Treize (13), c’est le nombre de vies encore avalées mardi dernier par la nationale N°1 à Bako près de Wahala, dans la préfecture de Haho. Toutes des femmes allant simplement chercher leur pitance quotidienne au marché de Gléï. Excès de vitesse, surcharge, dégradation des pneus…on a beaucoup péroré sur les causes et très vite identifié celles-ci. Mais le gouvernement ne saurait jouir d’un blanc-seing dans l’occurrence des accidents sur cette route Lomé-Cinkassé…
Les familles éplorées sont certainement encore sous le choc, même si une semaine est déjà passée. 13 bonnes dames, 13 battantes qui allaient au marché de Gléï pour chercher de quoi subvenir aux besoins de leurs familles ont perdu la vie dans cet accident sur la rivière Bako à 7 km de Wahala, dans la commune de Haho 4. Quinze (15) autres s’en sont sorties (sic) avec des blessures et d’importants dégâts matériels ont été enregistrés. Mais les familles ne pourraient pas compter sur la compassion des « gens d’en-haut ».
Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Général Damehame Yark a fait une sortie et exprimé les condoléances du gouvernement et des autorités locales ont fait le déplacement des lieux ; mais, soit dit en passant, les premiers gouvernants du pays, Faure Gnassingbé en premier lieu, son Premier ministre Victoire Tomegah-Dogbe et la Présidente de l’Assemblée nationale Yawa Djigbodi Tsegan, deux femmes donc, n’ont pas cru devoir faire le moindre tweet, comme ils en ont l’habitude à des événements de moindre importance ou bien moins tristes que cet accident. Par exemple, c’est à un concours de tweets que l’on a assisté suite à l’adhésion officielle du Togo au Commonwealth le 25 juin dernier. Les gouvernants parmi lesquels pourtant de nombreuses femmes n’ont que faire de 13 pauvres commerçantes qui ont péri.
Excès de vitesse et dégradation des pneus, ce sont les causes principales de cet accident mortel identifiées par le ministre de la Sécurité et relevées dans un communiqué au lendemain du drame. Soit. Les pneus avant du bus transportant les bonnes dames, usés, dit-on, auraient éclaté alors que le véhicule roulait à toute vitesse, et là encore, sur un pont. Choix bien déplorable et cette combinaison de facteurs a favorisé l’accident et tous les dégâts consécutifs. L’excès de vitesse, le non-respect du code de la route, l’incivisme et bien d’autres mots sont à l’origine de nombreux accidents de la circulation.
Lomé-Cinkassé, la route des accidents
Ca fait trop cliché et peut bien heurter des susceptibilités. Qu’à cela ne tienne, ce groupe de mots cache une réalité, le fait que l’axe Lomé-Cinkassé, la nationale n°1 soit de loin la plus accidentogène des routes nationales. Les chiffres officiels sont assez parlants. Trois mille cinq cent soixante-dix-sept (3577), c’est le nombre d’accidents qui a été enregistré sur les routes togolaises dans le courant du dernier semestre de 2021 soldés par trois cent trente-quatre (334) décès. Ces statistiques ont été rendues publiques par le ministre des Transports terrestres, aériens et ferroviaires Affoh Atcha-Dedji et son collègue de la Sécurité et de la Protection civile Damehame Yark en janvier dernier. Sur toute l’année, c’est un total de six cent quatre-vingts (680) morts qui a été enregistré.
Sur le second semestre de 2021, la nationale n°1 Lomé-Cinkassé est restée la plus meurtrière des routes (107 morts), suivie du Grand Contournement (24 morts), très loin devant la N5 Lomé-Kpalimé-Atakpamé (14 morts), la N34 Lomé-Vogan (9 morts) ou la N2 Lomé-Aného (2 morts). Le schéma est généralement pareil tous les ans en termes d’accidents, faisant de la nationale N°1 la plus accidentogène. D’aucuns invoqueraient sa longueur – c’est la route la plus longue au Togo, le parcourant du Sud au Nord sur 600 km et reliant le pays à l’hinterland par le Burkina Faso -, mais aussi la durée des trajets et l’usage fréquent par les gros porteurs communément appelés titans. Mais l’Etat n’est pas dédouanable dans la récurrence des accidents sur cette voie.
La part de responsabilité de l’Etat
L’incivisme en est pour beaucoup dans la survenue des accidents de la circulation, avions-nous concédé. L’excès de vitesse, les dépassements défectueux, le défaut de maîtrise, le non-respect des feux tricolores, le refus de priorité, les stationnements sans signalisation, le chargement hors gabarit, l’absence de dispositifs de sécurité ou encore l’usage de téléphone en circulation sont les causes habituellement avancées. Mais la dégradation de la route Lomé-Cinkasse et son étroitesse y sont aussi pour beaucoup.
En effet, cet axe, de loin le plus pratiqué au Togo, n’est pas assez large par rapport à sa sollicitation. Et en plus, il est très dégradé, en tout cas par rapport aux autres routes du pays. Il faut aux chauffeurs une vigilance permanente et des gymnastiques pour éviter les nids-de-poule, mieux, les fosses qui le parcourent. Une petite inattention et bonjour les dégâts. De fait, un voyage sur cet axe se révèle une traversée de la vallée de la mort. L’on a souvent le souffle coupé, se ressource dans la prière et lorsqu’on arrive à destination, on remercie le ciel.
L’entretien des routes, c’est bien évidemment de la responsabilité de l’Etat. Et Dieu sait que les usagers et consommateurs sont saignés pour cela. Non seulement ils y participent lorsqu’ils achètent le carburant dont le prix du litre à la pompe est grevé d’un prélèvement, mais en plus ils y contribuent encore à leurs passages aux péages. Mais l’état de cette voie laisse à désirer. Sur de longues distances parfois, les trous s’enchainent à n’en point finir et il faut être d’une vigilance permanente pour s’en sortir. La vitesse expose les automobilistes à des accidents. Parlant d’étroitesse, l’état de cette route Lomé-Cinkassé est l’expression de la faillite même de la gouvernance du régime en place.
En effet, depuis la cinquantaine d’années de règne du régime en place, cette voie n’a jamais été dédoublée pour répondre aux besoins. Avec l’arrêt des chemins de fer dans les années 95-96 en tout cas le transport de passagers et de marchandises, la réhabilitation et l’élargissement de cette route devenaient un impératif. C’est par train que les bonnes femmes commerçantes rallient souvent le nord du pays à partir de Lomé pour aller se ravitailler en produits agricoles divers. Dieu sait que ces dames qui ont péri dans l’accident de Bako mardi dernier auraient certainement fait ce trajet en train s’il fonctionnait encore. Et ce ne sont pas les promesses d’élargissement de cette route Lomé-Cinkassé ou de construction d’une autoroute qui ont manqué. On se rappelle particulièrement celle de Faure Gnassingbé, dans ses « 20 Plus pour le Togo », son livret de campagne électorale pour le scrutin du 24 avril 2005.
« Dans le cadre d’une politique de grands travaux, un appel sera adressé aux pays enclavés pour mettre en chantier une autoroute appelée «FLEUVE DE L’ESPÉRANCE» allant de Lomé à la frontière nord. Ce projet créera 100 000 emplois en 5 ans, offrira un moyen de transport efficace et sera le vecteur de notre intégration régionale », avait-il déclaré au niveau de « Plus pour la ville ». Nous étions en 2005. Aujourd’hui dix-sept (17) bonnes années après, presque vingt (20) ans donc, la fameuse autoroute n’est pas encore construite. A défaut de l’autoroute, cette route Lomé-Cinkassé n’a même pas fait l’objet d’élargissement et/ou de dédoublement en deux voies. La conséquence indirecte, c’est la récurrence des accidents mortels sur cet axe. C’est aussi ça le Togo de Faure Gnassingbé…
Source: L’Alternative