Dans cette tribune, l’universitaire FOLIKOUE Ekoué Roger interroge les contradictions profondes qui minent l’Afrique contemporaine. Entre héritage colonial non surmonté, dérives politiques, démocratie dévoyée et exode massif des jeunes, il dresse le portrait d’un continent en quête de sens et de direction. En s’inspirant du mythe fondateur de Soundjata Keïta, il appelle à un sursaut collectif pour plier les barres de l’humiliation et bâtir une Afrique de leadership, résolument tournée vers l’avenir.
LES PARADOXES DE L’AFRIQUE AU XXIÈ SIÈCLE
Dans leurs désirs légitimes de se libérer des jougs de la colonisation, les citoyens des pays africains dénoncent avec virulence le morcellement de l’ Afrique à la Conférence de Berlin en 1884. Ils crient au scandale de la division de l’ Afrique sans les Africains.
Mais depuis plus de six décennies, aucune rencontre sérieuse et déterminante n’a permis à l’ Afrique de se donner une nouvelle trajectoire pour son avenir.
Non seulement le principe de l’intangibilité des frontières, issues de la colonisation, est gravé en lettre d’ or dans la Charte de l’ Union Africaine, mais pire encore, des autorités africaines sont devenues de simples et faciles canaux par lesquels passent d’ autres puissances étrangères pour susciter des guerres pour des intérêts économiques et politiques (la guerre du Biafra au Nigeria, les Zoulous et les Cobras au Congo Brazza, les Seleka et anti-balaka en RCA, les conflits dans les Grands Lac et dans le bassin du lac Tchad, etc ).
A l’Afrique partagée sans les Africains répond l’Afrique divisée avec les Africains.
N’est-ce pas alors étonnant sinon absurde pour une Afrique qui semble s’indigner de l’acte de 1884?
En 1990 à La Baule, au président français François Mitterrand qui proposait la démocratie comme système politique aux pays africains, caractérisés par le régime à parti unique, des dirigeants africains avaient dit Non sous prétexte que l’ Afrique n’était pas mûre pour la démocratie et que le problème crucial pour leur continent est le développement.
Mais qu’ ont-ils fait réellement pour le développement du continent, 30 ans, 60 ans après les independances?
Non seulement les régimes à parti unique ont plombé les énergies sur le continent mais plus encore la ruse politique est une politique de l’autruche qui perdure malheureusement.
En effet, le refus de la démocratie était lié à la peur de perdre le pouvoir par des élections transparentes. Mais quand les gouvernants ont compris qu’ ils pouvaient organiser des élections non crédibles et truquées, le discours a changé. Il y a eu ainsi beaucoup de chantres pour la démocratie et il y a même eu une déclaration en 2000 dite Déclaration de Bamako.
Et pourtant ….la démocratie formalisée avec un habillage juridique a pris la place de la démocratie qui devrait réorganiser l’ espace public.
Une démocratie dévoyée peut-elle être un chemin de salut pour l’ Afrique nouvelle ?
L’Afrique émergente du XXI è siècle peut-elle être celle qui a inventé la théorie de la remise du compteur à Zéro pour ne pas quitter le pouvoir ?
Et que dire du virus du troisième mandat? On entend dire que la limitation du mandat n’ est pas consubstantielle à la démocratie et on cite l’ exemple de l’ Allemagne. N’est-ce pas oublié que dans ce pays les élections sont crédibles et transparentes, qu’il n’y a pas la modification de Constitution à volonté, et que le souverain n’est pas une personne ou un clan mais le peuple?
On critique le coût financier des élections alors, pour certains, il faut regrouper les différentes élections pour les faire une seule fois, pour d’ autres, elles sont tellement coûteuses qu’il faut supprimer certaines, les présidentielles, pour faire des économies pour le développement. Non seulement on ne voit pas d’ indices d’ un décollage pour le développement mais nos sociétés sont toujours en crise politique.
Le copier- coller ne marche pas mais nous ne servons pas non plus de modèle pour d’autres continents alors que nous voulons innover
Au lieu de cerner les élections comme une forme pacifique de dévolution du pouvoir, elles sont devenues des moments de dépossession des citoyens de leur choix et cela crée des crises de légitimité du pouvoir.
Une Afrique qui veut avancer peut-elle être celle dans laquelle le mandataire est plus fort que le mandant ?
Les pays africains revendiquent leur souveraineté, leur indépendance car le principe de la souveraineté définit l’ État moderne et permet à chaque État de célébrer son indépendance.
C’est bien de fêter son indépendance mais c’est encore mieux de la penser car une indépendance qui ne se pense pas dans la réalité incontournable de l’ interdépendance, et qui n’ oblige pas à travailler pour apporter ce que l’ on produit de spécifique et d’utile aux autres, transforme le rêve de l’indépendance en cauchemar puisqu’il risque de devenir un sempiternel assisté.
Dans un tel contexte, la richesse d’ un pays où d’ un continent ne réside plus uniquement dans la pluralité de matières premières mais aussi et surtout dans la capacité de les transformer dans des centres d’ excellence et d’usines modernes.
L’ investissement dans la matière grise des citoyens et citoyennes est une priorité.
L’ Afrique du XXIè siècle prend- elle le chemin de ses exigences?
Alors que la France attire les jeunes par Campus France et que l’ Occident n’hésite pas à mettre des moyens pour attirer la jeunesse africaine, les pays africains brillent par l’ inexistence et l’ insuffisance de structures de formation pour les jeunes.
Avec des universités pas assez équipées et l’ absence de laboratoires d’ innovation et de prospection, le continent n’attire pas et ne retient pas non plus ses jeunes.
Avec des billets d’avion et des coûts de transports élevés, la mobilité, entre les États et entre les jeunes et les chercheurs, est problématique.
Dans l’ épopée mandingue, il y avait un enfant infirme, incapable de se mettre debout et de marcher. Son nom est Soundjata Keïta.
Pour surmonter les différentes moqueries de sa belle- mère et les nombreuses scènes d’ humiliation de sa mère Sogolon, il demanda, un jour, une barre de fer et, rassemblant en lui toute sa force vitale, il utilisa l’ immense barre de fer pour se redresser. La barre se plia sous son effort et cela témoigne d’ une immense force intérieure et de la détermination.
Cet événement qui fut un récit fondateur pour l’ empire, ne peut-il pas servir, aujourd’hui, de leçon à tout un continent humilié et qui est doté cependant d’une force de résilience pour une Afrique de Leadership, décidée à plier les différentes barres pour se redresser?
(FOLIKOUE Ekoué Roger, RJC)