Tribune libre: La vertu a-t-elle encore son sens en politique au Togo?

Nous assistons depuis un moment au déclin du patriotisme chez les hommes et femmes qui animent la vie politique en particulier et en général chez les jeunes presque sans repère. Les dernières élections législatives et régionales du 29 avril 2024 ont apporté  la preuve.

En effet, l’on a pu se rendre à l’évidence que le pouvoir politique ne se conçoit plus comme un fondement de souveraineté et son exercice comme un sacerdoce au profit du peuple. C’est plutôt un moyen de prédation pour les vanités des politiciens véreux, en oubliant que la nature reprend toujours ses droits en réglant tous ses comptes. Comme le dit un proverbe de chez nous: « que l’on soit un arbre ou une feuille, tout se termine par la chute». C’est dire que rien n’est éternel dans la vie.

La volonté de domination sans fin pour certains et la misère devenue une maladie incurable pour d’autres, que l’on devrait faire disparaître comme ce fut le cas de la lèpre, constituent la raison de notre engagement politique. Cependant, que constatons-nous ?

En effet, en lieu et place des actions concrètes à travers une vraie politique de lutte contre la pauvreté, le pouvoir togolais a plutôt cédé à la facilité en remplaçant de vraies politiques publiques par l’aumône et l’assistance. C’est ainsi que le mandat social tant vanté a fait «pschitt» et depuis, notre république ressemble  à un groupement d’intérêts égoïstes. Comme on peut le voir dans tous les compartiments de l’État, le pays est dirigé par de vrais esbroufes, incapables d’écouter le peuple qui semble courber l’échine sans être convaincu. Notre peuple a été amené à ignorer ce qu’est le fondement de son existence. Il s’agit des valeurs telles que l’honnêteté, la probité et la morale qui fondent la République qui, a ce titre, est la conscience collective et les règles de fonctionnement tirées de notre sagesse transcendantale.

Malheureusement, tout se passe comme si nous sommes retournés à la gouvernance des plus forts, qui vont remercier Dieu à l’église après avoir gagné les élections par la fraude. C’est le gouvernement d’une aristocratie qui n’hésite pas à piétiner les vrais méritants et voilà comment l’on a tué l’excellence. Elle impose un devoir de réserve sur l’état de décrépitude des bâtiments scolaires et par ricochet, toutes les infrastructures du pays dont on a plus le droit de dénoncer la mal gouvernance, et le pillage systématique des ressources. Cette oligarchie à la tête de notre pays a cultivé la « politique du ventre affamé» de la jeunesse pour lui imposer le silence. Point n’est plus à rappeler que, notre pays traverse une période sombre marquée par la dégénérescence morale et spirituelle qui peut conduire à un chaos général si rien n’est fait avec cette jeunesse déboussolée et facilement manipulable en période électorale.

Comment comprendre ce qui se passe dans la tête de la jeunesse de notre pays qui s’adonne à des contre valeurs, un consentement tacite à la manipulation et à la fraude. Ce qui est inquiétant, c’est que cette attitude semble être intégrée désormais dans les habitudes et à ciel ouvert dans tous les processus électoraux. C’est devenu monnaie courante surtout dans les centres et bureaux de vote. Conséquence, les résultats des élections n’ont aucun rapport avec le vote des électeurs. Le comble, c’est que la plupart des irrégularités constatées dans les bureaux de vote sont l’œuvre des enseignants volontaires à qui on a promis la réussite à un hypothétique concours à venir. Parfois ce sont des paysans dont les revenus ont été érodés par la chute des prix des produits de rente de même que des diplômés au chômage depuis de longues dates . Ce qui est plus décevant, c’est des témoignages de violence exercée par des jeunes contre leurs propres frères avec la complaisance des forces de l’ordre.

Il n’y a plus de réserve face à la fraude électorale et le vol des deniers publics, des antivaleurs qui sont en train de prendre des proportions inadmissibles avec des jeunes prêts à tout pour l’argent.

D’un autre côté, il faut une introspection pour comprendre les voies de Dieu en ce qui concerne les gouvernants de notre pays.

En fait, qui peut rêver mieux ?

Avoir à sa disposition et dans ses bottes le Premier ministre et ses ministres, le Président de l’Assemblée Nationale et ses députés, les autorités locales, les chefs traditionnels totalement soumis, bref tout l’appareil de l’État et les instruments politiques et religieux. Ce qui comporte les germes d’une chute inévitable du régime, avec l’affaiblissement des partis politiques en tant que partenaires et de vrais interlocuteurs. Les partis politiques constituent une soupape de sécurité pour une gouvernance concertée, qui est la solution pour un pays en pleine reconstruction comme le nôtre.

Nous sommes à un véritable tournant de l’histoire de notre pays après ces élections, avec ou sans notre consentement, après 64 ans de notre indépendance dont 38 ans du père et presque 20 ans du fils.

La vraie question à se poser est, quel bénéfice politique, économique et social pour le peuple togolais meurtri et désorienté sans aucune souveraineté.

Comme le disait un ministre de la République, «il y a un saut qualitatif tout autant insuffisant dans le secteur de l’éducation par rapport aux infrastructures». L’on peut se permettre de rétorquer pour dire que, ce n’est pas seulement dans le secteur de l’éducation que le progrès est resté largement en dessous des attentes. Au contraire, c’est dans tous les secteurs de la vie publique que l’espoir des premières années des indépendances  a été trahi.

Qu’est-ce qui explique cette situation après 64 ans d’indépendance et quelle alternative politique pour l’avenir du Togo ?

La réponse est simple, il faut rendre sa souveraineté au peuple togolais.

Après plusieurs décennies de pratique démocratique, aucune raison objective ne permet de croire au bon fonctionnement des institutions de la république. On ne le dira jamais assez, la démocratie c’est le pouvoir du peuple et non le pouvoir selon la volonté des dirigeants. Il faut dès lors changer de paradigme en élevant l’esprit patriotique au-dessus de tout. La stratégie aujourd’hui doit être: « le peuple contre la tyrannie». D’où une lutte citoyenne pour une vraie libération. Pour cela il faut une prise de la conscience collective pour un véritable engagement citoyen. La jeunesse manipulée ignore que toute fraude électorale restera là pour l’éternité qu’ elle soit démasquée ou pas. La fraude électorale, « c’est à la fois mentir, tricher, voler et tromper ». C’est enfreindre  à la fois la loi électorale,  l’intégrité démocratique c’est-à-dire  la morale tout court. C’est trahir la confiance du peuple désabusé.

Selon Machiavel, «la meilleure forteresse des tyrans c’est l’inertie des peuples». Dès lors, l’action de l’opposition doit être repensée pour évoluer vers des actions unitaires afin de mutualiser ses forces surtout dans ce contexte de fébrilité et son état de de déliquescence avancée. Ce n’est un secret pour personne, la parole de l’opposition ne porte plus car les togolais sont désormais blasés. Ceci du fait que l’opposition est éprouvée par plusieurs années de répression et de l’oppression militaire, abusée et traumatisée par plusieurs années de lutte infructueuse.

Face à un système politique qui fonctionne sur la base de l’instrumentalisation des institutions et de l’individu, tous au service « d’un pouvoir militaire clanique à façade civile », il faut une démarche plus inclusive.

Avec un peuple conditionné et soumis par une discrimination administrative institutionnalisé, formaté  pour obéir, sans s’opposer, frapper par le syndrome de Stockholm à la suite des pratiques machiavéliques, il faut réorganiser la sensibilisation et la formation politique en l’endroit de la population. Il s’agit d’une formation patriotique afin de préparer le peuple à résister à la tyrannie sur toutes ses formes. Il faut aller à l’encontre de cette croyance empathique de la politique pour un peuple qui ne semble comprendre les vrais enjeux de la lutte, et contre toutes les formes d’exploitation. Un peuple qui est prêt à céder une partie de sa liberté pour une partie de sa sécurité fut-elle alimentaire, au final n’aura ni l’un ni l’autre. Il faut combattre cette attitude attentiste de l’arrivée des sauveurs plutôt que d’assumer la responsabilité de sa révolte. Il faut une formation du sens de la responsabilité individuelle et collective, prêt à se défendre soi-même d’abord, et le groupe simultanément.

Alors qu’ils ont la force physique de le faire, les jeunes attendent toujours que quelqu’un leur dise ce qu’ils doivent faire, quand le faire et qui doit assumer la responsabilité à leur place. Voilà pourquoi chacun est prêt à abandonner très tôt ou à vendre son prochain à un moment donné. Pour mener une lutte patriotique, il faut d’abord être patriote. Être formé et éduqué dans la vérité qui est la base de la confiance et le sens de la souveraineté nationale. Le patriotisme est à la fois intellectuel, moral et spirituel. Il faut arrêter le mensonge collectif et s’organiser pour mettre l’esprit collectif au service de la restauration de la souveraineté du peuple. En ce moment où la fraude électorale est devenue la norme que l’on exhibe sans vergogne sur fond de promotion de la médiocrité dans tous les compartiments du pouvoir, il faut revoir le modèle de gouvernance dans notre pays. La gouvernance d’État depuis le 13 janvier 1963 a été bâtie sur une illusion politique par rapport à l’alliage de  l’héritage commun, conformément à notre identité et par rapport à l’avenir du pays. La nation togolaise a été fondée sur la liturgie du sang et la violence comme culture politique. Pour que cela puisse changer, il faut se convaincre que « Tout est à refaire ».

Aujourd’hui face à la nouvelle donne, personne ne peut dire avec certitude de quoi demain sera fait. Voilà là où le pays a été conduit après 64 ans d’indépendance et 60 ans de gouvernance hasardeuse. Comment expliquer que dans toutes les circonscriptions électorales, les organisateurs des opérations électorales ne soient pas censés ou disposés à apporter les preuves pour chaque résultat. Personne ne peut exposer avec certitude et rendre disponibles les éléments détaillés qui fondent l’élection d’une personne plutôt qu’une autre ?

Que faire pour inverser cette situation sans un mouvement patriotique pour la restauration de la République ?

L’histoire des hommes dans sa grandeur nous enseigne que, l’on peut tout mettre en œuvre pour empêcher un peuple de manifester ses sentiments et sa volonté politique. Mais, c’est aussi vrai qu’on ne peut pas empêcher un peuple d’exprimer sa colère et de se révolter contre la tyrannie à un moment donné. Ce n’est qu’une question de temps.

Ce n’est pas être un devin de dire qu’il y a péril en la demeure et qu’il faut sauver les meubles. Cela doit commencer par un rapport de force qu’il faut rétablir.

L’analyse de la situation amène à la conclusion suivante, « Tout le monde a raison et personne ne veut reconnaître qu’il a tort ».

Cependant personne ne peut savoir quel est le degré de la conscience que les Togolais ont de leur liberté. Ainsi, jusqu’où sont-ils prêts à faire le sacrifice pour établir ce rapport de force ?

En tout état de cause, nous pensons dans un premier temps, que les partis politiques doivent revoir leur stratégie de communication et de mobilisation du peuple. La société civile de son cité doit redéfinir le contenu de sa lutte avec un discours cohérent, en évitant d’apparaître comme des appendices des partis politiques.

Pour ce qui concerne la diaspora, elle devrait bien identifier son combat qui doit être axé beaucoup plus sur le plan diplomatique. À ce propos,  elle doit bien choisir ses interlocuteurs et orienter ses actions sur les thèmes liés à la corruption, les biens mal acquis et la mauvaise gestion des finances publiques à travers les innombrables scandales financiers impliquant les proches de ce régime.

D’une manière générale, chacun doit pouvoir identifier sa mission. Il faut réinventer le multipartisme qui vient d’être mis à mort par le résultat des élections du 29 avril 2024. Ces élections ont mis en lumière l’état de dégénérescence des partis politiques qui auront du mal à se refaire, pas avant quelques années de galère.

OURO-AKPO Tchagnaou

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