Au Togo, le sort incertain du Guadeloupéen Steeve Rouyar, incarcéré pour atteinte à la sûreté de l’État

Arrêté le 6 juin dernier à Lomé pour avoir participé à des manifestations anti-gouvernementales, l’expert-comptable et militant politique est toujours détenu par les autorités togolaises. Ses proches sont inquiets. Les parlementaires de la Guadeloupe appellent le gouvernement français à tout faire pour obtenir sa libération.

Steeve Rouyar ne regrette pas son choix. Au contraire, il est on ne peut plus ravi de ce nouveau chapitre de sa vie. En cette fin de journée du samedi 17 mai, le Guadeloupéen passe en direct dans le journal télévisé de 13h de Guadeloupe la 1ère. Expatrié depuis quelques mois au Togo, ce petit pays d’Afrique de l’Ouest coincé entre le Bénin et le Ghana, il raconte avec fierté son expérience africaine.

À 44 ans, cet expert-comptable a quitté la Guadeloupe pour venir développer son business dans cette partie du monde où le marché est en plein boom. Il tente d’abord le Bénin, mais ne remplit pas les conditions de nationalité pour se lancer dans les affaires. Il traverse donc la frontière et s’installe dans la capitale togolaise, Lomé. “C’est une expérience extraordinaire, confie-t-il au présentateur du JT. Les peuples togolais et béninois sont réellement extraordinaires. C’est enrichissant sur le plan personnel, professionnel et spirituel.” Ce discours-là, il le tenait il y a deux mois. Mais, aujourd’hui, le vent a tourné. Depuis le 6 juin, Steeve Rouyar vit une désillusion. Il est en détention provisoire au Togo.

L’anniversaire du président

Après avoir gardé l’affaire sous silence, espérant une issue heureuse grâce aux voies diplomatiques, sa famille a décidé d’alerter les médias en cette fin de mois de juillet. Car cela fait maintenant 45 jours que le quadragénaire, parti seul dans ce pays d’Afrique, attend d’être fixé sur son sort. “Nous n’avons plus de nouvelles directes de Steeve, déplore son frère Mickaël, que nous avons rencontré ce week-end en région parisienne. On sait juste qu’il est incarcéré pour avoir pris part à une manifestation.”

Les problèmes de Steeve commencent au début du mois de juin, quelques jours à peine après son interview sur Guadeloupe la 1ère. Le Togo est classé par le magazine The Economist, qui publie chaque année son indice de démocratie, parmi les régimes autoritaires. Depuis les années 1960, le pays est dirigé par la dynastie Gnassingbé (d’abord par le père, Eyadéma, entre 1967 et 2005, puis par le fils, Faure, actuel dirigeant du pays). L’opposition y est quasi inexistante (l’Assemblée nationale ne compte que cinq membres dans l’opposition, sur les 113 députés).

Régulièrement, des mouvements de contestation viennent cependant remettre en question la légitimité de Faure Gnassingbé. C’est ce qui s’est passé ces dernières semaines, à l’initiative d’un rappeur togolais, Aamron, très critique envers le pouvoir. Pour marquer l’anniversaire du chef de l’État, il avait appelé la population à manifester le 6 juin. Sauf qu’il a été interpellé quelques jours plus tôt et placé en hôpital psychiatrique, d’où il a ensuite présenté ses excuses au président. Il a été libéré le 21 juin. Ce qui n’a pas empêché les manifestants de descendre dans les rues de Lomé les 5 et 6 juin. Et, avec eux, un certain Steeve Rouyar.

“Un combattant de la justice sociale”

Si le Guadeloupéen s’est fait arrêter lors de ces manifestations, ce n’est clairement pas par erreur. Il n’était pas au mauvais endroit au mauvais moment, comme on peut généralement le lire dans ce genre d’histoires. Car avant d’être un expert-comptable, Steeve est surtout un militant engagé. “C’est un combattant de la justice sociale”, décrit son frère Mickaël Rouyar, lui-même investi en politique en région parisienne. Il n’est donc pas surpris d’apprendre que Steeve était mobilisé aux côtés des manifestants antigouvernementaux du Togo.

En 2017, le Guadeloupéen, qui a grandi en région parisienne avant de retourner sur son île d’origine, se présentait pour la première fois aux élections législatives, dans la deuxième circonscription de l’archipel. Il n’est pas élu. Il retente sa chance en 2022. Idem, il peine à percer. Il y a un an, présenté comme candidat d’union de la gauche, il voulait une nouvelle fois tenter d’être élu à l’Assemblée nationale, où il aurait siégé avec les membres du Nouveau Front Populaire (NFP). Mais seuls 226 électeurs ont glissé son nom dans les urnes (soit 0,86 % des voix exprimées).

Steeve Rouyar ne renonce cependant pas à sa fibre politique. Ce militant, ouvertement opposé au macronisme et à la vaccination anti-Covid (“Nous devons sanctionner la politique d’Emmanuel Macron”, assumait-il lors de sa dernière campagne), affiche son soutien à la cause palestinienne. Il salue aussi l’action de la junte militaire au pouvoir au Mali depuis 2021. Ce qui explique peut-être son attrait pour cette région de l’Afrique, où, ces dernières années, de nombreux régimes ont été renversés.

“Sa voix était méconnaissable”

Le 6 juin, donc, Steeve apporte son soutien au mouvement anti-Gnassingbé. Mais la répression contre les manifestants est féroce. Sept personnes sont décédées. Plusieurs dizaines sont arrêtées. “Les graves troubles causés par lesdites manifestations illégales ont amené les agents de la force publique à intervenir pour maintenir l’ordre et protéger les usagers de la voie publique”, justifie trois jours plus tard le procureur de la République, Talaka Maawama, dans un communiqué. Il précise que la plupart des personnes interpellées sont togolaises. Mais pas toutes. “Quelques-uns des manifestants ont été identifiés comme étant des étrangers, dont un Français établi au Togo depuis quelques mois”, annonce le chef du parquet de Lomé, sans décliner son identité. Il s’agit de Steeve Rouyar.

La famille, elle, apprend l’arrestation du Guadeloupéen sur les réseaux sociaux. “On ne connaît pas ses conditions d’incarcération. On se demande s’il a été torturé ou pas, indique Mickaël Rouyar, le frère. Mon père l’a eu au téléphone deux minutes. Sa voix était méconnaissable.”

Après les violences, le parquet a voulu se montrer clément dès le 9 juin en libérant 56 personnes arrêtées lors des manifestations, évoquant des “charges jugées légères”. “Par contre, l’exploitation de la procédure d’enquête et l’interrogatoire des autres suspects ont permis de relever des charges suffisantes contre eux quant à leur implication dans les faits”, avance le procureur. Steeve Rouyar, lui, reste derrière les barreaux. Sur place, trois avocats se sont emparés du cas du Français, dont Célestin Agbogan, célèbre défenseur des droits humains au Togo et conseil du rappeur Aamron. Contacté, il n’a pas répondu à nos sollicitations.

Jusqu’à 30 ans de prison

Dans l’Hexagone et en Guadeloupe, plus les jours passent et plus le doute s’empare des proches de Steeve. “Pourquoi d’autres ont été libérés et pas lui ?”, questionne son frère. “Cette situation est inadmissible”, estime le père, Dominique Rouyar, dans un communiqué publié le 13 juillet.

Accusé de troubles à l’ordre public pour sa participation aux manifestations, l’expert-comptable risque un à cinq ans d’emprisonnement. Mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus la famille Rouyar. Car Steeve est également accusé d’avoir porté atteinte à la sûreté nationale de l’État togolais. Les autorités le soupçonnent d’avoir a minima rédigé des tracts antigouvernementaux et donc d’avoir eu un rôle organisationnel dans le mouvement du 6 juin. Et pour cela, il risque une condamnation de 20 à 30 ans.

« Nous demandons aux services diplomatiques français d’interpeller énergiquement les services diplomatiques de l’État togolais afin d’obtenir la libération immédiate de notre fils, frère et cousin », Dominique Rouyar, père de Steeve Rouyar.

Contacté, le Quai d’Orsay n’a pas encore réagi sur la situation du Guadeloupéen. D’après nos informations, il a cependant pu recevoir une visite consulaire ainsi que des soins (il se plaignait d’une douleur à l’oreille).

L’alerte des parlementaires

Alertés par la famille, les parlementaires de la Guadeloupe se sont emparés du dossier. Max Mathiasin, député LIOT, a envoyé un courrier au ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, réclamant “de mettre tout en œuvre pour parvenir d’urgence à sa libération”. Le ministre ne lui a pas répondu. Trois députés de Guadeloupe sont donc directement allés au ministère la semaine du 30 juin, où ils ont rencontré des conseillers du ministre. “Ils nous ont dit qu’ils attendaient la position du gouvernement togolais sur les faits reprochés à Steeve Rouyar”, nous indique Olivier Serva, lui aussi député LIOT, qui n’était pas présent au rendez-vous mais en a eu le résumé.

Le rôle qu’aurait pu jouer Steeve Rouyar dans les manifestations de juin n’est toujours pas clair. Les proches et les élus espèrent que la voie diplomatique permettra de sortir le Guadeloupéen de sa détention. “La situation est tendue, mais on essaye d’avancer tranquillement pour qu’il soit libéré”, dit Olivier Serva.

La France, qui entretient de bonnes relations avec le pays africain, alertait jusque-là ses ressortissants installés au Togo des risques d’attaques terroristes, surtout dans le nord (le Burkina Faso voisin étant en proie aux attentats). Depuis le 18 juillet, une nouvelle alerte apparaît désormais sur le site de la diplomatie française : “Il est recommandé de se tenir éloigné de toute manifestation ou rassemblement et de faire preuve de vigilance.”

Source : la1ere.franceinfo.fr

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