La récente déclaration du ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, concernant une éventuelle intégration du Togo à l’Alliance des États du Sahel (AES) a déclenché un large débat au sein de l’opinion publique, tant au Togo qu’à l’international. De nombreux analystes se penchent sur les raisons qui pourraient justifier une telle démarche et sur les avantages qu’une telle adhésion offrirait à Lomé.
Dans une analyse parue le 18 janvier dernier sur Bénin WebTV, les journalistes se sont interrogés sur les motivations profondes du gouvernement togolais. Ils soulignent que « au-delà des intérêts stratégiques, cette volonté d’intégrer l’AES semble également motivée par des considérations politiques internes ». D’après l’article, Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, « fait face à une contestation croissante au sein de la CEDEAO, où sa longévité au pouvoir et ses manœuvres politiques suscitent de plus en plus de critiques. Cette défiance est alimentée par son intention perçue de se maintenir indéfiniment à la tête du pays, une ambition renforcée par la récente réforme constitutionnelle de la Cinquième République ».
Selon ces collègues, « ce passage d’un régime présidentiel à un régime parlementaire est souvent interprété comme une stratégie visant à affaiblir les contre-pouvoirs institutionnels et à consolider l’influence de Gnassingbé sur les structures de gouvernance togolaises ».
De son côté, Radio France Internationale (RFI) relève que le Togo pourrait tirer avantage d’un rapprochement avec les pays sahéliens, notamment grâce au port de Lomé, dont le Niger est déjà un utilisateur privilégié. Ce dernier port bénéficierait ainsi d’une position stratégique dans la région, au détriment de celui de Cotonou, « puisque Niamey garde sa frontière avec le Bénin fermée ». Toutefois, Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain pour la sécurité, estime qu’un retrait du Togo de la CEDEAO est peu probable, soulignant que le pays pourrait plutôt opter pour une « multi-appartenance », tout en pesant sur l’organisation pour qu’elle se recentre davantage sur les questions économiques que politiques.
Togo et l’AES, enjeux et controverses
Dans un entretien avec Deutsche Welle (DW), le Dr Ekue Foly Gada, directeur de l’Institut d’études stratégiques de l’Université de Lomé, a exprimé des réserves concernant l’adhésion du Togo à l’AES. Selon lui, « il y aurait plus de désavantages que d’avantages » pour le pays, qui pourrait conserver ses avantages économiques en dehors de cette zone, notamment grâce à son port. De même, Anani Sossou, analyste politique, a minimisé l’impact économique de cette intégration, estimant que « l’impact économique pour le Togo, en entrant dans l’AES, ne serait pas significativement supérieur à ce qui existe déjà aujourd’hui ».
Le scepticisme a également été exprimé quant aux propos du ministre des Affaires étrangères. Anani Sossou a jugé ces déclarations « imprudentes et non diplomatiques », soulignant qu’elles pourraient mettre le président togolais dans une position délicate vis-à-vis de ses homologues d’Afrique de l’Ouest. En revanche, le Dr Ekue Foly Gada a apporté une explication plus mesurée, suggérant que Robert Dussey pourrait simplement avoir répondu de manière trop directe à une question d’un journaliste, sans que cette déclaration reflète une position officielle du gouvernement togolais. Selon lui, « on ne peut pas d’un jour à l’autre dire qu’un État change de communauté pour rejoindre l’AES », et il estime que le Togo, bien qu’il ne soit pas prêt à rejoindre cette alliance, pourrait continuer à entretenir de bonnes relations avec celle-ci tout en conservant sa position géostratégique.
L’opposition dénonce une “diversion”
Sans surprise, cette déclaration a également suscité des réactions au sein de l’opposition togolaise. Les opposants estiment que l’intégration à l’AES ne devrait pas être une priorité pour le Togo, en particulier tant que les réformes démocratiques et la consolidation de la gouvernance interne ne sont pas pleinement mises en œuvre. Des groupes comme « Touche pas à ma Constitution » affirment que cette proposition pourrait constituer une « diversion » pour détourner l’attention des enjeux politiques internes du pays.
Ainsi, l’éventuelle adhésion du Togo à l’AES soulève de nombreuses interrogations sur le plan stratégique, économique et politique, dans un contexte où les intérêts régionaux et internationaux s’entrelacent.