richard Monvoisin

 La communication d’influence de Christine Marsan et Fabrice Daverio

 Gnimdéwa Atakpama

https://culturecom.substack.com/p/on-ne-brule-pas-la-maison-du-menteur/

0 thoughts on “On ne brûle pas la maison du menteur, on la démolit pièce par pièce

  1. Qui dit quoi, où,quand et comment?
    Monsieur  Gnimdéwa Atakpama n’ayant pas pris part à la rencontre entre les politiques et les religieux, il y a lieu de croire que  Gnimdéwa Atakpama raconte des histoires.
    En fait, il est plus préoccupé, nous semble-t-il, par le souci d’illustrer un procédé rhétorique, qu”il appelle “faux dilemme” (“pseudo-dilemme” pour d’autres) que par la recherche ou l’amour de la vérité. Au demeurant, Monsieur ne s’en cache pas puisqu’il dit clairement, dès le préambule, ” Pourquoi [il] aborde cette actualité ? Parce que cela [lui] permet d’illustrer un concept très répandu en communication manipulatoire : le faux dilemme.” Est-ce là le problème? Non!

    Bref, il est manifeste que Monsieur  Gnimdéwa Atakpama prend fait et cause pour le Prélat catholique et s’ingénie à faire passer Monsieur Ihou Watébat (ministre de l’enseignement supérieur et de la rechercher etc.) pour un vulgaire sophiste adepte éhonté de l’argument cornu, alors qu’il(G. Atakpama) n’était pas du tout présent à ladite rencontre. Comme si garantir la santé de tous, et trouver les moyens pour y parvenir, n’était pas le fin fond de cette affaire, et vérité absolue.

    Mais Monsieur G. Atakpama préfère s’occuper oisivement, au sens ancien (otium)!Ce qui nous vaut un article savoureux à lire!

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