Média: Tension entre RSF et « Progressif Media », une boîte d’influence sulfureuse hébergée par Vivendi, le groupe contrôlé par Bolloré

En enquêtant sur un faux site créé pour nuire à Reporters sans frontières (RSF), notre organisation a découvert une vaste campagne de discrédit orchestrée par une société qui, sous couvert de “communication”, mène en réalité des opérations d’influence en utilisant des techniques rappelant celles des officines du Kremlin en matière de désinformation.

Cette campagne de discrédit et de désinformation menée sur différents supports a été conçue et pilotée par Progressif Media, une petite société de communication déjà épinglée dans une enquête du quotidien Libération pour sa participation à plusieurs projets d’extrême droite, dont le site de Génération identitaire, un groupuscule aux méthodes violentes dissous en 2021. Sous les apparats d’une entreprise qui revendique apporter “le meilleur des accompagnements pour œuvrer à la progression vertueuse du monde”, la société mène aussi, de manière dissimulée mais pas toujours très discrète, des campagnes d’influence au bénéfice de Vivendi, le groupe contrôlé par Vincent Bolloré, avec qui les liens sont très étroits.

Depuis 2022, le géant de la communication et des médias est même devenu actionnaire de l’entreprise en rachetant 8,5 % de ses parts, détenues par Zewatchers, une fondation évangéliste dirigée par Chantal Barry, connue pour être une proche de Vincent Bolloré. La femme d’affaires est la productrice de “Bienvenue au monastère”, une émission diffusée en début d’année sur la chaîne de télévision C8, propriété de l’industriel breton, qui a suscité une vive controverse. Les célébrités invitées à suivre une retraite spirituelle dans ce programme de télé-réalité ont été accueillies au sein de communautés religieuses épinglées à de multiples reprises pour des dérives sectaires et des crimes sexuels.

 Un “reporting Vivendi” de la campagne de discrédit contre RSF

Contacté par RSF, Vivendi a répondu ne pas avoir de commentaires à faire, ne pas être au courant de ces pratiques et a rappelé sa participation minoritaire au capital de Progressif Media. Pourtant, un document interne à l’entreprise de “communication”, obtenu par RSF et enregistré sous le nom de “Reporting Vivendi”, détaille l’ensemble de la campagne menée contre notre organisation. La société y revendique à l’attention de son actionnaire les cinq noms de domaines achetés pour “occuper le ranking Google” et diffuser un “manifeste sur le sectarisme de RSF”. Une opération de “typosquatting” qui figure noir sur blanc sur un document stratégique.

Ce type de méthode, qui consiste à imiter des noms de domaine pour tromper les internautes, est régulièrement utilisée par les officines du Kremlin en charge des opérations d’influence et de désinformation. Elle est également connue des cybercriminels pour récupérer des informations sensibles, des données personnelles ou de l’argent. L’arsenal déployé, plus proche du mercenariat que de l’activisme citoyen, n’a donc rien à envier aux pires entreprises de désinformation.

Le dispositif prévoit aussi l’utilisation de “trolls” et du “hacking”. Pour alimenter ses “campagnes de riposte”, Progressif Media assure ainsi avoir collecté des informations chocs sur le “financement”, les “contradictions” et les “biais militants” de RSF. Contacté à de multiples reprises, le dirigeant de la société, Émile Duport, s’est muré dans le silence de son bureau, situé, à l’instar du reste de son agence, dans les locaux du Vivendi Village, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Comment a-t-il financé cette campagne et les autres opérations d’influence de sa société ? Les clients de Progressif Media sont-ils au courant des activités menées dans l’ombre et des méthodes utilisées ?

Profilage et campagne de signalement contre les médias concurrents

Actuellement, outre les campagnes visant RSF et Sleeping Giants – pour lequel un faux site avait aussi été créé –, au moins deux autres opérations d’influence sont en cours au bénéfice des intérêts du groupe Vivendi. La première consiste, selon les documents consultés par RSF, à positionner CNews comme “le seul lieu en faveur de la liberté d’expression”, une chaîne “qui ne se laisse pas contraindre au silence par les diktats d’une société faussement bien-pensante”. Le 23 mai, CNews a écopé d’une amende de 50 000 euros après des propos incitant à la haine prononcés à l’antenne par  Geoffroy Lejeune, directeur de publication du Journal du dimanche, propriété de Vincent Bolloré. Dès le lendemain, le compte X de Fan de CNews lançait une pétition en soutien à la chaîne. Une initiative citoyenne en apparence, une opération de Progressif Media en réalité, comme RSF a pu le documenter.

Dans un contexte où CNews joue le renouvellement de sa fréquence TNT, l’agence multiplie les initiatives pour voler au secours de la chaîne la plus sanctionnée du paysage audiovisuel français depuis le début de l’année (à égalité avec C8, sa sœur de Vivendi). Tous les coups semblent permis, au point qu’une partie de l’équipe est désormais mobilisée pour regarder les émissions concurrentes, principalement celles du service public, et scruter “le bagage militant de leurs invités”. Un profilage qui avait pourtant provoqué l’ire des présentateurs, chroniqueurs et invités de CNews après la décision du Conseil d’État. L’agence et ses “corsaires” ont ainsi multiplié les signalements à l’Arcom ces dernières semaines. Sans aucun succès pour le moment.

RSF se réserve le droit d’entamer des poursuites judiciaires.

RSF tient à remercier Epieos, Onyphe et Crowdsec qui ont étoffé sa boîte à outils en matière d’analyse des cybermenaces. RSF salue également les experts bénévoles qui ont contribué aux recherches techniques dans cette enquête.

Si vous avez des informations à nous partager, vous pouvez nous contacter à investigation[at]rsfsecure.org.

Source: RSF

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