Au Togo, la variabilité climatique perturbe la production de maïs, principale culture céréalière du pays. La tendance baissière des rendements à une incidence sur le prix de vente des semences, au grand désarroi des agriculteurs, qui, de plus en plus, lorgnent du côté des variétés performantes et résilientes au changement climatique. Mais là aussi,… c’est la croix et la bannière !
Par Mawuédem Akotoh
Flambée du coût du maïs sur les marchés
« 252 francs le kilogramme de maïs ! » C’est le prix de vente qu’affichent presque tous les marchés de Lomé, la capitale togolaise, ce mois de février (2023). Un prix qui ne cesse de fluctuer. Entre acheteurs et vendeurs, c’est des négociations à n’en point finir ; d’un côté, l’on veut revoir le coût du kilogramme à la baisse, de l’autre, l’on s’y accroche… Et chacun d’y aller de ses arguments.
« Le bol de 2,5 kg est à 750 kg contre 650 francs il y a quelques mois. Cela est dû en partie à la rareté des pluies. À Kpalimé, (120 km au nord-ouest de Lomé), nous payons le sac entre 40 000 francs et 42 000 francs », explique Kossi Tovinyawo, la trentaine, commerçant au marché de Hédzranawoè, l’un des principaux marchés de Lomé.
Pour qui trouve ‘cher’ le prix de kilogramme de maïs ordinaire, trouvera encore ‘plus cher’ le prix du kilogramme de maïs des semences améliorées.
À la merci des caprices de Dame Nature
Il faut s’éloigner des marchés, des pôles urbains, et pénétrer au cœur des zones de production de maïs pour mieux comprendre la flambée des coûts de cette céréale sur les marchés.
Dans les champs de maïs, les agriculteurs sont très remontés contre les perturbations climatiques et leurs incidences sur les rendements. Ils ne décolèrent pas !
Kodjovi Amezian, paysan à Attitogon Dossa Kopé, dans la commune de Bas-Mono 2, région maritime du Togo, n’en peut plus de subir les caprices de Dame Nature.
« L’agriculteur sait qu’à partir de Mars normalement la grande saison des pluies commence et on sème avec les premières pluies », affirme Kodjovi.
« Aujourd’hui, les pluies cessent déjà après Mars et mi-avril. Et il y a un retard constaté au niveau du développement des cultures. Au lieu que les plants soient peut-être au niveau floraison en Mai c’est plutôt le temps de semis », se désole-t-il.
Poussés dans le dos par le climat
Les plaintes ne sont guère surprenantes dans un pays, où « le secteur de l’agriculture se révèle très vulnérable aux Changements Climatiques », comme le souligne la quatrième Communication nationale sur les changements climatiques du Togo. Selon ledit document, les poches de sécheresse ont occasionné en 2014, la perte de 0,9 tonne par hectare de culture de maïs. Une situation qui s’est exacerbée, en 2015 avec la perte de 1,3 tonne par hectare de maïs.
Le Plan National d’Adaptation aux Changements Climatiques du Togo (PNACC) est aussi prévisible à ce sujet.
« Le déficit hydrique, l’assèchement du climat et l’augmentation de températures entraîneront des diminutions des rendements des cultures particulièrement les céréales (maïs et sorgho spécifiquement), qui constituent la base de l’alimentation de la population togolaise. Cela fragiliserait la sécurité alimentaire du pays qu’aggravera la flambée des prix des denrées », renseigne ledit document.
Et c’est déjà le cas dans le nord du pays, où la variabilité climatique perturbe le calendrier agricole et déboussole les producteurs.
« Ici, si vous semez le maïs en Mai vous pourrez récolter. Jusqu’à mi-juillet, vous pouvez récolter si vous avez la chance. Entre le 20 et 1er août, vous n’aurez rien ! », raconte Payata Simtagna Boni, producteur de maïs dans la Binah, région de la Kara.
Un palliatif existe : Les semences améliorées résilientes au changement climatique
Pour le PNACC, la situation n’est pas pour autant désespérée, il existe un palliatif : « [La] promotion des variétés performantes, résilientes aux changements climatiques ». Les responsables du Programme sont unanimes quant à l’explication du recours à cette méthode, comme moyen d’adaptation au changement climatique et mesure préventive contre l’insécurité alimentaire.
Kodjovi, qui a désormais recours à ces semences, est formelle. « Avec les semences améliorées, le taux de germination est élevé, les cycles de développement des cultures sont courts. Aussi, les semences améliorées n’ont pas besoin d’assez d’éléments nutritifs pour leur développement. C’est comme si déjà à leur production elles sont dotées d’une certaine capacité qui leur permettent d’évoluer rapidement », soutient-il.
C’est au bas mot un financement de dix millions de dollars américains que Le Plan National d’Adaptation aux Changements Climatiques prévoit pour déployer pleinement ce programme de culture résiliente.
Coût d’achat des semences : un frein pour les agriculteurs ?
Mais sur le terrain, les semenciers attendent des appuis.
« Nous sommes des producteurs, mais on n’a pas atteint le stade entrepreneur. On n’a pas de financement pour la production des semences. On le fait avec les moyens de bord », martèle Payata.
Pour Payata, ils sont assez nombreux les producteurs de maïs désireux de recourir aux semences améliorées, résilientes au changement climatique, pour améliorer leur rendement. Mais le coût relativement élevé des semences figure au nombre des impédimenta qui entravent les progrès de ces producteurs.
« Les coûts ne sont pas abordables. Nous achetons les semences [améliorées]à 650 francs CFA le kilogramme. Mais dans le même temps, nous vendons le kilogramme de maïs produit à 200 francs CFA à peine », se plaint Kodjovi.
Une étude publiée en octobre 2022 dans la revue scientifique African Scientific Journal, sur la dépendance spatiale et l’adoption des variétés améliorées au Togo a aussi souligné cette difficulté et formulé des recommandations pour y remédier.
« [Il faudrait] rendre accessible le prix des semences aux utilisateurs par une diminution des coûts de production qui peut se faire à travers l’introduction de variétés plus performantes à l’instar des hybrides. …[Il convient] également de maîtriser les besoins des utilisateurs des variétés de semences améliorées », recommandent Tchein N’Ghalkpa et Abbévi Georges Abbey, chercheurs à l’Université de Lomé.
Des semences améliorées disponibles… mais pas si accessibles
Si les semences améliorées et résilientes aux changements climatiques sont disponibles, elles ne sont pas pour autant largement accessibles. Parfois, les producteurs de maïs sont obligés de parcourir de longues distances, d’attendre plusieurs jours pour en avoir. « Parfois, on a besoin d’autres semences en dehors de ce que nous fournit l’organisation régionale. Alors on s’adresse aux conseillers agricoles, qui doivent s’adresser aussi à leurs supérieurs, entraînant le retard de livraison », explique Kodjovi.
Lorsque les semences ne sont pas disponibles à temps et que la saison des pluies démarre précocement, la conséquence directe pour le producteur de maïs c’est d’être exposé à la sécheresse et à un rendement chétif !
La variabilité climatique, ne fait pas que courir aux producteurs de maïs togolais le risque de perdre une importante partie de leur production, elle fait planer sur tout le pays le spectre de l’insécurité alimentaire ; le maïs étant un produit de consommation de base des Togolais.
Cet article a été produit avec le soutien de Media Foundation for West Africa (MFWA), la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest, dans le cadre de son programme de bourse sur le changement climatique.