Une nation à l’histoire belle et prestigieuse, trahie par des généraux assoiffés de pouvoir. Ce pays a beaucoup donné à l’Afrique et mériterait plus de solidarité.
En une semaine d’affrontements, les troupes des deux généraux qui se disputent le pouvoir à Khartoum ont tué plus de 400 Soudanais et blessé quelque 3 500 autres. Comment est-ce possible que al-Burhan et « Hemedti », naguère unis pour compromettre la transition démocratique initiée à la chute du dictateur Omar el-Béchir, en soient à liquider les civils, comme dégâts collatéraux de leur lutte pour le pouvoir ?
Sans doute parce que ces deux généraux semblaient, jusqu’à il y a peu, concentrer leur cruauté sur les manifestants hostiles à leur putsch anti-démocratique. Or, aucune voix audible n’avait osé, dans le concert des nations, les remettre à leur place, ou condamner clairement l’illégalité de leur mainmise sur la nation. Ce peuple aux mains nues a donc été laissé en tête-à-tête avec ses bourreaux, dix-huit mois durant. Forts de la grisante assurance née du sentiment d’impunité, ces généraux, dans leur soif effrénée de pouvoir, en sont à s’estimer libres, désormais, de semer la terreur. À quoi bon s’en étonner, à présent, ou verser des larmes de crocodiles ? Les chancelleries auraient pu, auraient dû peser de tout leur poids, pour tempérer l’élan répressif de ces généraux. Désormais, la violence guette leurs propres ressortissants au Soudan. Il y a toujours des conséquences aux manquements graves, qu’ils relèvent de la couardise ou de l’indifférence. À force de feindre de ne pas voir les massacres qui se perpétraient, on a implicitement donné à ce pouvoir contestable le feu vert, pour oser le pire. Et les pays qui auraient dû mettre un coup d’arrêt aux exactions d’al-Burhan et de « Hemedti » en sont réduits à dépêcher des navires de guerre, ou à mobiliser dans la précipitation d’autres moyens, pour espérer mettre leurs ressortissants à l’abri.
Après tout, n’est-ce pas le devoir de ces gouvernements que de sécuriser leurs concitoyens vivant au Soudan ?
Ils auraient pu ne pas avoir à le faire, et cela aurait sans doute aussi épargné la vie de nombreux Soudanais. Le plus dur, en réalité, est la persistance de la communauté des nations à traiter ces généraux comme des dirigeants, qu’ils ne sont pas. Dans certains pays du continent, le métier de militaire semble être désormais l’apanage d’aventuriers assoiffés de pouvoir, dont le seul mérite est de savoir manier les armes. Vautrés dans les attributs du pouvoir, ils en abusent, au mépris de la vie des autres, ne vivent que pour leurs intérêts égoïstes et, telle la maffia, mettent en coupes réglées les territoires qu’ils contrôlent. On en regretterait, presque, les putschistes d’autrefois. Eux, au moins, savaient faire semblant d’être… dignes et honnêtes !
Al-Burhan et « Hemedti » prétendent tous deux aimer leur patrie…
L’on n’en est que plus triste pour ce peuple de grande et prestigieuse histoire, instruit et cultivé, qui alignait, jadis, des compétences dont toute l’Afrique était fière. À l’indépendance, le Soudan pourvoyait les institutions africaines en cadres de très haut niveau, parmi les meilleurs. Le premier président de la Banque africaine de développement, Mamoun Beheiry, était Soudanais. Ce pays a aussi donné deux présidents à la Confédération africaine de football. La liste est interminable…
Nation pleinement africaine, le Soudan était l’État qui partageait le plus de frontières avec d’autres pays en Afrique : Centrafrique, Tchad, Égypte, Libye, Éthiopie, Érythrée, et le Soudan du Sud, aujourd’hui indépendant, qui l’isole de trois ex-voisins : RDC, Ouganda et Kenya. Certes, le Ghana se revendique comme premier État indépendant d’Afrique noire, en 1957. Mais, c’est dès 1956 qu’a été proclamée l’indépendance du Soudan, qui était aussi une nation avec une forte composante noire. L’Afrique n’a vraiment pas le droit d’abandonner ce peuple à son sort !
Jean-Baptiste Placca