Quelle est la place de l’Afrique dans l’Église universelle ? En prélude de la Journée mondiale de l’Afrique célébrée le 25 mai, La Croix Africa propose un débat sur ce thème. Parmi les cinq intervenants qui donnent leur point de vue, Roger Ekoué Folikoue, universitaire, chrétien catholique et philosophe.
Le 25 mai de chaque année est célébrée la journée mondiale de l’Afrique en référence à la date de fondation de l’Organisation de l’Union Africaine (1963), devenue, Union Africaine (9 Juillet 2002). L’Afrique, comme entité, porte des revendications et l’une des plus fondamentales concerne sa place dans les différentes institutions du monde. Ainsi, elle revendique, par exemple, une plus grande visibilité à l’ONU et surtout dans le Conseil de Sécurité où sont prises les grandes décisions. À la Fifa, elle a fait entendre sa voix pour l’augmentation du nombre des équipes africaines à la Coupe du monde. Du statut d’oublié, du continent méprisé qui subit, l’Afrique veut avoir son mot à dire car elle ne veut plus être le continent assujetti, où tout est souvent déjà pensé pour elle. Elle estime qu’elle a une identité à défendre, des valeurs à partager et une contribution à apporter et ceci dans tous les domaines.
La question de la place de l’Afrique dans les institutions du monde ne peut pas épargner l’Église, fût-elle une institution théandrique. Normalement si une institution devrait agir avant même la revendication formulée par l’Afrique aux autres institutions, ce serait l’Église, communauté rassemblée par Dieu, Sauveur de tous les hommes et de toutes les femmes créés, par amour, à son image et à qui liberté et égalité sont reconnues comme éléments constitutifs de leur être et à ce titre ils jouissent tous d’une même dignité qui fonde la Fraternité, celle présentée et défendue récemment par le Pape François dans son encyclique Fratelli Tutti. Mais malheureusement, dans l’Église la question de la place de l’Afrique est aussi posée et se pose d’ailleurs avec plus d’instance.
Nombre de représentants africains dans les instances les plus élevées de l’Église
À partir des faits et des statistiques, on peut penser que c’est un simple problème de nombre ou de représentants africains dans les instances les plus élevées de l’Église. Sur 122 cardinaux électeurs, il n’y a que 16 cardinaux africains alors qu’une grosse part est accordée à l’Europe qui dispose au moins d’une soixantaine. Ce déséquilibre, qui a certainement des raisons historiques que l’Église pourrait partager avec d’autres institutions mondiales, telles que l’ONU et la Fifa, citées plus haut, peut vite apparaître injustifié si on se place sur d’autres plans surtout celui que l’Église pourrait revendiquer comme institution-témoin, à cause du message de la Bonne Nouvelle d’un Dieu qui aime tous les hommes et toutes les femmes de toutes les nations, de tous les peuples, de toutes les races et de tous les continents. Mais la revendication de la place de l’Afrique dans l’Église universelle semble ne pas être prise en compte à sa juste valeur. Et au-delà de nombreuses raisons qui existent et constituent des points de blocage dans une institution qui prend souvent le temps pour agir et pour transformer les choses, on peut évoquer et analyser un élément de la lenteur constatée.
Dans son contact avec l’Occident et surtout avec la colonisation et la venue des premiers missionnaires, l’Afrique était considérée comme une terre de mission. Et aller en mission, c’est pour enseigner, évangéliser, diffuser la Bonne Nouvelle en vue de faire des disciples. Les missionnaires, avec bateaux, découvraient ainsi, selon eux, un continent vierge, une absence de structures etc. et ils ont pensé à des peuples sans culture, ou avec des cultures à changer, des pratiques à faire disparaître pour adopter celles du colon et des missionnaires comme les bonnes et les plus civilisées. L’absence de structures et la pauvreté étaient si criardes qu’on peut facilement avoir l’impression que tout est à inventer ou à importer non seulement pour l’évangélisation mais aussi sur le plan humain.
Le manque de structures socio-culturelles (école, centre de formation, centre de santé etc.) en était une attestation. Ainsi, la première évangélisation reposait sur un paradigme qui a permis aux missionnaires de fonctionner et de donner le meilleur d’eux-mêmes malgré une vision parfois problématique à certains égards. La terre de mission a ainsi produit beaucoup de baptisés et l’Afrique, devenue pourvoyeuse de vocations, n’a pourtant pas une grande place dans l’Église universelle.
Pape noir ?
Sa revendication pour plus de place pourrait-elle aboutir si on ne change pas de vision sur elle et surtout si on ne modifie pas le paradigme avec lequel on fonctionne ? Depuis l’élection de Barack Obama aux États-Unis, un Africain d’origine, président des États-Unis, qui n’a pas beaucoup changé de chose sur le continent africain, on peut se dire que le problème n’est pas forcément d’avoir un pape noir ou africain. Cela est certes nécessaire, mais ce n’est pas le plus indispensable sinon on restera dans le symbolique et le cosmétique mais ce qui est plus important c’est de voir l’Afrique autrement, un continent qui a son mot à dire au plan théologique, liturgique avec la question essentielle des rites et des symboles pour faire face aux problèmes de l’inculturation afin que la Bonne Nouvelle ne « déstructure » pas l’Africain en quête d’identité mais soit une Parole qui permet d’accueillir Le Christ comme le Verbe qui éclaire tout être humain qui vient en ce monde. Le Parole de Dieu doit être une parole libératrice et source d’énergie. Toute la théologie de « semina verbi » ne doit-elle pas être repensée en regardant le lien entre la Bonne Nouvelle et nos cultures avec les rites et symboles ? Mais l’Afrique pourrait-elle avoir sa place si elle n’ose pas davantage pour passer d’une Église en Afrique (paradigme d’institution étrangère) à une Église d’Afrique (paradigme du particulier qui justifie l’existence de l’universel) ?
Ce passage a besoin d’un travail théologique audacieux et conséquent pour que, par exemple, le concept même d’Église-famille soit vecteur de vie et non un slogan théologique. La parabole de l’ouvrier de la dernière heure (Mt 20, 1-16) mais ayant reçu le même salaire que le premier ne pourrait-elle pas servir pour déconstruire certaines idées qui empêcheraient la reconnaissance de la place de l’Afrique dans l’Église universelle ? Une certaine compréhension de l’universel ne libérerait-elle pas des énergies pour une nouvelle organisation de l’institution-Église qui a pourtant le principe de la collégialité dans ses textes? Et si le synode sur la synodalité, le « Marchons ensemble » était une grâce pour l’institution de réfléchir sur toutes ces questions sans tabou ?
africa.la-croix.com
Les religions sont humaines, trop humaines c’est pourquoi l’on se bat beaucoup plus sur les places et les positions à occuper