L’aisance de la connexion entre le pape François et la jeunesse de RDC avait de quoi faire pâlir d’envie les dirigeants politiques africains, qui ont tant de mal à dialoguer avec cette frange de la population qui constitue pourtant l’avenir de leurs nations.
« Ôtez vos mains de la République démocratique du Congo, ôtez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. » Dès sa première prise de parole en terre congolaise, le pape a donné le ton. La visite de François en RDC a été jalonnée de messages puissants. Faut-il donc en déduire qu’elle est réussie ?
Comme il serait malaisé de conclure le contraire ! Au-delà de la ferveur de l’accueil, et de la tonicité des messages délivrés, chaque jour du souverain pontife sur le sol congolais aura été l’occasion, pour lui, de marquer puissamment les esprits. Aucun des maux qui minent le Congo n’a été oublié. Aucun des protagonistes des tragédies imposées à ce peuple n’a été épargné. Chacun a été rappelé à ses devoirs. Y compris le clergé. Y compris les dirigeants. Mobutu, autrefois, situait la position de son pays en Afrique comme la gâchette sur un pistolet. Le successeur de Saint-Pierre, lui, assimile la RDC, pays immense et plein de vie, au « diaphragme de l’Afrique ». Entre l’oxygène que le diaphragme permet de faire circuler dans le sang et le sang que font couler les pistolets et autres armes guidés par l’insatiable avidité des prédateurs, le choix des Congolais devrait être simple.
Mais, contrairement au président Tshisekedi, il n’a pas nommément cité les méchants.
Il n’empêche ! Tous se reconnaîtront, puisqu’il a dressé le portrait de ceux qui se sont imposés au festin du sous-sol congolais, comme de ces autres qui, un temps conviés par un certain Laurent-Désiré Kabila, ont oublié de s’en aller, et ont besoin d’un environnement déstabilisé, pour perpétuer la prédation. C’est aussi à dessein qu’avec gravité, le pape désigne comme un « génocide oublié », la violence que subissent les populations de l’est du Congo.
François a tout dit, en dénonçant le colonialisme économique, tout aussi asservissant, tout particulièrement en RDC, que le colonialisme politique, puisqu’il empêche ce peuple, qu’il assimile à un « diamant précieux d’une valeur inestimable », de profiter de ses immenses ressources. Mais, ce fléau n’est pas que le fait des seuls étrangers. Aussi, a-t-il exhorté la jeunesse à se prendre en main, pour changer de destin.
L’apothéose, c’était bien cette messe en plein air, avec plus d’un million de fidèles, n’est-ce pas ?
Il y a bien eu d’autres moments intenses. Mais, tant d’hommes politiques auraient, en effet, tout donné pour une telle audience ! Depuis le début de ce siècle, seul Barack Obama a fait mieux, le jour de son investiture, en janvier 2009, avec quelque 1,8 million personnes au National Mall, à Washington. Dans une Afrique où tant de politiciens paient pour attirer, péniblement, quelques milliers de foules chétives à leurs meetings, même les 60 000 jeunes rassemblés pour échanger avec le Souverain Pontife feraient des envieux. C’est dire qu’il existe potentiellement une audience pour les leaders qui ont un message à transmettre à leur peuple. À la condition, impérieuse, de jouir d’un minimum de crédibilité, et d’être capables de vérité.
Après leurs échanges avec ce pape de 86 ans, qui les a encouragés à abhorrer la vénalité ambiante, ces jeunes Congolais rayonnaient d’enthousiasme, prêts à se prendre en main, pour changer de destin. « Il a entendu nos cris ! […] Il a vraiment compris le message de la jeunesse ! […] Nous sommes victimes de l’indifférence de nos dirigeants ! […] Nous naissons dans la guerre, grandissons dans la guerre, et les nôtres sont en train de mourir dans la guerre ! » Les témoignages recueillis sur le vif par Patient Ligodi étaient d’une sincérité émouvante. À en avoir la chair de poule.
Chronique de Jean-Baptiste Placca du 4 février 2023