Une affaire de plus de 500 millions oppose l’Union togolaise de banque (UTB) à l’un de ses clients depuis près de trois (03) ans. Le dénouement de ce litige tarde à se pointer à l’horizon pendant que le client qui n’est autre que TELE MOBIL INTERNATIONAL (TMI), une société évoluant dans la vente de véhicules et autres prestations (ayant déjà gagné le procès en première instance), broie le noir eu égard à l’arrêt de ses activités. Le dossier a fait la Une de certains de nos confrères notamment le journal d’investigation L’Alternative. Pendant que le feuilleton continue à la Cour d’appel, il nous parait important de revenir sur ce dossier pour que nos lecteurs aient une idée sur ce qui se passe dans l’ombre de nos institutions bancaires et le calvaire des clients. Surtout dans un contexte où le gouvernement togolais ne jure que par l’amélioration du climat des affaires et fait sans cesse la cour aux investisseurs.
Cette rocambolesque affaire commence lorsque le responsable de TMI constate des opérations de déblocages automatiques sur son compte courant qu’il a ouvert à l’UTB depuis 2008 suivi de la signature d’une convention entre les deux parties. Selon les informations à notre possession, au total sept (07) déblocages automatiques ont été effectuées sur le compte du client. 200 millions deux fois, 91 millions, 72 millions, 36 millions 245 mille, puis 32 millions et 20 millions.
Perplexe, le responsable de la société a cherché à voir clair dans ces opérations faites à son insu. Peine perdue. Plusieurs versions lui étaient servies. Le gestionnaire reconnait le caractère illégal de ces déblocages automatiques et justifie cette anomalie par le fait qu’ils sont en face de teste d’un nouveau logiciel. Par contre au niveau des services des engagements, on parle de report d’échéances. Un argument qui ne tient pas la route d’autant que l’on ne peut plus parler de reports d’échéances des marchés déjà remboursés par le client.
Il faut préciser à ce niveau que ces déblocages automatiques faites, à travers de simples écritures ne figurent pas dans les termes de la convention signée entre les deux entités. Là où le bât blesse est que ces déblocages automatiques font vider le compte du client qui devient débiteur alors qu’il était créditeur. Même les montants des déblocages automatiques sont en déphasage avec la convention susmentionnée. Le document stipule noir sur blanc que la ligne d’avance est plafonnée à 100 millions FCFA tandis que celle de découvert est à 50 millions FCFA.
C’est après une réunion tenue avec le service audit-interne de l’UTB qu’une petite lueur d’espoir s’est apparue. Après avoir fait, séance tenante, un exercice de suppression des déblocages automatiques, le Directeur de ce service se rend à l’évidence que le compte courant de TMI est en fait créditeur de 537.837.812 et non débiteur. Mais le hic est qu’il refuse de signer le procès verbal de cette réunion de travail avec le client. Ce dernier a envoyé plusieurs courriers au Directeur pour réclamer la signature du PV qui fait foi d’ailleurs. Mais en vain. C’est le black-out.
Le client prend ainsi donc un avocat qui a adressé un courrier dans lequel il a donné huit (08) jours à la banque de s’exécuter. Même après un mois rien n’est fait. C’est le statu quo. Pire l’avocat s’est muré dans un silence sépulcral pendant que les activités du client sont à l’arrêt. A-t-il reçu des pressions ? That is the question, comme le disent les anglais.
Début du périple judiciaire
C’est dans ce meli-mélo que l’affaire fut portée au niveau du Tribunal de commerce de Lomé. Chose étonnante. Comme un voleur qui crie au voleur, le 8 juillet 2020, c’est l’UTB elle-même qui assigne en justice le client avec à la clé une batterie de demandes dont la reconnaissance de créances de 564 millions et la condamnation du client aux dépens. Curieusement, dans son document d’assignation, l’on remarque que l’UTB demande à la justice d’ordonner une expertise des comptes de TMI dans ses livres pour ressortir un arrêté contradictoire des comptes de la requise. Chose que nous trouvons paradoxal. L’on se demande s’il revient à la justice d’ordonner une expertise pour prouver que le client doit à la banque ou c’est elle-même qui devra prouver l’état de créance de son client ?
A l’analyse on peut déduire que l’institution financière étatique s’est vautrée dans l’anticipation pour couper l’herbe sous les pieds du client, au cas où il aurait l’intention de saisir la justice. Peu importe. Passons.
Croyant avoir désarmé le client, la banque, par l’entremise de son avocat multiplie les demandes pour faire traîner l’affaire inscrite au rôle général sous le N°000439/2020/1101.
Dans la foulée la justice a commis suivant jugement avant-dire-droit n°0440 du 09 septembre 2020, un expert comptable à qui, il a confié les missions suivantes : faire l’état des marchés financés par l’UTB, les comptes et virement concernant ces marchés, la date de payement des cautions et garanties ainsi que les intérêts perçus et enfin le solde du compte courant au 31 décembre 2019.
Dans son rôle trouble, l’expert-comptable en la personne du sieur Yao AWOUTEY a usé de tous stratagèmes pour justifier les créances alléguées par l’UTB à l’endroit de TMI. Pour ce faire il s’arc-boute sur le compte crédit ou compte des avances sur marchés, interne à l’UTB et auquel le client n’a pas accès, pour justifier ces fameuses créances évaluées à 564 768 753 FCFA, alors que la mission qui a été assignée devait se faire autour du compte courant du client.
Verdict en première instance
Après trois (03) audiences le verdict est rendu le 17 mars 2021 et la banque fut condamnée. (Nous publions en intégralité le jugement n°190/2021 du Tribunal de commerce.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
En la forme
Reçoit l’action de l’UTB SA ainsi que les demandes reconventionnelles de TMI SARL U, régulières ;
Au fond
Rejette la demande avant-dire-droit d’audition de l’expert ;
Dit que seules les conclusions des points 1 et 2 du rapport d’expertise respectueux de la mission confiée à l’expert retiendront l’attention du Tribunal pour le règlement de la cause ;
Dit également que c’est le solde du compte courant n°428 250 004 00-47, seul compte ouvert par TMI dans les livres de l’UTB et qui a cristallisé tous les opérations et mouvements financiers survenus dans le cadre de leur relation (prêts, remboursements, avances sur marchés, paiements des autorités contractantes, perceptions d’intérêts), qui détermine l’état des engagements financiers de TMI ;
Constate qu’en réponse aux reports d’échéances sollicités par TMI, l’UTB a plutôt procédé à des déblocages automatiques qui sont, en réalité, de nouveaux crédits mis en place avec des intérêts ;
Déclare, en conséquence, irrégulière cette pratique de déblocages automatiques dont les montants ont été pris en compte pour le calcul du solde du compte de TMI et dit que TMI n’a pas à les supporter dès lors qu’il est établi que les avances sur marchés dont report de paiement a été sollicité, ont été effectivement payés par TMI ou les autorités contractantes ;
Juge, par contre, qu’il appartient à TMI qui conteste le montant des intérêts sur cautions et garanties réclamés par l’UTB, de relever les perceptions irrégulières et de dire ce qu’elle doit, en définitif, de ce chef ;
Rejette, en conséquence, sa demande reconventionnelle tendant à ne pas prendre en compte le montant de ces intérêts ;
Dit que le solde du compte de TMI, après comparaison des montants inscrits à son débit et à son crédit et après soustraction des irréguliers déblocages automatiques est plutôt créditeur de la somme de cinq cent trente-sept millions huit cent trente-sept mille huit cent douze (537.837.812) F CFA ;
Rejette, en conséquence, la demande principale de l’UTB aux fins de condamnation de TMI à lui payer la somme de cinq cent quarante-six millions cent trente-deux mille deux cent trente-cinq (546.132.235) F CFA en principal et celle de quatre-vingt-seize millions sept cent vingt mille quatre cent cinq virgule cinquante-neuf (96.720.405,59) F CFA au titre des frais de poursuite et d’exécution forcée ;
Condamne, par contre, l’UTB à payer à TMI la somme de cinq cent trente-sept millions huit cent trente-sept mille huit cent douze (537.837.812) F CFA ;
Lui enjoint de créditer le compte de TMI dudit montant dès le prononcé du présent jugement sous astreintes de deux millions (2.000.000) F CFA par jour de résistance ;
Juge que dans l’exécution de la convention de compte courant liant les parties, l’UTB a manqué à ses obligations de bonne foi et de loyauté au préjudice de TMI ;
Condamne, en conséquence, l’UTB à payer à TMI la somme d’un milliard deux cent millions (1.200.000.000) F CFA à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices économique et moral subis par cette dernière ;
Dit que l’ensemble des condamnations prononcées produira des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;
Constate qu’il y a urgence et péril en la demeure et que TMI, avec l’hypothèque conventionnelle consentie, offre des garanties de répétition si la décision définitive dans cette affaire venait à être rendue en faveur de l’UTB ;
Ordonne, en conséquence, l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant toute voie de recours et sans constitution de garantie ;
Condamne l’UTB aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Mawulikplim GBETOGBE, Avocat aux offres de droit.
L’affaire dans sa continuité
L’UTB ainsi condamnée, ne lâche pas l’affaire. Le même jour du verdict elle interjette appel au niveau de la Cour d’Appel de Lomé qui suspend l’exécution de la condamnation par ordonnance de sursis à exécution n°0474/2021 du 17/03/2021.
Depuis ce jour le délibéré devient un serpent de mer. L’affaire va de report en report à cause de moult manèges des conseils de l’UTB. Alors que le dossier devrait passer en audience le 19 mai 2021, ces derniers se sont présentés à la barre sans déposer les conclusions de l’appel malgré tout ce temps écoulé. Cette situation a contraint le Vice-président de la Cour d’appel et président d’audience à renvoyer le dossier au 16 juin 2021, soit quelques semaines et non trois mois comme l’ont demandé les conseils de l’UTB sous prétexte que le jugement est volumineux (près de 90 pages). Cela fait partie même des paradoxes de ce dossier, parce qu’on ne voit pas pourquoi une partie qui réclame une condamnation, fait tout pour repousser le verdict alors qu’elle se dit être lésée.
En tout cas, comme ce fut le cas au niveau de la première instance l’expert-comptable Yawo DJIDOTOR a été commis pour dit-on « éclairer la Cour sur les déblocages automatiques ou crédits novateurs placés sur le compte de la société TELE MOBIL ouvert dans les livres de l’UTB, leur conformité aux règles bancaires et tous autres aspects contentieux de la relation des parties ». Celui-ci démissionne et délaisse le dossier. Un second a été commis. Il s’agit de Kossi ADJIGNON. Mais lui aussi a préféré jeter l’éponge. Les mois passent et le dossier est bloqué.
Pendant ce temps, comme nous l’avions martelé plus haut, les activités de TMI sont à l’arrêt avec tout ce qui suit comme préjudices. Alors que l’autre partie, l’UTB continue de fonctionner. Un coup terrible porté à la société qui permettait pourtant à de nombreux Togolais de trouver leur pain quotidien.
Par ailleurs, il y a lieu de souligner que cette façon de faire perdurer le verdict final viole les textes de l’accord de Kigali, portant création de la zone de libre-échange continentale africaine et de ses protocoles sur le commerce des marchandises, le commerce des services et sur les règles et procédures relatives au règlement des différends. Adopté à Kigali au Rwanda le 21 mars 2018 et ratifié par le Togo cet accord fixe à seulement cent (100) jours la durée maximale pour rendre le verdict dans une affaire commerciale. Difficile de comprendre alors pourquoi cette affaire, pourtant ramenée en cabinet pour cause de célérité, selon nos informations traîne encore plus d’un (01) an six (6) mois.
L’indifférence des autorités
Nous sommes en Afrique avec ses valeurs cardinales. Si quelque chose ne tourne pas rond pour un enfant son dernier recours est son père ou sa mère. Il en est de même dans nos pays où nous avons les autorités comme recours quand nous sommes en difficultés. Dans le cas d’espèce le responsable de TMI a décidé de saisir les autorités compétentes afin que le processus soit accéléré et que la justice soit faite.
C’est ainsi qu’il a adressé un courrier au ministre de l’Economie et des Finances Sani Yaya et le Garde des Sceaux, ministre de la Justice Pius AGBETOMEY le 21 avril 2021. Il va plus loin pour saisir le Premier ministre Victoire TOMEGAH-DOGBE à travers un courrier en date du 24 août 2021. Dans sa démarche il a également appelé le président de la République, Faure Gnassingbé à la rescousse via deux courriers successivement le 21 avril et le 25 août 2021. A l’heure où nous mettons sous presse, toutes ses interpellations sont restées lettres mortes et le dossier est toujours pendant devant la Cour d’appel.
Au demeurant, il apparait évident que des mains noires tapies dans l’ombre font feu de tout bois pour noyer non seulement le dossier mais les chances de TMI de rentrer dans ses fonds pour redémarrer ses activités. Il nous souvient qu’il y a quelques mois le président de la Cour suprême, Abdoulaye Yaya dans l’une de ses sorties dressait un portrait peu reluisant de la justice togolaise. Cette affaire est une aubaine qui doit être saisie par la justice pour redorer son blason auprès de la population. Ce serait dommage pour l’image de notre pays si ce dossier aussi atterrit sur la table des institutions internationales parce qu’elle n’a pas pu être résolue sur le plan national. Pour le bien du climat des affaires, il faut que cette affaire soit vidée et que la partie incriminée s’exécute.
Gabriel BLIVI
Le Panafricain N°067 du Mercredi 31 Août 2022
J’admire et salue les talents innombrables de l’auteur de ce texte! En effet pénétrer et restituer les mécanisme technico-ténébrux de cette affaire nécessite outre une forte culture ad-hoc, un esprit de discernement puissant à nul autre pareil! Bravo!