Togo- Entre monarchisation et régime parlementaire: Vers une nouvelle explosion sociale ?

Depuis plusieurs années, le Togo est marqué par des tensions politiques récurrentes, exacerbées par des réformes institutionnelles qui interrogent la trajectoire démocratique du pays. La récente modification de la Constitution, qui transforme le mode de gouvernance en un régime parlementaire donnant à Faure Gnassingbé, futur Président du Conseil, des pouvoirs étendus, alimente une contestation grandissante. Ce bouleversement institutionnel, perçu par une partie de l’opposition comme une tentative de “monarchisation” du pouvoir, ravive les souvenirs des grandes mobilisations du 19 août 2017 et fait craindre un nouvel épisode de crise politique.

Un précédent historique encore vif dans les mémoires

Le 19 août 2017 demeure une date charnière dans l’histoire politique récente du Togo. Sous l’impulsion du Parti National Panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, des milliers de Togolais, tant à l’intérieur du pays que dans la diaspora, avaient manifesté pour exiger le retour à la Constitution de 1992. Ce texte fondamental stipulait clairement que “nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels”, ce qui aurait empêché Faure Gnassingbé de briguer un troisième mandat.

Face à cette contestation sans précédent, le pouvoir avait répondu par une répression militaire d’une rare intensité. Dans plusieurs villes comme Sokodé, Bafilo et Mango, considérées comme des foyers de la mobilisation, l’armée était intervenue brutalement, plongeant certaines zones dans un état de siège. À travers des arrestations massives et des raids nocturnes, de nombreux jeunes militants avaient été contraints à l’exil, fuyant vers le Ghana et le Bénin. Certains réfugiés furent même traqués au-delà des frontières, provoquant des tensions diplomatiques avec les pays voisins.

Depuis ces événements, les autorités togolaises ont renforcé leur arsenal répressif pour éviter une répétition du 19 août. Cette volonté a été clairement exprimée par Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, qui déclarait sans détour qu'” il n’y a aura plus jamais un deuxième 19 août”. Ainsi plusieurs mesures ont été mises en place pour limiter la capacité de mobilisation de l’opposition.La loi Bodjona sur les manifestations a été modifiée et durcie, limitant considérablement les possibilités de rassemblements politiques. Par ailleurs, les autorités locales invoquent désormais des prétextes administratifs pour interdire systématiquement les réunions de l’opposition.

Dans ce climat de verrouillage politique, l’intimidation et la violence à l’encontre des figures dissidentes se sont intensifiées. L’agression physique de Guy Sagna, député de la CEDEAO, alors qu’il participait à une rencontre avec des leaders de l’opposition togolaise au siège de la CDPA, illustre bien l’hostilité du pouvoir envers toute voix discordante. Cette répression s’étend également aux médias et aux journalistes critiques, rendant l’espace public de plus en plus hermétique au débat démocratique.

En parallèle, l’appareil judiciaire est régulièrement instrumentalisé pour neutraliser les opposants. De nombreux militants politiques croupissent en prison dans des conditions déplorables, certains étant condamnés récemment à des peines extrêmement lourdes allant de 10 à 20 ans de réclusion criminelle. Ces détentions arbitraires ont conduit à plusieurs décès en prison, conséquence de torture, d’un manque de soins médicaux et de conditions carcérales inhumaines. La récente disparition de Karrou Wawim en détention en est une illustration dramatique, tandis que l’état de santé de la veuve Sow Agba, incarcérée dans des circonstances jugées injustes, suscite une vive inquiétude.

Vers une nouvelle explosion sociale ?

La réforme constitutionnelle adoptée en 2019, qui avait déjà permis à Faure Gnassingbé de se représenter pour un quatrième mandat, avait suscité de vives critiques. Cependant, la transformation brutale du régime en un système parlementaire, où le Président du Conseil est  désigné par son parti politique  et non plus au suffrage universel, marque une rupture encore plus profonde. Cette nouvelle architecture institutionnelle offre au chef de l’État Faure la possibilité d’échapper définitivement à l’épreuve des urnes tout en lui conférant des pouvoirs exorbitants, notamment celui de dissoudre l’Assemblée nationale à sa guise.

Dans ce  climat de défiance généralisée, cette réforme est perçue comme une manœuvre visant à garantir la longévité du régime au mépris des aspirations démocratiques du peuple togolais. Des voix s’élèvent désormais pour appeler à la résistance, invoquant notamment l’article 150 de la Constitution de la IVᵉ République, qui reconnaît au peuple le droit de désobéir et de s’opposer par tous les moyens à un régime illégal. Sur les réseaux sociaux, les appels à la mobilisation se multiplient, et l’on observe une radicalisation progressive des contestations politiques.

Depuis le 22 février 2025, date officielle de la fin du quatrième mandat de Faure Gnassingbé, plusieurs figures de l’opposition et activistes  affirment que le pays est en situation de vacance du pouvoir, ce qui pourrait justifier une mobilisation d’ampleur. Dans un tel contexte  identique à celui du 19 Août 2017, l’émergence d’un leader charismatique capable d’organiser la colère populaire pourrait modifier l’équilibre des forces et provoquer un nouvel épisode de soulèvement populaire.

Pendant ce temps, le pouvoir affiche une confiance inébranlable, convaincu que son appareil sécuritaire suffira à contenir toute contestation. Pourtant, l’histoire politique récente du Togo démontre qu’un peuple désespéré peut renverser les rapports de force. Faure Gnassingbé et son entourage seraient bien avisés d’écouter les signes du temps pour éviter le pire. Comme le disait feu Eyadema Gnassingbé : “On sait quand ça commence, mais on ne sait pas quand ça finira”. Gouverner un peuple par la force indéfiniment est une illusion. La vraie stabilité ne peut être obtenue que par un dialogue sincère avec le peuple et une gouvernance respectueuse des aspirations démocratiques. Le Togo est à la croisée des chemins, et l’avenir reste incertain dans la nouvelle République.

Ricardo Agouzou

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *