Cité au quotidien du 1er avril 2022. Dans cette édition, Maryse Quashie et Roger Folikoué reviennent sur la crise russo-ukrainienne. Lisez plutôt!
Cité au quotidien : A quel prix l’occident se préserve-t-il de la guerre ?
« Nous pensions en avoir fini avec la guerre ! », « Nous avions dit plus jamais ça en 1945 ! ». Ce sont les lamentations que l’on entend ces jours-ci de la part des Européens alors que la guerre fait rage en Ukraine avec des moyens inouïs, qui ont permis de détruire plusieurs villes importantes en quelques semaines.
Ces plaintes des Européens, à propos du retour de la guerre, nous étonnent au plus haut point. En effet, avant le problème ukrainien, la guerre n’a pas manqué durant toute la seconde moitié du 20ème siècle et même en ce 21ème siècle. C’est ainsi que le conflit du Haut Karabakh, qui a opposé l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’est déroulé il y a à peine deux années, en 2020 ! Et les affrontements du Kosovo ? La guerre en ex-Yougoslavie, en Bosnie, en Croatie ? Toutes ces confrontations armées qui ont coûté tant de vies humaines datent seulement des années 1990 ! Il est vrai que l’Azerbaïdjan se trouve en Asie, mais peut-on en dire autant des Balkans ?
D’une façon générale, ces conflits sont présentés aux Européens comme des soubresauts dus à des nationalismes exacerbés par un attachement important aux appartenances religieuses. Et lorsqu’il s’agit de l’Afrique, où les armes ne se taisent presque plus jamais, il s’agit, pour les Européens, de conflits ethniques, tribaux, de terrorisme à base de radicalisation religieuse, etc.
Pourra-t-on longtemps tromper ainsi l’opinion occidentale ? Celle-ci ne finira-t-elle pas par comprendre que si les populations européennes, occidentales, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ont été, en quelque sorte, épargnées par les armes, c’est parce que la guerre a été exportée ailleurs ?
Mais avant d’en venir à l’Afrique, analysons ce qui c’était passé dans les Balkans. Nombreuses sont les analyses disponibles qui permettent de comprendre, qu’après la chute du Mur de Berlin, et l’éclatement de l’URSS, et en particulier de la Yougoslavie, les Européens ont pu craindre une certaine instabilité à leurs frontières avec le spectre du retour de la guerre. On peut accepter cela comme légitime, mais de quelle manière a-t-on enrayé le danger, même si on a quand même déployé des forces armées alors qu’on prétendait privilégier la diplomatie ? Toujours est-il qu’un accord a quand même été trouvé, accord qui reconnaissait aux pays des Balkans la possibilité de se rapprocher de l’Union Européenne, et même d’y adhérer, ce qui signifiait un mieux vivre pour toutes les populations relativement pauvres de ces régions.
Aujourd’hui on sait que c’est la mise en œuvre de ce plan qui fait peur à la Russie, anxieuse de perdre une certaine hégémonie dans la région. Pourquoi a-t-on laissé encore une fois les armes prendre le dessus ? Pourquoi la population ukrainienne devient-elle en quelque sorte l’otage d’un désaccord entre la Russie et l’OTAN ? Certainement parce qu’il vaut mieux une catastrophe en Ukraine qu’une guerre directement en Europe.
Se peut-il vraiment que les opinions publiques occidentales ne sachent rien de l’exportation des guerres qui devaient avoir lieu en Europe, vers les autres continents et en particulier vers l’Afrique ? Qui ne sait pas que des intérêts européens sont presque toujours en jeu dans les conflits en Afrique Subsaharienne ?
Prenons le cas du Sahel en exemple. En admettant même que les conflits qui s’y passent aient des sources internes, l’Europe a-t-elle intérêt à ce que ces conflits s’étendent ? En effet, ne vaut-il pas mieux pour elle faire des efforts pour participer à la guerre en Afrique, de manière à ce que celle-ci ne franchisse pas la Méditerranée pour atteindre l’Europe ?
Mais il est sûr que cette motivation ne dévoile pas à elle seule les intérêts occidentaux dans les guerres en Afrique. En effet, sans mentionner les questions strictement économiques liées aux richesses minières des pays africains, n’est-ce pas important, pour la France, au plan géopolitique, de garder son influence dans son ancien espace colonial ?
S’il s’agissait seulement de philanthropie, de voler au secours des pauvres africains en proie au terrorisme djihadiste, pourquoi, après les démêlés avec les militaires au pouvoir au Mali, l’armée française ne retourne-t-elle pas en France ? Pourquoi toutes ces bases militaires en Afrique ?
Le gouvernement français met en jeu toutes ses ressources diplomatiques pour assurer un redéploiement de Barkhane dans la sous-région. Et aujourd’hui c’est le Niger qui lui a offert cette opportunité et il est prévu qu’un accord de coopération militaire soit signé entre Barkhane et l’armée nigérienne. En attendant depuis le 1er mars, le colonel Hervé Pierre, le nouveau commandant qui coordonnera le retrait de Barkhane du Mali, s’est installé à Niamey. Et il est important de noter que le colonel Hervé Pierre a participé aux opérations Licorne (Côte d’Ivoire), Serval (Mali 2013) et Sangaris (Centrafrique) ; ce sont des opérations de l’armée française en Afrique.
N’y aurait-il pas fort à parier que s’il n’y avait pas eu la guerre en Ukraine, il y aurait peut-être eu des affrontements en terre africaine, entre la force WAGNER (des voyous mercenaires, nous a-t-on dit, originaires de Russie,) qui sévit déjà en Centrafrique et peut-être des troupes africaines de la CEDEAO (soutenues de manière philanthropique par la France) ? En tous les cas, l’Europe aurait été épargnée de la guerre.
En définitive, à qui donc ce système profite-t-il ? N’est-ce pas avant tout aux populations occidentales ? Et si la reconstruction des pays décimés par la guerre, à laquelle vont évidemment s’atteler les entreprises occidentales, permet l’enrichissement d’une bonne partie de ces populations et non seulement d’une minorité de personnes déjà riches ?
Mais avant même de parler de la fin des guerres actuelles, se demande-t-on ce que sont devenues toutes les armes utilisées depuis la Seconde Guerre Mondiale ? En effet, même lorsqu’une guerre finit, les armes sont rarement détruites ; elles sont souvent revendues. Les guerres sont ainsi une aubaine pour les marchands d’armes qui traitent souvent avec tous les protagonistes. Ainsi, en 2016, les États-Unis, la Russie et la France sont les trois premiers exportateurs d’armes ; la France ayant comme partenaires privilégiés les pays africains.
Et qui achète les armes ? Selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), jamais autant d’armement n’avait été acheté sur la planète depuis la fin de la guerre froide. Même si l’Inde compte à elle seule 13% des importations d’armement dans le monde, les pays africains sont, eux aussi, partie prenante de l’achat des armes avec l’Algérie, l’Egypte et le Maroc qui forment le trio de tête. L’Afrique subsaharienne, en particulier le Nigeria et, dans une moindre mesure, le Cameroun, s’illustrent aussi notamment sous l’effet du conflit engagé contre Boko Haram.
On pourrait dire que la taille relativement réduite des armées des États Africains subsahariens explique leur part réduite dans le commerce des armes dans le monde. Cependant, « alors qu’elle est catégorisée comme étant le sous-continent le plus pauvre du monde, l’Afrique subsaharienne fait partie des régions ayant vu leurs dépenses militaires occuper une place de plus en plus importante dans les budgets des États au cours des 50 dernières années. Bien que la valeur des dépenses militaires en Afrique subsaharienne soit la plus faible de toutes les régions du monde, les dépenses militaires représentent une part substantielle de son produit intérieur brut (PIB) et des dépenses publiques globales. » (SIPRI, 2018).
Un certain manque de transparence à ce sujet ne permet pas de trouver des données suffisamment fiables et détaillées, mais, ce serait vraiment révoltant si un jour on pouvait démontrer ceci : la vente des armes à l’Afrique, de telle sorte qu’il s’y passe les guerres dont est préservée l’Europe, se paie en réduction de qualité des systèmes de santé et d’enseignement pour les jeunes africains. A quand la prise de conscience chez les autorités africaines pour des investissements substantiels dans l’amélioration des conditions de vie des peuples africains ?
A quand le déclic pour la création de nombreuses structures d’excellence pour valoriser le savoir des Africains ? « Le leadership de la renaissance et de l’émergence en Afrique, c’est l’émergence des personnes qui pensent vrai, qui vivent juste, qui créent, qui innovent et établissent de la cohérence entre ce qu’elles sont, ce qu’elles disent, ce qu’elles rêvent et ce qu’elles font pour le bonheur de leur communauté, de leur pays, de leur continent et du monde. Il faut des institutions éducatives pour une nouvelle société et cela s’appelle : investir dans la matière grise. » (KÄ MANA).
Lomé, le 01 Avril 2022