Togo- Après les sénatoriales, qui sera le Président de la République ? Faure pris à son propre piège

Le 15 février 2025, les élections sénatoriales se sont tenues, confirmant sans surprise la domination du parti UNIR. Avec 34 sièges remportés contre seulement 7 pour l’opposition, y compris les indépendants et les partis proches du pouvoir,le scrutin était une simple formalité, verrouillé d’avance par la majorité des grands électeurs acquis au régime. Cette victoire écrasante, en attendant la nomination de 20 sénateurs par Faure Gnassingbé, lui offre un Sénat largement favorable, renforçant ainsi son contrôle sur le nouvel édifice institutionnel de la Ve République.

Le régime parlementaire toujours contesté par l’opposition

En effet, dans la nuit du 25 mars 2024, telle une manœuvre furtive d’un pouvoir conscient du caractère explosif de son entreprise, une nouvelle Constitution est imposée au peuple togolais. Ce passage en force, opéré dans des conditions qui rappellent l’acte d’un voleur armé, illustre la fébrilité d’un régime prêt à tout pour garantir sa continuité. Car au-delà des artifices juridiques et des justifications officielles, cette refonte constitutionnelle n’a qu’un seul but : permettre à Faure Gnassingbé de prolonger son emprise sur l’État, malgré la fin imminente de son quatrième mandat, conformément à la Constitution de la IVᵉ République.

Cependant, dans les rangs de l’opposition, cette pilule ne passe pas. Dès l’annonce du basculement vers un régime parlementaire, les états-majors des partis contestataires s’organisent et appellent à la mobilisation populaire à partir du 22 février 2025, date à laquelle l’élection présidentielle aurait dû être convoquée.

Ce soulèvement repose d’abord sur un rejet du procédé même par lequel cette Constitution de la Ve République a été adoptée : une violation manifeste des règles établies, orchestrée par des institutions dont la légitimité est fortement contestée.

Mais au-delà du simple débat sur la légalité, l’opposition sait que cette réforme n’est qu’un habillage sophistiqué d’une volonté claire pour Faure de s’accrocher au pouvoir.

Toutefois, cette manœuvre, loin de garantir son hégémonie, soulève des interrogations majeures quant à sa viabilité et aux implications politiques qui en découleront.

Le choix crucial du Président de la République

Si le chef de l’État perd l’essentiel de son influence, sa désignation par le Parlement demeure un enjeu de premier ordre. En effet, le choix de la personne appelée à occuper cette fonction pourrait avoir des répercussions considérables sur l’équilibre du pouvoir.

Le pouvoir de Faure Gnassingbé étant fortement féminisé ces dernières années, certaines figures féminines émergent naturellement parmi les prétendants.

Victoire Tomégah-Dogbé, actuelle Première ministre, apparaît comme une candidate naturelle en raison de sa loyauté indéfectible envers le régime et de la confiance dont elle jouit auprès du président. Toutefois, pour ceux qui connaissent son mode de gouvernance, il est évident qu’une fois installée à la tête de l’État, elle pourrait être tentée d’affirmer une autonomie progressive. D’autant plus que sa position lui conférerait une légitimité institutionnelle renforcée sur la scène internationale. Femme de caractère, elle ne manque ni d’ambition ni d’assurance, et son accession à ce poste pourrait être le point de départ d’un leadership conflictuel.

Une autre personnalité en lice est Yawa Djigbodi Tsègan, ancienne présidente de l’Assemblée nationale. Discrète mais influente, elle pourrait se positionner comme un pivot institutionnel imprévu et compliquer les calculs de Faure Gnassingbé.

Chez les hommes, d’autres figures se démarquent également.

Kodjo Adédzé, technocrate respecté, représenterait un choix rassurant pour garantir la stabilité du système sans menacer directement l’ordre établi. Toutefois, sa nomination à la tête du Parlement a semblé éteindre ses ambitions présidentielles. Lui qui, en 2018, était perçu par certains comme un potentiel successeur de Faure Gnassingbé, semble aujourd’hui cantonné à un rôle secondaire.

Cependant, l’hypothèse la plus redoutable pour le président Faure demeure le retour en force de Pascal Bodjona. Ancien homme fort du régime, il bénéficie encore d’un réseau influent et pourrait rapidement incarner une alternative crédible. Selon certaines indiscrétions, un accord aurait été conclu en 2019 entre Faure Gnassingbé et Bodjona, prévoyant un transfert progressif du pouvoir en sa faveur. Cet engagement, qui aurait permis d’apaiser les tensions après le rejet de la liste indépendante de Bodjona aux élections locales de 2019, est-il toujours d’actualité ? Seul Faure Gnassingbé détient la réponse.
Néanmoins, plusieurs éléments semblent jouer en défaveur de cette option. La politique d’équilibre régional instaurée depuis le règne du général Eyadéma, qui veut qu’un président et son Premier ministre proviennent de régions différentes, semble d’emblée disqualifier Bodjona.

De son côté, Barry Moussa Barqué, conseiller spécial du chef de l’État et véritable éminence grise du régime, est une personnalité dont l’influence dépasse les cercles officiels. Sa sagesse et sa discrétion, reconnues dans les cercles du pouvoir, ainsi que son âge, plaident en sa faveur pour le poste de Président de la République. Mais, dans les coulisses, il serait pressenti pour diriger la chambre des sages, c’est-à-dire la présidence du Sénat.

Un autre nom à suivre est celui de Komi Sélom Klassou, ancien Premier ministre. Mais son caractère dur et ses ambitions non dissimulées feront de lui un challengeur de Faure Gnassingbé s’il venait à être installé. Contrairement à d’autres fidèles, il n’a jamais fait preuve de discrétion dans ses prises de position et pourrait s’affirmer plus rapidement que prévu.

Ainsi, toutes ces incertitudes rendent particulièrement délicat le choix du futur Président de la République, et Faure Gnassingbé semble lui-même confronté à un dilemme cornélien.

S’il cherche à conserver la maîtrise du système, plusieurs éléments laissent entrevoir les fragilités potentielles de ce nouvel édifice politique. D’une part, le Président de la République, bien que réduit à un rôle formel, demeure un acteur institutionnel incontournable. Selon les circonstances, il pourrait jouer un rôle plus influent qu’il n’y paraît, notamment si la situation politique venait à évoluer en sa faveur.

D’autre part, le Parlement, bien que dominé par le parti au pouvoir, pourrait progressivement s’émanciper. La nature même du régime parlementaire ouvre la voie à de nouvelles configurations politiques, où des alliances imprévues pourraient émerger et remettre en cause l’équilibre précaire instauré par le pouvoir en place.

Enfin, l’opinion publique représente un facteur déterminant. Cette réforme, perçue comme une énième tentative de confiscation du pouvoir, pourrait provoquer une contestation accrue et menacer la viabilité même du système.

En cherchant à verrouiller l’avenir politique du pays à son avantage, Faure Gnassingbé prend le risque de s’enfermer dans une mécanique institutionnelle qui, à terme, pourrait se retourner contre lui. L’adoption d’un régime parlementaire l’oblige à évoluer dans un cadre où il ne détient plus à lui seul les clés du pouvoir. Après deux décennies de règne sans partage, Faure Gnassingbé pourrait voir son influence s’effriter au fur et à mesure que les nouvelles institutions prennent leur autonomie.

Ainsi, ce qui devait être une reconversion stratégique de son pouvoir risque de devenir un piège redoutable. En cherchant à tout contrôler, il pourrait bien finir par être le premier otage du système qu’il a lui-même façonné.

En attendant cette surprise, l’opposition doit maintenir la pression pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel.

Ricardo Agouzou

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