L’arrestation musclée de l’artiste togolais Aamron, dans la nuit du 26 mai 2025, pour ses propos virulents contre le pouvoir sur les réseaux sociaux, secoue le Togo. Me Jil-Benoît Kossi Afangbedji, avocat passé de la défense des opposants à celle du régime, livre une analyse juridique pointue sur cet épisode controversé. Soutien affiché de la réforme constitutionnelle de 2024, sa lecture soulève des doutes sur son impartialité. Voici notre analyse, suivie de sa réflexion complète, pour éclairer ce dossier brûlant et laisser les lecteurs trancher sur cette affaire aux relents politiques.
Me Jil-Benoît Afangbedji, dans son analyse publiée sur alerte24.com, décortique avec une précision d’horloger le cadre légal togolais, s’appuyant sur les articles 290, 298 et 301 du Code pénal de 2015 pour justifier l’arrestation d’Aamron, accusé de diffamation et d’injure publique envers le président du Conseil. Mais ce tableau juridique, aussi rigoureux soit-il, peine à convaincre dans un contexte où l’avocat, autrefois champion des opposants, s’est mué en défenseur des puissants. Son soutien public à la réforme constitutionnelle de 2024, largement contestée pour son caractère antidémocratique, jette une ombre sur sa neutralité. L’arrestation nocturne d’Aamron, perçue par beaucoup comme une manœuvre pour faire taire une voix dissidente, ravive les tensions autour de la liberté d’expression.
Dans un Togo miné par la corruption et l’impunité, où les droits fondamentaux sont souvent piétinés, cette affaire pose une question cruciale : la loi, invoquée pour protéger l’ordre public, sert-elle à garantir la justice ou à museler les vérités dérangeantes ? À vous, lecteurs, de juger si l’interpellation d’Aamron est une application légitime du droit ou un abus visant à étouffer un artiste qui, selon beaucoup, n’a fait qu’exprimer des vérités criantes sur la gouvernance togolaise.
Bonne lecture.
« Les libertés individuelles et collectives doivent s’exercer dans le strict respect de la loi »
Par Me Jil-Benoît Kossi Afangbedji
Introduction
L’histoire des sociétés humaines révèle que les libertés, si chèrement conquises, peuvent devenir elles-mêmes un danger lorsqu’elles sont exercées sans limites. Comme le souligne Jean-Jacques ROUSSEAU dans son ouvrage intitulé, Du contrat social, « La liberté de chacun n’est limitée que par celle des autres »[1]. A l’ère du numérique et de l’expression débridée sur les réseaux sociaux, notamment au TOGO, cette réflexion retrouve une pertinence brûlante. En effet, la prolifération de discours diffamatoires, injurieux voire menaçants à l’endroit des Institutions Publiques, des Citoyens entre eux, pose la question du cadre juridique d’exercice des libertés fondamentales. Dès lors, la problématique selon laquelle « Les libertés individuelles et collectives doivent s’exercer dans le strict respect de la loi » s’impose comme une réflexion nécessaire sur les conditions juridiques de jouissance des droits fondamentaux.
Les libertés individuelles sont celles que détient toute personne en tant qu’être humain (liberté d’expression, de conscience, de circulation etc), tandis que les libertés collectives sont exercées en groupe (liberté de réunion, d’association, de manifestation etc). La loi, dans un État de droit, joue le rôle d’arbitre : elle garantit l’existence de ces libertés, tout en fixant les limites, notamment lorsqu’elles deviennent des instruments de nuisance ou de trouble à l’ordre public. Cette étude s’interroge sur jusqu’où on peut exercer ses libertés sans heurter l’ordre juridique et social établi. Elle s’inscrit dans le cadre constitutionnel du TOGO, mais aussi dans la perspective plus large du droit international des Droits de l’Homme.
Historiquement, la réflexion sur les libertés et leurs limites remonte à l’Antiquité avec CICERON et ARISTOTE, mais s’est intensifiée à partir du XVIIIe siècle avec les Lumières. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 proclame à son article 4 que, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Cette idée sera reprise dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, dans le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques en 1966, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dans les années 1980, et intégrée dans les constitutions nationales comme celle du TOGO.
L’actualité togolaise met en lumière les dérives d’un exercice dévoyé des libertés, notamment via les réseaux sociaux, où certaines personnes tiennent des propos diffamatoires ou injurieux envers des responsables publics et privés. L’arrestation, le 26 Mai 2025 de l’artiste togolais Aamron de son vrai nom TCHALA Essowè Narcisse illustre parfaitement la limite juridique de la liberté d’expression au TOGO. Très actif sur les réseaux sociaux, l’artiste avait tenu des propos particulièrement virulents à l’encontre du Président du Conseil, le qualifiant publiquement d’incapable et d’incompétent. Ces propos, diffusés sur une plateforme accessible à tous, ont été considérés comme attentatoires à l’honneur d’une autorité constitutionnellement reconnue. Il a alors été interpellé à son domicile par la Gendarmerie. Si certains y ont vu une répression politique, il convient de rappeler que la liberté d’expression bien que constitutionnellement consacrée, s’exerce dans les limites prévues par la loi. En effet, l’article 301 du Code pénal togolais de 2015 réprime l’offense publique au Chef de l’Etat tandis que les articles 290 et 298 sanctionnent respectivement la diffamation et l’injure publique. L’article 301 du code précité dispose clairement que, « Constitue une offense le manque d’égard au Chef de l’Etat, au Chef du Gouvernement, au Président de l’Assemblée Nationale, au Président du sénat, aux membres du Gouvernement, aux membres du parlement et aux Présidents des Institutions de la République prévues par la Constitution ».
En comparaison, la FRANCE réprime également la diffamation et l’injure publique[2]. Le CANADA, dans sa Charte des Droits et Libertés, adoptée en 1982, reconnaît la liberté d’expression en son article 2, mais précise que cette liberté peut être limitée dans une société démocratique libre et juste. Ces États montrent que l’encadrement légal des libertés n’est pas une spécificité togolaise, mais une nécessité universelle.
L’étude de ce sujet présente un intérêt théorique certain. Il a notamment été abordé par Dominique ROUSSEAU, qui affirme que « La liberté dans un État de droit n’existe que par la règle qui la délimite »[3], ou encore Guy CARCASSONNE, selon qui « Les droits fondamentaux ne sont pas absolus, mais relatifs à un ordre juridique donné »[4]. Elle présente également un intérêt pratique, dans la mesure où les juridictions togolaises ont déjà eu à trancher des cas de diffamation sur les réseaux sociaux et point n’est besoin de les énumérer. La Cour de Cassation française a également jugé que la liberté d’expression ne saurait justifier les propos injurieux envers des responsables publics.[5]
Dès lors, se pose la question suivante : Comment concilier le respect des libertés fondamentales avec les exigences de la loi dans un État de droit ?
Nous répondrons que si la loi est la condition même d’exercice des libertés, elle en est aussi la limite et la sanction en cas d’abus, ce qui en fait un instrument de garantie de la paix sociale. Il est donc opportun de voir d’abord que la loi garantit les libertés tout en les encadrant (I), avant d’analyser la portée relative de ces libertés et les sanctions juridiques qui résultent de leur usage abusif (II).
LA LOI GARANTIT LES LIBERTES TOUT EN LES ENCADRANT
La loi, en tant que garant de l’ordre social, assure à la fois la reconnaissance des libertés fondamentales par les textes juridiques (A) et leur encadrement strict pour prévenir tout abus (B).
La consécration constitutionnelle et internationale des libertés
La reconnaissance des libertés fondamentales dans les textes juridiques nationaux et internationaux constitue la pierre angulaire de tout État de droit. Au TOGO, la Constitution du 6 Mai 2024 en fait une priorité. Ainsi, l’article 25 de ladite Constitution proclame la liberté d’expression et de communication.
Les dispositions de la constitution togolaise rejoignent les normes supranationales. La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples reconnaît à l’article 9, le droit de recevoir et de diffuser l’information, tout en subordonnant cet exercice au respect des lois nationales. Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques va également dans le même sens, car l’article 19 dudit Pacte en garantit l’exercice, tout en permettant des restrictions strictement nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui, ainsi qu’à la sauvegarde de l’ordre public ou de la morale publique. Il en est de même pour la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article 29.
Il en résulte donc que la liberté est bien un principe, mais dont l’encadrement légal est la condition d’un usage harmonieux dans un cadre démocratique. Les textes juridiques nationaux et internationaux garantissent une large palette de liberté d’expression. Toutefois, il importe de s’interroger sur les finalités véritables des outils contemporains d’expression, notamment les réseaux sociaux. Initialement conçus comme des espaces de partage, d’information et d’apprentissage, ils tendent de plus en plus à devenir des vecteurs de diffamation, de violence verbale et de la désinformation, surtout lorsqu’ils sont utilisés pour porter atteinte à l’honneur des responsables publics et privés. Cette dérive soulève la question suivante : La liberté d’expression, lorsqu’elle se déploie dans un espace numérique sans règles ni responsabilité, ne devient-elle pas un danger pour la démocratie elle-même ?
Face à ces dérives, la simple proclamation des libertés ne saurait suffire. Il revient donc à la loi de jouer son rôle de régulateur et de gardien de l’ordre public, en encadrant rigoureusement l’exercice des libertés pour prévenir les abus. C’est dans cette logique que s’inscrit le dispositif normatif togolais, qui définit les conditions d’exercice des droits fondamentaux tout en prévoyant des sanctions proportionnées à leur violation.
L’encadrement normatif des libertés : Entre organisation et prévention des abus
Loin de restreindre les libertés, la loi les organise. Elle fixe les modalités d’exercice de ces droits afin d’éviter les abus susceptibles de troubler la paix sociale et l’ordre public. Par exemple, la loi n° 2011-010 du 16 Mai 2011 encadre les manifestations publiques au TOGO : une déclaration préalable est obligatoire, et l’administration peut les interdire en cas de menace grave à l’ordre public.
La liberté d’expression, quant à elle, trouve ses limites dans les textes pénaux. Le code pénal togolais de 2015 prévoit à l’article 290, la répression de la diffamation publique et les imputations de faits portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’autrui sont punies d’un emprisonnement de 1 à 6 mois avec sursis et d’une amende de 500 000 à 2 000 000 FCFA. L’article 298, quant à lui, prescrit l’injure publique qu’il définit comme toute expression outrageante sans imputation précise et la punit d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 FCFA et de 6 mois d’emprisonnement si elle est discriminatoire et l’article 301 prévoit la punition de l’offense au Chef de l’État et à d’autres autorités publiques avec des peines similaires.
Ces dispositions traduisent la volonté du législateur togolais de prévenir l’usage abusif des libertés et de protéger la dignité des institutions. La loi devient ainsi l’instrument d’un équilibre entre libertés garanties et ordre public préservé. Ainsi, en encadrant l’exercice des libertés, le législateur togolais ne cherche-t-il nullement à en restreindre la portée, mais plutôt à en garantir une utilisation responsable et respectueuse de l’intérêt général. La loi se révèle dès lors, comme un instrument d’équilibre, assurant à la fois la protection des droits fondamentaux et la préservation de l’ordre public. Pourtant, malgré cet encadrement juridique, des dérives persistent, rendant nécessaire l’étude des sanctions applicables aux abus de liberté, afin d’apprécier leur portée dissuasive et leur rôle dans le maintien de la cohésion sociale.
UNE LIBERTE RELATIVE : L’ABUS DES LIBERTES EXPOSE A DES SANCTIONS LEGALES
Deux aspects méritent une attention particulière : d’une part, la relativité juridique des libertés, constamment soumise aux exigences de l’ordre public et de la dignité humaine (A), d’autre part, les sanctions juridiques, qui apparaissent non comme des restrictions arbitraires, mais comme de véritables outils de préservation de la liberté elle-même et de la cohésion sociale (B).
La relativité juridique des libertés face à l’ordre public et à la dignité humaine
La liberté, bien qu’essentielle, n’est jamais absolue. Elle devient un abus lorsqu’elle empiète sur les droits d’autrui ou trouble la paix publique. Ce constat s’est imposé avec acuité dans le contexte togolais actuel où les réseaux sociaux sont devenus des terrains d’expression sans filtre, où certaines personnes insultent ouvertement des responsables publics et privés, parfois même en appelant à la haine ou à la révolte.
Ces actes relèvent du droit pénal togolais qui permet de les réprimer[6]. Ainsi, en 2022, des citoyens togolais ont été condamnés pour propos diffamatoires proférés sur les réseaux sociaux contre plusieurs Ministres[7]. En FRANCE, la jurisprudence suit une logique semblable avec la chambre criminelle de la Cour de Cassation qui a, dans un arrêt rendu le 25 Octobre 2019, jugé que la liberté d’expression ne saurait être invoquée pour justifier des propos injurieux à l’égard d’un élu[8]. Plus récemment, en 2024, la Cour de Cassation française a réaffirmé que l’injure publique envers un citoyen chargé d’un mandat public constitue une infraction[9].Cette jurisprudence convergente démontre une réalité juridique que les libertés ne peuvent pas servir de couvert à l’impunité.
Il ressort de ce qui précède que la liberté d’expression, bien qu’indispensable à toute démocratie, n’est nullement absolue. Elle doit être exercée dans le strict respect de l’ordre public et de la dignité humaine. Dès lors, il convient d’examiner le rôle et la portée des sanctions juridiques, envisagées non comme une atteinte à la liberté, mais comme des instruments de la vie démocratique et de la cohésion sociale.
Les sanctions : Outils de préservation de la liberté et de la cohésion sociale
Loin d’être une atteinte à la liberté, la sanction de son abus est une exigence démocratique. Elle sert à dissuader les comportements destructeurs, à protéger les personnes visées, et à rétablir l’équilibre entre droits et devoirs.
Le droit international lui-même valide cette logique. Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques[10] permet de limiter la liberté d’expression lorsqu’elle menace la sécurité, l’ordre public ou les droits d’autrui. De même, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples affirme que « Les droits et libertés de chaque individu s’exercent dans le respect des droits d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun »[11]. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article 29, limite également la liberté d’expression. En droit canadien, la Cour Suprême du Canada a confirmé que la criminalisation de propos haineux n’est pas contraire à la liberté d’expression garantie par la Charte Canadienne des Droits et Libertés[12]. Une telle approche consacre l’idée que les droits fondamentaux sont relatifs et non illimités.
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La sanction légale devient alors un outil de régulation, au service non pas d’un pouvoir en place, mais d’un ordre démocratique soucieux de sa stabilité. En somme, les libertés individuelles et collectives, bien qu’essentielles à la démocratie, ne peuvent s’exercer en dehors du cadre légal. La loi, en les garantissant, en fixe également les limites pour préserver l’ordre public, la paix sociale, la dignité humaine et les droits d’autrui. Leur abus, loin d’être tolérable, appelle des sanctions justes et proportionnées, garantes d’un vivre-ensemble harmonieux. Ainsi, liberté et responsabilité ne s’opposent-elles pas, mais se complètent, sous l’égide d’un droit équilibré et protecteur.
Lomé, le 28 Mai 2025
[1] Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, GF-Flammarion, 1966, p. 61.
[2] L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse encadre ces abus.
[3] Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, 5e éd., 2016, p. 32.
[4] Guy CARCASSONNE, La Constitution, Seuil, Coll. Points, 14e éd., 2021, p. 105.
[5] Cass. Crim. , 16 mai 2000, n° 99-81.099.
[6] Il s’agit des articles 290, 298 et 301 du code pénal togolais de 2015. Ces articles réprimandent la diffamation, l’injure publique ainsi que l’offense au Chef de l’Etat et aux représentants du pouvoir politique.
[7] Jugement N° 1323/ 2022, 05 Octobre 2022.
[8] Cass. crim. , 25 octobre 2019, N° 17-86.605.
[9] Cass. crim. , 10 septembre 2024, N° 23-83.666.
[10] Cf. art. 19 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
[11] Cf. art. 27 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
[12] Cf. art. 2 de la Charte Canadienne des Droits et Libertés.
Au Togo pour etre ministre il faut chanter et denser Faure Gnassingbe c’est triste pour les soi-disants hauts cadres
Les intellectuel au togo ont de serieux problem d intelligence