Dans bien des nations africaines, le clergé joue, depuis les indépendances, un rôle essentiel, pour rappeler, notamment à la classe politique, ce qui est juste. Pour le bien de tous.
Dans son message pascal, le cardinal Fridolin Ambongo s’est insurgé, dimanche dernier, contre le projet de loi visant à écarter de la course à la magistrature suprême tout candidat dont les deux parents ne seraient pas congolais d’origine. Quelle importance faut-il donner à l’implication de l’archevêque de Kinshasa dans ce débat ?
Cette implication était indispensable, d’autant qu’il manquait, sur cette question ultra-sensible, une voix à la fois neutre et crédible, pour alerter l’opinion et mettre les hommes politiques en garde contre les risques que ferait courir une loi d’exclusion sur mesure à la RDC et au peu de cohésion qu’il lui reste.
Des prétendants connus à la magistrature suprême, Moïse Katumbi semble le seul concerné par ce projet, inspiré par des politiciens à qui le poids électoral supposé de l’ancien gouverneur du Katanga donne, à l’évidence, quelques petits complexes. À quel point leur faut-il manquer de perspicacité, pour espérer tirer bénéfice d’une éventuelle disqualification de Katumbi ! Nul doute, par contre, que tout le peuple congolais subirait fatalement les retombées néfastes de la « congolité », comme le peuple ivoirien a subi, naguère, les ravages de l’ivoirité. Ce n’est donc pas une preuve d’amour pour sa patrie que de l’engager dans une aussi aventureuse expérimentation.
Y a-t-il quelque fondement à l’idée que le patriotisme est fonction de cette double origine parentale ?
Aucun. Et il a raison, cet auditeur d’Appel sur l’actualité qui rappelait fort justement sur RFI que la quasi-totalité des dirigeants qui ont conduit la RDC à la faillite, ces dernières décennies, sont nés de parents tous congolais. On peut n’avoir qu’un seul parent congolais d’origine, et aimer le Congo davantage que ne l’aiment certains de ceux qui se partagent la responsabilité du passif qui a fait de ce pays un de ceux qui assurent à leur peuple les conditions de vie les moins glorieuses, alors qu’il est l’un des plus dotés par la nature sur ce continent.
Il fallait que cela soit dit, et l’on se félicite que le cardinal ait eu le courage de dénoncer ces diversions hasardeuses. Dans une société autant minée par les divisions basées sur les intérêts de clans et autres, l’épiscopat est un pôle de relative concorde. Et lorsqu’une voix comme celle du cardinal Ambongo s’élève, l’on sait qu’elle défend avant tout l’intérêt général, même si l’homme peut ne pas être parfait, ou irréprochable en tout.
Peut-on soutenir que l’épiscopat a souvent rempli ce rôle, ailleurs sur le continent ?
On peut le dire. Notamment pour l’avènement de la démocratie ou, plutôt, la fin des régimes dictatoriaux de parti unique. Plus généralement, le clergé, depuis les indépendances, a révélé des hommes d’église courageux, dont quelques évêques rebelles. Les Camerounais vous parleront, par exemple, du cardinal Christian Tumi, sans concession vis-à-vis du régime de Yaoundé, jusqu’à sa mort, en avril 2021. D’autres, plus anciens, vous parleront de Mgr Albert Ndongmo, évêque de Nkongsamba, dont les prêches virulents, dans les années 60, plaisaient peu au régime Ahidjo. Qui a bien tenté de l’utiliser comme médiateur avec les rebelles de l’UPC, avant de l’arrêter, et de le condamner à mort, en 1970. Peine commuée en prison à vie. Libéré en 1975, il est exilé au Canada, jusqu’à sa mort, en 1992.
Au Vatican, on reprochait aussi à Mgr Ndongmo d’avoir créé, dans son diocèse, une petite industrie plastique, dont les bénéfices finançaient des bourses d’études pour les enfants de familles démunies. « Votre mission est de conduire les âmes au ciel, et non de faire de la production économique », s’entendit-il réprimander par le Saint-Siège. Sa réplique, mémorable, fut celle-ci : « On ne peut pas conduire les âmes au ciel, en faisant comme si la terre n’existait pas ! »
Chronique de Jean-Baptiste Placca