Incapable de s´unir, l’opposition togolaise laisse l’initiative aux réseaux sociaux. Quel gâchis!

«…Sommes-nous en présence d’une profonde divergence de stratégie entre Jean-Pierre Fabre et Nathaniel Olympio, ou s’agit-t-il d’une guerre de leadership? À quelques semaines des municipales, le décor est planté et chacun défend ses positions; mais toujours est-il que le fossé se creuse entre l’un, qui prône la participation aux élections et l’autre, qui clame l’illégitimité d’un jeu pipé d’avance. Chacun brandit sa méthode comme l’unique voie vers la fin d’une dictature profondément enracinée depuis plusieurs décennie. …La voie des urnes est-elle encore une option crédible ou un mirage entretenu? (Trihebdomadaire Liberté N° 4012 du 26 mai 2025)

Cette guéguerre entre Jean-Pierre Fabre et Nathaniel Olympio sur laquelle était revenu notre collégue au journal „Liberté“, il y a de cela deux semaines n´est-elle pas symptomatique de l´état délétère des relations entre les leaders de l´opposition togolaise? Une opposition qui a certes tout donné depuis le début des années ´90 et dont les générations se sont, plus ou moins, renouvelées au sommet, et qui est très loin d´être la plus divisée du continent africain. Elle est tout simplement la plus malchanceuse à cause du caractère brutal, jusqu´au-boutiste, voire criminel du régime de dictature Gnassingbé d´en face. Mais un dicton en pays Tem stipule: «Tant que le danger qui vous poursuit n´a pas disparu, vous n´avez pas le droit de vous arrêter ou de lâcher prise.» En d´autres termes, malgré le grand martyr et les grands sacrifices consentis par l´opposition et le peuple togolais, depuis aujourd´hui plus de trois décennies, le danger constitué par le régime Gnassingbé est toujours là, de plus en plus menaçant pour la paix, la stabilité et l´intégrité du pays. Avons-nous alors le droit de nous arrêter? L´opposition togolaise a-t-elle le droit de s´arrêter, en abandonnant le peuple, le livrant ainsi à l´impitoyable régime Gnassingbé, de père en fils?

La semaine passée des partis politiques, dont certains appartiennent à des faux opposants siégeant aujourd´hui dans un sénat de pacotille, avaient dû publier des conmuniqués pour se plaindre du comportement d´un regroupement dénommé Convergence des Forces Démocratiques pour un Togo Nouveau (CFDTN), qui les aurait mentionnés comme signataires d´un appel à manifester le 6 juin 2025, alors qu´ils n´auraient été consultés par personne. Certes, une telle démarche de la part du regroupement en question est malhonnête; mais n´est-ce pas une manière de mettre ces partis politiques de la vraie opposition devant leurs responsabilités? Eux qui semblent avoir abandonné la lutte pour s´occuper de leur participation à des supposées élections municipales. Une participation qui, en dehors de constituer une légitimation du régime de dictature qu´on prétend combattre, est une perte de temps et un éparpillement des forces, si on considère que le grand combat aujourd´hui qui vaille est celui contre la nouvelle constitution et la 5e république. Le comportement des leaders de l´opposition favorables à la participation aux élections municipales est d´autant plus surprenant qu´ils sont conscients du grand enjeu de l´heure: la dictature, la malgouvernance de Faure Gnassingbé qui s´est taillé en solo une nouvelle constitution et conséquemment une 5e république pour ne jamais devoir quitter le pouvoir. Madame Brigitte Kafui Adjamagbo-Jonhson, dans sa lettre ouverte au président de fait du Togo, du 6 juin 2025, reconnaît très bien le caractère illégitime et illégal de Faure Gnassingbé à la tête du Togo: «…Vous n’avez pas de légitimité. Et depuis le 6 mai 2025, vous avez perdu le vernis de légalité que vous vous octroyez lors des élections frauduleuses. Il ne vous reste que la force, mais elle est nue. Vous gouvernez hors Constitution, hors peuple, hors temps. Et bientôt, hors Histoire. Quittez le pouvoir.»

 Pourquoi alors décide-t-on d´aller à des élections avec quelqu´un à la tête du pays qu´on qualifie d´illégitime? Pourquoi ne pas surmonter ses différences, pour l´amour du peuple, et s´entendre au sein de cette opposition, aujourd´hui éparpillée, pour mobiliser les populations togolaises qui n´attendent que ça, au lieu d´être focalisé sur des élections municipales qui n´arrangent que le dictateur et son camp? «Les Togolais demandent le départ de Faure Gnassingbé. L´opposition, elle, va aux élections pour le légitimer», pourrait être un titre possible de notre article. En effet, les manifestations contre le maintien de Faure Gnassingbé au pouvoir qui ont eu lieu à Lomé vendredi dernier, et dont l´initiative est née sur les réseaux sociaux au Togo et dans la diaspora, devraient être considérées comme un reflet de l´echec, de l´incapacité de l´opposition officielle à s´entendre, à s´organiser et à organiser le peuple. Même si les réseaux sociaux sont devenus depuis longtemps un lieu par excellence d´organisation et de mobilisation, insaisissable et incontrôlable par les régimes de dictature, nous pensons que ces manifestations de vendredi contre le pouvoir en place auraient été beaucoup mieux coordonnées si elles avaient été l´initiative de l´opposition traditionnelle, parlant d´une voix, qui n´aurait pas hésité à en récupérer le succès. 

Pour le moment, en dehors des dizaines de prisonniers politiques qui croupissent depuis plusieurs années, et dont beaucoup sont déjà morts, l´artiste engagé Essowè Narcisse Tchala alias Aamron est venu s´ajouter à la liste. En effet, pour avoir dénoncé la mauvaise gouvernance et demandé le départ de Faure Gnassingbé du pouvoir sur les réseaux sociaux, Aamron est kidnappé, torturé et contraint sous la menace de démentir ses prises de position et de s´excuser. Il est traîté de fou et envoyé dans un hôpital psychiatrique. Des méthodes inhumaines, inacceptables qui rappellent le comportement des services de renseignement à l´ère soviétique ou dans l´ex-Allemagne de l´Est. Voilà ce qui devrait révolter et inciter une opposition responsable à mieux s´organiser pour mettre fin au régime de Faure Gnassingbé, au lieu de vouloir aller à des élections municipales, pour légitimer la 5e république contre laquelle on prétend lutter, au moment où les populations togolaises sont dans la rue; surtout au moment où les sorties courageuses de Madame Gnakadé, une ancienne du système, devraient servir d´un grand coup de pouce à l´opposition. Une attitude tout simplement irresponsable et incompréhensible.


Samari Tchadjobo
Allemagne

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