La question a été abordée par le leader du Parti des Togolais, Nathaniel Olympio dans un nouveau post sur sa page Facebook. Lire sa réaction.
La justice togolaise mise à mort par une mauvaise gouvernance
Après près de quinze ans à la tête du ministère, l’inamovible ministre de la justice vient d’être soudainement limogé. Dans quel état laisse-t-il l’administration judiciaire ?
L’institution judiciaire va très mal au Togo. Rendre la justice est devenue une vente aux enchères. C’est le plus puissant qui l’emporte. Des auxiliaires de justice jusque dans les hautes sphères, la corruption a pénétré tous les services de cette administration. C’est en substance ce que disait en décembre dernier le président de la Cour suprême et président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), sa deuxième sortie sur le sujet – quelque peu curieuse vu son statut – en moins de deux ans. Alors, si les plus hautes autorités judicaires dénoncent souvent cette situation, pourquoi n’observe-t-on aucune amélioration depuis tant années ? Peut-être faut-il chercher du côté de la gouvernance même du pays.
Il suffit de parcourir certaines juridictions du Togo pour voir quelles ignobles conditions de travail l’administration centrale impose au corps judiciaire. On ne peut pas les citer tous, mais, faire un tour dans les tribunaux de Tsévié, Notsé, Tohoun, Agou, Tabligbo, Vogan, Kévé, Tohoun, Elavagnon, Kpalimé, Amlamé, Danyi, Badou, Mango, Kanté…. donne l’occasion de voir l’état de délabrement avancé des locaux. Il a fallu l’aide des partenaires européens, pour que les tribunaux de Kara et de Dapaong échappent à cette misère des infrastructures. Concernant le tribunal de grande instance de Lomé, il a fallu aussi attendre que le tribunal militaire y siège pour qu’il fasse peau neuve, en moins d’une semaine.
Des magistrats aux greffiers, tous sont logés à la même enseigne. Ces derniers ont vu leur projet de statut retiré du circuit suite à un mouvement de grève, et depuis lors rien n’est fait pour eux. En somme, une punition pour décourager des grèves.
Les nombreuses anecdotes prêteraient à sourire s’il ne s’agissait pas d’un sujet très sérieux qui plonge toute la population togolaise dans un désarroi. Ne soyez pas surpris de voir un vendeur de cacahuètes, de fruits ou d’articles divers dans les couloirs, voire dans le bureau d’un juge pour proposer ses produits, alors que vous êtes en pleine séance. La raison fondamentale est qu’il n’existe pas de service pour filtrer les entrées. Les magistrats sont donc très facilement accessibles, ce qui les expose à des risques.
L’autre bizarrerie, c’est qu’il n’est pas rare de voir les magistrats tenir une audience sous un arbre, en déplaçant les chaises au gré du soleil. On se croirait au temps de l’arbre à palabre. Parfois, quand les magistrats sont affectés ailleurs, l’administration centrale leur attribue un bureau vide, sans aucun meuble. Il revient à chacun de s’équiper par des moyens personnels. Et quand ils quittent leur fonction, ils repartent bien entendu avec leurs biens. A certaines occasions, ce sont des avocats et biens d’autres personnes de bonne volonté qui fournissent des équipements aux magistrats, ou des consommables aux greffiers, des choses toutes simples comme l’encre pour les imprimantes.
Quand un avocat ou un citoyen achète un climatiseur ou le fauteuil d’un magistrat, le rapport entre les deux personnes se déséquilibre. Comment dans ces conditions de travail, les magistrats ne se sentiraient-ils pas redevables, au point de biaiser leurs décisions en faveur de leurs bienfaiteurs ? Finalement, en ne donnant pas les outils de travail aux magistrats, l’administration centrale favorise ce phénomène qui est un point de départ de la corruption et qui met à mal l’indépendance et l’efficacité de l’institution judiciaire.
Un autre point affaiblit le bon fonctionnement de la justice. C’est la fermeture incompréhensible du parquet d’instance dans certaines juridictions, à l’exemple de Kévé qui n’a donc plus de Procureur de la République à l’aune de la nouvelle organisation judiciaire. Ce qui pénalise les justiciables par un coût de justice élevé, à cause des voyages pour se rendre à une Cour d’appel éloignée. La conséquence directe est que la charge de travail des magistrats augmente, ce qui dégrade la qualité du service et empire la lenteur judiciaire.
Un autre aspect de fragilité de notre système judiciaire, est l’absence de l’aide juridictionnelle. Alors que le chef de l’Etat avait promis depuis 2007 une enveloppe de 100 millions cfa par an – ce qui est ridiculement peu – les justiciables démunis de moyen n’ont toujours pas vu la couleur de cette aide dix-sept ans plus tard. C’est une situation qui ne met pas tous les citoyens au même pied d’égalité face à la justice. Une violation flagrante de la Constitution.
Dans la même année de sa prise de pouvoir, Faure Gnassingbé a organisé un séminaire de l’appareil judicaire qui a débouché sur le « Programme national de modernisation de la Justice ». Un projet de 10 milliards de francs cfa, financé par les partenaires européens à hauteur de plus de 50% dont un concours de la France un don de l’Union Européenne.
Hélas ! on constate aujourd’hui l’état de délabrement avancé de l’institution judiciaire, incapable d’équité, à cause de la corruption et de son dysfonctionnement général. La responsabilité de cet échec est avant tout celle du chef de l’Etat en personne qui est le garant constitutionnel de la qualité et de l’efficacité de toutes les institutions de l’Etat, et de son désormais ex-ministre de la justice.
Parfois, il est utile de s’inspirer de ce qui fonctionne chez le voisin. Au Bénin, pour lutter contre le racket des forces de sécurité sur les routes, les commissariats et les postes de gendarmerie ont été dotés depuis 2016 d’un budget de fonctionnement et de renseignement, ce qui n’était pas le cas précédemment. Et les résultats sont palpables.
Depuis près de deux décennies, le régime s’est engagé à l’édification d’un secteur judiciaire qui offre un cadre rassurant et qui ne pratique pas une justice pour les puissants. Les Togolais attendent en vain cette promesse.
La tâche qui attend le ministre fraîchement nommé est immense. Il faut espérer qu’il redonne à la justice la noblesse de ses fondements, indépendance, équité et efficacité. C’est une espérance des Togolais.
Gamesu
Nathaniel Olympio