La France et la CEDEAO ne souhaitent pas une transition réussie au Mali : Voici les raisons !

La délégation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, dépêchée le 18 mars dernier à Bamako pour négocier avec les autorités maliennes, une durée raisonnable de la transition, a, après deux jours de discussions, quitté la capitale malienne bredouille, sur une note d’échec, sans aucun consensus.

La cause n’est pas que ces échanges n’ont pas sereinement eu lieu, mais elle tient plutôt d’une attitude curieusement rigide et inflexible de Goodluck Jonathan, le chef de la délégation et de l’ivoirien Jean-Claude Kassi Brou, le président de la commission de la CEDEAO.

Ceux-ci sont restés campés, de façon péremptoire, sur 12 mois de transition, sans jamais bouger d’un iota alors que les maliens ont fait des offres allant de 36 mois à 29 puis à 24 mois. Toutes ces propositions rendant compte de la bonne foi des dirigeants maliens qui, par souci d’ouverture, ont renoncé aux cinq ans recommandées par les assises nationales de la transition, ont rencontré un mur de silence ou plutôt d’opposition de la part de la délégation de la CEDEAO qui, a pourtant, au cours des discussions, reconnu toute la pertinence et l’intérêt des réformes à opérer avant toute aventure électorale dans ce pays passé finalement maître dans l’instabilité politique, les coups d’Etats et les tensions socio-politiques quasi sempiternelles.

Comment peut alors s’expliquer la rigidité des représentants de la CEDEAO à cette négociation alors que les réformes envisagées sont le fruit des recommandations amplement formulées en 2018 par cette même communauté à la suite des élections législatives organisées dans des conditions hasardeuses dans ce pays et qui ont engendré une crise politique sans précédent ayant été conclue, en août 2020, par le renversement du régime d’Ibrahim Boubacar Kéîta ?

Les raisons sont profondes et surtout multiples. D’abord, pendant que les négociations avaient cours à Bamako, Emmanuel Macron, le Président de la République française, avait fait une sortie dans un langage condescendant et particulièrement insultant aussi bien vis-à-vis des autorités maliennes que de la CEDEAO elle-même. En effet, répondant à une question de journaliste liée à la suspension par le Mali des médias d’Etats français, notamment RFI et France 24, le président candidat a d’abord condamné cet acte avec la dernière rigueur. Ce qui est son droit le plus absolu.

Mais il a poursuivi en annonçant gaîment qu’il allait s’entretenir dès le lendemain, avec le président en exercice de la CEDEAO, le ghanéen Nana Addo Akufo, sur les décisions à prendre par cette institution sous-régionale contre la Mali que son pays, la France, allait ensuite appuyer comme elle l’a toujours fait par le passé. Dit autrement, le Président français s’est senti si vexé par la suspension de ces médias qu’il trouve juste qu’il faut prendre appui sur la CEDEAO, cette institution dont les membres constituent visiblement ses garçons de courses, en vue de frapper à nouveau le Mali et son peuple.

Je dis bien « à nouveau » parce que le peuple malien croupit présentement sous le poids des sanctions draconiennes, illégales et inhumaines de la part de cette même communauté, prises à la suite des vives protestations de cette même France qui est entrée en fronde contre le Mali, à cause notamment, des choix politiques opérés par les dirigeants de ce pays, qui enlèvent à ce colonisateur d’hier, toute son influence et son hégémonie sur cette terre natale de Modibo Keïta, présentement en proie à une crise sécuritaire farouche dont la solution n’est toujours pas trouvée, malgré la présence massive et même inédite sur le terrain, des forces françaises dénommées Barkhane.

Au nom de quoi donc, le Président français s’est prévalu de ce pouvoir d’interpeller le président en exercice de la CEDEAO à cause de la décision d’un Etat souverain de suspendre des chaînes dont la ligne éditoriale ne lui convient plus, du fait des reportages propagandistes visant, selon les dirigeants maliens, à déstabiliser le pays et à démoraliser les forces armées maliennes ?

L’octroi des fréquences à ces chaînes par les dirigeants maliens avait-il impliqué la CEDEAO ? Si non, pourquoi donc leur suspension devrait engager cette communauté si ce n’est un forcing lâche qu’a décidé d’opérer le Président Macron en vue de nuire perfidement à ce pays?

Toutes ces incongruités, ces maladresses et ces écarts de langage de la part des autorités françaises montrent clairement qu’elles sont bien frileuses et surtout inquiètes de voir le Mali réussir le pari d’une bonne transition qui va déboucher sur une élection équitable, libre et transparente devant garantir à ce peuple, des institutions fortes, légitimes et souveraines qui travailleront pour le seul intérêt du Mali. Une telle réussite constituerait un vrai crime de lèse-majesté aussi bien pour la France que pour la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi ?

Précisément parce que cela constituerait un précédent fâcheux et une vraie jurisprudence qui va nécessairement et immanquablement inspirer d’autres peuples dans cette sous-région. Ceci est d’autant plus vrai que la plupart des dirigeants de cette communauté, notamment dans son volet francophone, tirant leur légitimité à partir de Paris et non de leur peuple, savent pertinemment que la réussite de la transition au Mali ouvrirait les yeux à leurs peuples qui, de toute évidence, se réveilleront pour exiger un écosystème de liberté et d’épanouissement qu’ils ne seront pas en mesure d’assouvir.

Voilà pourquoi, dès le départ, ils ont choisi la voie de l’acharnement, de la pression de toutes natures, des menaces, des coups-bas, du sabotage et surtout de punition sévère des dirigeants et du peuple maliens, dès lors que ceux-ci ont manifesté une velléité affichée d’affranchissement en établissant de nouveaux partenariats, notamment sur le plan militaire, en vue de venir à bout du terrorisme et du djihadisme que la France et ses multiples partenaires ne sont jamais parvenus ni à éradiquer ni à limiter l’expansion sur le territoire malien.

Ainsi donc, aussi bien la CEDEAO que la France n’ont d’intérêt à voir les maliens mener avec succès et sans heurts majeurs, leur transition jusqu’aux élections véritablement démocratiques. Car un tel pari signifierait la perte définitive de la mainmise de la France sur ce pays et partant, sur bien d’autres de l’espace communautaire qui entreront dans la dynamique de libération par un effet logique d’entrainement.

Il apparaît donc évident que l’invitation adressée au président Goïta, en vue de prendre part au sommet extraordinaire d’Accra le 25 mars, n’est que de la pure diversion qui vise à le distraire et à le contraindre à la soumission pure et simple, au regard de sa velléité et de sa détermination à inscrire son peuple dans le registre des combattants de la vie qui jurent de prendre leur destin en main.

Il ne saurait en être autrement puisque dans l’entendement du Président Macron, le Mali étant un pays de l’espace francophone, il ne peut disposer de marge politique quelconque pour s’aventurer vers d’autres partenaires ou des options politiques sans avoir eu, en amont, son aval en tant que Président de la métropole ayant donné une identité à ce pays du Sahel.

Il est à l’aise à fortifier une telle foi en lui, car beaucoup d’autres pays du même espace n’ont jamais l’audace de sortir du joug et de l’ombre de cette France. Au contraire, tous ou presque, s’effacent littéralement à chacun de ses passages, ou pire, se plient en double et se confondent en courbettes chaque fois que nécessaire, en vue de mériter ses bonnes grâces et sa protection qui garantissent leur maintien dans le fauteuil de dirigeant, même contre le gré de leurs peuples.

Les pays anglophones, faisant partie de cet espace communautaire, laissent simplement faire, même s’ils ne sont pas d’avis, sans doute parce qu’ils ont bien compris qu’il n’est pas de leur rôle ni d’ouvrir les yeux, ni déboucher les oreilles à des pairs qui font bien semblant d’être à la fois aveugles que sourds aux cris de détresse de leurs peuples. En conséquence, la CEDEAO, dans le contexte du Mali, se montre constamment incohérente, inconstante et sans aucune lucidité dans les mesures qu’elle adopte vis-à-vis de ce pays dont le peuple ne demande que son droit légitime, sinon naturel, à la liberté de pensée et d’action.

Mais à cette allure où les dirigeants se comportent en traitres au point de s’allier au colon d’hier qui se mue désormais en néocolon d’aujourd’hui pour remettre en cause l’aspiration naturelle des peuples à jouir de leur liberté en vue de s’assumer par eux et pour eux, il ne reste plus à ce peuple d’autres options que de monter rigoureusement au créneau pour revendiquer farouchement ce droit à l’affranchissement.

Les maliens ont déjà emprunté audacieusement la voie, il appartient à d’autres peuples de s’en inspirer pour amorcer cette dynamique du salut et de la libération, car personne ne saurait comprendre que plus de six décennies après les pseudos indépendances, des pays entiers soient autant plongés dans cette préjudiciable léthargie et torpeur compromettant la vie et le devenir des millions de citoyens, à cause de l’avidité hégémoniste d’une soi-disant puissance du nord.

Luc ABAKI

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