Président du Conseil interprofessionnel de la filière soja du Togo (CIFS-Togo), Komlan Pussuwè Kadzakadè, dans une interview accordée à La Lettre agricole N°009 du 31 janvier, dévoile son ambition.
Quelles sont vos ambitions pour cette nouvelle campagne ?
C’est parvenir à réussir sans problème, sans souci cette campagne. Par rapport aux perspectives de cette année, nous avons voulu que la production soit au moins de 300.000 tonnes pour pouvoir satisfaire les deux types d’acteurs majeurs qui achètent notre graine au niveau des producteurs. Les transformateurs et les exportateurs peuvent trouver leurs comptes dans cette estimation.
Alors, êtes-vous optimiste par rapport à cette campagne ?
Pourquoi pas ? Il a suffisamment plu et nous savons que la production sera au rendez-vous. Et aussi nous avons pris conscience de la situation et pris des dispositions en amont avant d’arriver au lancement le 18 octobre dernier. Nous avons remarqué que les producteurs se sont démoralisés alors que ce sont eux qui génèrent la graine et doivent être bien entretenus. Comme ils étaient démoralisés l’année dernière à cause de la fluctuation des prix, nous sommes allés à leur rencontre. Nous les avons rencontrés sur la ZAAP de Pya à Kara d’une superficie de 700 ha pour les exhorter à ne pas arrêter la production. Cette démarche de remobilisation nous a également conduits dans les grandes zones de production du Togo.
Nous les avons convaincus que la filière ne tombera pas et que des lendemains meilleurs viendront. Au-delà des producteurs, nous avons également pensé aux commerçants, aux transformateurs et aux exportateurs qui contribuent à l’essor de la filière. Nous sommes également allés vers les banques, les microfinances, les compagnies d’assurance et avons sollicité leur accompagnement. Ce sont toutes ces démarches qui nous ont conduits à l’organisation de la journée porte ouverte. Au regard de tout cela, nous sommes confiants que la campagne va se dérouler dans de bonnes conditions.
Le prix bord-champ fixé à 200 FCFA susciterait des remous. Que répondez-vous à cela ?
Des remous ? Même les jumeaux ont toujours des divergences à un moment donné. Les 200 FCFA ne sont pas suffisants, mais c’est le contexte dans lequel le prix a été défini qu’il faut voir. Toutefois, je ne dis pas que ce prix est bon parce que c’est meilleur ; mais c’est bon pour la situation que nous vivons. Nous ne sommes pas allés à l’aveuglette avant de fixer ce prix. Avant d’y arriver, nous avons, au niveau de chaque famille de la filière, essayé de réfléchir sur nos comptes d’exploitation. Tous, producteurs, commerçants et exportateurs en ont fait avant que, ensemble, nous ne trouvions un consensus.
Au-delà, un expert international en France a été commis. Il nous a fait la lecture de la tendance baissière du prix du soja depuis l’année passée jusqu’aujourd’hui. Nous nous sommes rendu compte que cette année ne sera pas aussi très meilleure. Et pour que tout le monde puisse être dans le bain, nous n’allons pas rehausser la barre afin de ne pas éliminer certains acteurs. Il y a trois gros acteurs et il faut que nous ayons des concessions pour rester ensemble. C’est dans ce sens-là qu’on n’a pas fixé, mais on a défini un prix-plancher. Les 200 FCFA sont juste une ligne qu’on a tracée pour que l’acheteur ne donne pas un prix en dessous de ce qui est défini. Le transformateur non plus ne fixera un prix en dessous. Il faut que les producteurs comprennent que ce n’est pas un prix fixé. Mais on a défini le plancher en dessous duquel aucun acheteur ne doit descendre. Nous devons faire un effort de négociation avec nos partenaires qui sont nos clients afin d’essayer d’avoir un bon prix. Je voudrais que les producteurs comprennent ceci. Depuis que la filière est née, les deux meilleurs prix sont ceux des années 2021 et 2022. Malgré les supputations autour de la précédente campagne, le prix n’était pas en dessous de 250FCFA. 250 FCFA est le deuxième meilleur prix dans la vie de la filière. Certains vendent le kilogramme à 225 FCFA sur le terrain. Je dirai aux uns et aux autres d’avoir la patience et surtout la force dans les négociations afin d’arracher un bon prix.
Lors de la journée porte ouverte, vous avez qualifié certains d’envahisseurs. Qui sont-ils ?
Ce sont ceux-là qui n’ont pas investi dans la filière, mais attendent le lancement de la campagne. Ils débarquent avec des valises pleines d’argent et achètent la graine en spéculant sur le prix. De fait, ces envahisseurs ignorent celui qui a accompagné le producteur depuis le début de la saison jusqu’à la commercialisation. Ces gens-là ont contribué à l’endettement de plusieurs producteurs.
Pourquoi vous ne les nommez pas ?
Ce sont des expatriés qui n’ont pas financé la filière. On ne va pas se voiler la face, ce sont des Indiens, des Chinois, des Pakistanais. Ce sont des gens qui viennent envahir un certain temps la filière en ternissant son image. Ce sont des gens qui sont peut-être dans le blanchiment d’argent. Comment comprendre que quelqu’un débarque, et sans tenir compte de la valeur des choses, surestime le prix du soja ? C’est une question que nous nous posons. Toutefois, nous leur accordons le bénéfice du doute ; mais nous en appelons aux autorités à regarder de près ces gens-là qui viennent en temps de récolte pour ravir toute la graine auprès des producteurs et des agrégateurs.
La finalité avant tout, n’est-elle pas de vendre la graine ?
Certes, le but est de vendre le soja, mais nous n’allons pas vendre aujourd’hui et ne plus vendre demain. Le client fidèle et qui est impliqué dans la production est meilleur que celui qui n’a pas financé et a pour seul but de spéculer en ajoutant 25 ou 50FCFA sur le prix-plancher défini. Ce dernier partira et ne reviendra peut-être jamais lorsqu’il ne trouvera plus ses intérêts. Alors que celui qui a accompagné de bout en bout le producteur restera à ses côtés dans n’importe quelle situation.
Cette situation ne risque-t-elle pas de fragiliser la filière ? Puisqu’il y a certains producteurs qui font exclusivement dans les exportations.
Non. Si on est vraiment ordonné et organisé, notre pratique va plutôt nous conduire sur le long terme.
En faisant le choix de donner beaucoup de place à la transformation sur place, cela ne risque-t-il pas de fragiliser les producteurs qui sont tournés vers l’exportation ?
Cela ne va pas les fragiliser. La vision du chef de l’Etat, c’est de transformer les matières premières que nous envoyons de l’autre côté. Nous avons mis en place un plan stratégique qui vise à développer la transformation locale, tout en pérennisant la place de premier exportateur que le Togo occupe depuis quatre années. C’est un prestige pour nous que notre pays occupe ce rang et nous n’allons pas bâcler cela. Il faut consolider cette place tout en développant la transformation.
Les trois familles, les producteurs, les commerçants et les transformateurs qui sont dans l’interprofession se sont dit que pour valoriser la filière, il faut qu’il y ait l’exportation et la transformation. C’est l’exportation qui a tiré la filière vers le haut. C’est elle qui l’a développée. Nous avons pris des dispositions dans notre plan stratégique pour qu’il n’y ait pas de problème.
Le Togo dispose-t-il des moyens pour la transformation à grande échelle ?
Pourquoi pas ? De jeunes togolais ont créé des entreprises dans plusieurs domaines et ils peuvent en créer dans la filière soja. Il y a beaucoup de Togolais qui excellent dans la transformation, mais très peu sont orientés vers le soja. Et ça va venir. Je lance un appel aux politiques et aux autorités de créer des champions nationaux dans la transformation du soja au Togo. La transformation n’est pas en soi un problème, mais c’est la manière de la gérer qui est importante. Notre plan stratégique a tout prévu, les semences de qualité, à haut rendement pour booster la productivité, on aura assez de volume et les transformateurs et exportateurs auront leurs comptes.
La part qui est réservée à la transformation locale sera-t-elle entièrement consommée ?
C’est la grande question. Les transformateurs ont affirmé avoir la capacité. On va leur accorder le bénéfice du doute. A l’Interprofession, nous ne regardons pas derrière. Nous avançons. Si nous voulons regarder derrière, nous n’allions pas donner un grand quota aux transformateurs. La plateforme en elle-même n’est pas une mauvaise chose en soi, les unités de transformation ne sont pas non plus de mauvaises choses. C’est d’ailleurs une aubaine pour les acteurs. Ce sont plutôt des acteurs qui animent qui font de faux jeux. Ils ne sont pas francs et cela risque de nous donner de petits soucis. Par exemple, les unités qui sont sur la plateforme ont cherché l’année dernière à avoir la totalité de la graine jusqu’à aller estimer 240.000 tonnes alors qu’on a produit 281.000 tonnes. Si elles avaient pris la totalité, est-ce qu’on allait avoir le problème de mévente ? Je ne suis pas du tout sûr. Les 40.000 tonnes qui allaient restées ne suffiraient même pas aux exportateurs ou bien à d’autres transformateurs locaux.
A notre grande surprise, sur les 280.000 tonnes, on avait eu presque 100.000 tonnes. Cela voudrait dire que ces unités nous font croire qu’elles vont transformer, mais n’y arrivent pas. Donc, le problème est là. Qu’elles donnent leurs réelles capacités. Nous soutenons toutes les initiatives de transformation de soja. La preuve, cette année, nous avons mis des dispositifs pour pouvoir drainer la graine vers eux. Mais qu’elles ne viennent pas à la fin nous dire qu’elles n’ont pas tout acheté. On ne voudrait pas vivre encore le problème de l’année dernière, celui de la mévente au niveau des producteurs. On risquerait, de ce fait, de voir les producteurs quitter la filière. Alors qu’ils sont la base, le soubassement de la filière. S’ils quittent, la filière n’existera plus. J’exhorte chaque acteur à œuvrer pour consolider cette base. Nous souhaiterions rencontrer le chef de l’Etat afin de lui exposer nos préoccupations.
Pour conclure ?
Nous remercions notre ministère de tutelle, la Primature et le chef de l’Etat pour leurs appuis multiformes en faveur du secteur du soja. Au-delà, l’Interprofession souhaite vivement rencontrer le chef de l’Etat.