Les Togolais se rendent aux urnes ce lundi pour un double scrutin sous haute tension depuis l’adoption d’une nouvelle Constitution, contestée par l’opposition.
Le Togo organise ce lundi 29 avril des élections législatives et régionales sur fond de crise constitutionnelle à la suite de l’adoption d’une nouvelle Constitution par le Parlement, majoritairement acquis au régime du président Faure Essozimna Gnassingbé. Ces élections sont cruciales pour le pays, qui va passer d’un régime semi-présidentiel à un régime parlementaire après la promulgation par le chef de l’État togolais dans les deux semaines qui suivent de l’adoption de la nouvelle Constitution.
Démarrée le 13 avril dernier pour s’achever ce samedi, la campagne électorale, qui s’est déroulée dans le calme, a permis à l’opposition de fouler certains recoins jusqu’alors interdits pour des raisons de sécurité à cause de la menace terroriste au nord du pays. L’opposition dite radicale, qui est cette fois-ci descendue dans l’arène après avoir boycotté les dernières législatives de 2018, compte faire un bon score alors que l’Union pour la République (Unir), le parti présidentiel, espère renforcer sa position au sein du Parlement et surtout acter le changement de régime engagé. Puisque, désormais, le pouvoir résidera entre les mains du Premier ministre qui sera obligatoirement « le chef du parti majoritaire » à l’Assemblée nationale. Dans tous les cas, le chef du parti vainqueur des élections de lundi sera nommé à cette nouvelle fonction. Et le président du parti majoritaire actuellement à l’Assemblée n’est autre que Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005.
Un double scrutin très attendu et surveillé
Plusieurs thèmes de campagne ont été mis en avant par les uns et les autres afin de convaincre les 4,2 millions d’électeurs qui vont élire les 113 députés et les 179 conseillers régionaux dans les 14 271 bureaux de vote ouverts de six heures à seize heures, heure locale, à travers le pays. L’opération sera suivie du dépouillement sous la supervision de la Force sécurité élections législatives et régionales 2024 (FOSELR 2024), composée de 12 000 gendarmes et policiers. Elle a été mise en place en février dernier pour garantir la sécurité et maintenir un climat de paix et de sérénité sur l’ensemble du territoire avant, pendant et après ces joutes électorales dans un contexte marqué par la menace terroriste au nord du pays. D’ailleurs, les frontières terrestres du Togo seront fermées ce lundi 29 avril 2024 de 0 heure à 23 h 59. Les missions d’observation électorale de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l’Union africaine (UA), ainsi que la société civile ont été déployées pour s’assurer du bon déroulement du double scrutin, dont les résultats seront connus dans le courant de la semaine.
Le seul bémol reste le refus de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) d’accorder une accréditation à la mission d’observation électorale de l’Église catholique, composée de 500 observateurs, pour n’avoir pas justifié la source de financement de sa mission. C’est une situation que déplore amèrement le clergé catholique. « C’est notre devoir de citoyen de contribuer à la transparence des élections chez nous. En tant que pasteurs, nous avions effectivement demandé officiellement à y prendre part, cela aurait été un gage supplémentaire de la transparence de ce double scrutin, mais notre demande a été refusée parce que nous n’aurions pas justifié la source du financement de notre mission d’observation électorale. Nous avons répondu à ce sujet que nos observateurs sont des bénévoles venus des sept diocèses du Togo. Donc nous n’avons pas besoin de financement parce que les paroissiens sont avant tout des citoyens, c’est-à-dire des filles et fils de ce pays », a confié monseigneur Benoît Alowonou, président de la Conférence des évêques du Togo (CET). Il faut dire que les prises de position du clergé catholique sont de plus en plus mal perçues par certains tenants du pouvoir. Tout récemment, l’Église catholique s’est opposée à l’adoption de la nouvelle Constitution, qui, selon elle, est source de divisions et de crispation dans le pays.
Le parti présidentiel espère faire mieux qu’en 2018
Le parti Unir du président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005 après le décès de son père, Gnassingbé Éyadéma, a maintenu sa position dominante dans le paysage politique togolais. Pour ces élections législatives et régionales, la confiance est de mise. « L’opposition, voyant sa défaite venir, brandit l’argument de la nouvelle Constitution. Nous, nous n’avons pas perdu le cap », a déclaré l’ex-Premier ministre et candidat aux législatives dans la circonscription électorale de Haho Sélom Klassou. Selon lui, la réalisation des infrastructures dans beaucoup de secteurs est un acquis essentiel à mettre à l’actif du parti au pouvoir. D’ailleurs, il pense que les électeurs togolais doivent accorder une majorité au parti présidentiel au Parlement afin de renforcer la stabilité et la paix dont jouit le pays en dépit de la menace terroriste. « L’un des axes développés au cours de notre campagne a été ce que le président et son parti ont fait pour ce pays. Au rang des réalisations, la toute première des choses, c’est la paix. On a la paix et la sécurité. Vous savez, on ne mesure la valeur d’un bien qu’après l’avoir perdu. Sans la paix ni la sécurité, rien n’est possible. Au-delà de ça, on a aussi des réalisations dans les domaines de l’éducation, de la santé », a-t-il rappelé.
Depuis le démarrage de la campagne électorale, la chaîne de télévision publique TVT fait passer en boucle des reportages consacrés à la réalisation des infrastructures routières et sanitaires dans les cinq régions économiques du pays. Le parti présidentiel espère rafler le plus de voix possible dans ses bastions, situés généralement dans les régions des Savanes et de la Kara. Mieux, les tenants du pouvoir comptent faire un meilleur score qu’en 2018 dans la région maritime et celle des Plateaux, qui sont considérées comme acquises à l’opposition togolaise. Pour rappel, le parti présidentiel avait obtenu 59 sièges sur les 91 du Parlement en décembre 2018 alors même que l’opposition dite radicale s’était abstenue de participer. Ce score avait été jugé décevant par certains analystes, qui pensaient que l’absence de l’opposition radicale devait permettre au parti présidentiel d’obtenir la majorité absolue des 4/5es du Parlement nécessaire pour opérer des réformes comme un changement de Constitution. Toutefois, le parti du président Faure Essozimna Gnassingbé s’est rabattu sur ses alliés, comme l’Union des forces du changement (UFC) de l’opposant charismatique Gilchrist Olympio, aujourd’hui en perte de vitesse pour faire passer ses réformes au sein du Parlement.
Un come-back gagnant ou non de l’opposition radicale
Pour bon nombre d’observateurs avisés de la vie politique togolaise, en participant à ce double scrutin, l’opposition radicale pourrait perdre ses gains. Car cette dernière est accusée d’avoir accepté de jouer le jeu du régime en comblant le vide laissé par ceux que certains considèrent comme « les vrais opposants ».
Bien que l’opposition radicale togolaise soit souvent confrontée à des défis tels que les restrictions à la liberté d’expression et d’association, ainsi que des accusations de fraudes électorales, elle a également une présence significative sur le territoire national. Ces élections législatives pourraient voir cette opposition radicale tenter de renforcer sa position politique dans le pays. Cependant, cela dépendra des facteurs tels que la transparence, la liberté de mouvement pour les meetings dans tous les recoins, ainsi que l’équité et la transparence du processus électoral. Déjà, l’opposition radicale continue de pointer du doigt le découpage électoral qui favorise les fiefs du parti présidentiel. Malgré quelques difficultés, elle s’est rapidement emparée de la crise issue du changement de Constitution comme thème de campagne pour convaincre l’électorat. « C’est une chose de participer aux élections, c’en est une autre de s’assurer que le dépouillement et les résultats seront vraiment centralisés et transmis en toute transparence », estime le politologue Madi Djabakaté.
Certains analystes pensent que l’union de l’opposition dite radicale en cette période cruciale autour d’un slogan commun comme le récent changement de Constitution pourra permettre de rebattre les cartes. Car, contrairement au parti au pouvoir, aucun parti de l’opposition ne peut se targuer d’être présent dans toutes les circonscriptions électorales que compte le pays. D’où la nécessité de soutenir au moins une candidature de l’opposition radicale dans chaque circonscription électorale lors des élections législatives et régionales. Pour madame Brigitte Adjamagbo-Johnson, porte-parole de la coalition Dynamique pour la majorité du peuple (DMP), dont neuf des listes de candidats ont été rejetées dans certaines circonscriptions électorales, il s’avère nécessaire de voter pour l’opposition radicale afin d’avoir la majorité. « La consigne, c’est que les électeurs votent pour les listes DMP. Toutefois, dans les circonscriptions électorales où on croit nous avoir affaiblis, il est important que les Togolais ouvrent bien les yeux. Il faut qu’ils évitent de voter pour les listes de candidats du parti au pouvoir et affidées. Il faut qu’ils votent bien et pour l’opposition vraie », a-t-elle expliqué. Et d’ajouter : « Nous avons besoin d’une forte majorité de l’opposition vraie au lendemain de ces élections législatives et régionales au Parlement et dans les assemblées régionales. Nous avons besoin de continuer le combat pour la libération du Togo et pour le bonheur du peuple togolais. »
Malgré la dotation de 650 millions de francs CFA, soit environ 1 million d’euros accordés le 16 avril dernier par le gouvernement togolais aux différentes listes de candidats aux élections législatives et régionales, l’écart des moyens financiers dont disposent les candidats du pouvoir et ceux de l’opposition reste visible sur le terrain. Le taux de participation serait un autre enjeu majeur de ce double scrutin. Certains analystes pensent que la présence de l’opposition radicale pourrait permettre de franchir la barre de 60 % de participation atteinte en décembre 2018. Pour rappel, l’opposition radicale a remporté la majorité au Parlement en 1994 à la suite des premières élections pluralistes organisées au Togo. Les deux principaux partis d’opposition de l’époque, le Comité d’action pour le renouveau et l’Union togolaise pour la démocratie, avaient gagné 43 des 81 sièges, enlevant ainsi la majorité absolue au Rassemblement du peuple togolais, le RPT d’Éyadéma père.
Les résultats des législatives seront transmis à la Cour constitutionnelle, qui dispose de huit jours pour proclamer les résultats définitifs des législatives après avoir examiné les éventuels recours. Selon les dispositions constitutionnelles, c’est la Cour suprême qui est chargée de la gestion du contentieux des élections locales. Initialement prévu le 13 avril dernier, ce double scrutin avait été reporté au 20 avril 2024 puis au 29 avril 2024.
Blamé Ekoué/lepoint.fr
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