Face à la spéculation foncière et aux lotissements anarchiques, le Togo court vers une crise alimentaire majeure. Dans cette tribune alarmante, l’Inspecteur de l’Éducation nationale à la retraite, Jean Siwanou Tokinlo-Amouzouvi, sonne l’alerte et appelle à une gestion scientifique et politique des terres, afin de préserver l’avenir des générations à venir. « Les autorités doivent suspendre les lotissements et ventes anarchiques des terres, surtout dans les villages et les fermes », a-t-il suggéré. Lisez!
ALERTE ! ALERTE ! ALERTE ROUGE !!!
Un suicide collectif certain, programmé et ignoré
Par Jean Siwanou TOKINLO-AMOUZOUVI
Inspecteur de l’Education nationale à la retraite
Tél : 90043160/99611651
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Avons-nous conscience, en Afrique et particulièrement au Togo, que nous gaspillons nos terres, et que ce gaspillage risque de nous coûter très cher dans l’avenir ? Le monde est scientifique, la nature est scientifique, et nous devons la vivre scientifiquement. C’est en vivant scientifiquement que l’on identifie, ou même que l’on anticipe les problèmes inhérents à l’existence sur Terre. C’est dans ce sens que je salue la présence dans certains programmes de formation de base la méthodologie de la recherche, fondée sur : l’observation, l’expérimentation, les hypothèses, les lois, les principes, les théories, les formules, l’application, etc.
Généralement, lorsqu’on évoque le concept de sciences, l’idée s’envole vers les grandes découvertes et les inventions technologiques et scientifiques. Mais il y en a plus.
La gestion de l’environnement dans sa globalité doit préoccuper au plus haut point les penseurs scientifiques. Au premier plan, la gestion de la Terre, l’un des quatre éléments de la Nature, à côté de l’Air, l’Eau et le Feu. Sans la Terre, point de vie. L’agriculture qui en découle constitue l’activité originale et originelle de l’humanité. Manger pour vivre. C’est pourquoi dans certains pays, une plus grande partie des budgets d’Etat est allouée au secteur agricole pour garantir la sécurité alimentaire. En Afrique, nos pays sont essentiellement agricoles. Les populations vivent de leurs activités de productions liées à la terre. Autrement dit, la matière première de cette production reste la terre cultivable.
Lorsque nous entrons dans la théorie scientifique de la densité de la population qui consiste à faire une répartition théorique de la superficie d’un territoire par rapport à la population, nous arrivons à la notion de proportionnalité. La superficie d’un pays étant fixe, et à contrario, la population, variant surtout dans le sens d’un accroissement, le nombre de mètres carrés par habitant, quant à lui, diminue sans cesse.
Cette vérité incontournable, les pays développés, surtout ceux de l’Occident, la connaissent depuis et l’impliquent dans leurs équations de gestion de la terre et de l’environnement afin de prévenir toute surprise préjudiciable liée à leur existence.
Pour ceux qui ont la chance de visiter certains pays occidentaux, comme par exemples la France et la Belgique (ne parlons pas des Etats Unis), et qui ont eu la chance de faire un peu de tourisme rural, ils pourront donner une appréciation beaucoup plus objective sur l’objet de mon développement.
D’abord, lorsque vous survoler en avion le pays à basse altitude, parce que vous êtes proche d’arriver à destination et d’atterrir, vous remarquez trois types d’agglomérations : Une, bien grande, c’est une ville. Une, moyennement développée, c’est un village. Et Une beaucoup plus petite. C’est une ferme ou un ranch, faible concentration humaine avec quelques bâtisses habitables et comptables du bout des doigts, munis de greniers et d’enclos pour animaux. Par le biais de cette observation, je voudrais aborder et toucher la question de l’habitat.
En géographie, au cours primaire déjà, on nous avait appris qu’il existe deux types d’habitats : les habitats regroupés et les habitats dispersés. Les habitats regroupés sont caractérisés par une concentration de maisons dans un rayon défini de sorte qu’il n’existe pratiquement pas de grands espaces vides. Tandis que pour les habitats dispersés, les concessions individuelles sont très espacées les unes des autres et reliées par des sentiers. Ces derniers types d’habitats sont rares dans les pays occidentaux. Les villes et les villages y sont conçus en habitats regroupés. Surtout dans les grandes villes, une propriété qui s’ouvre sur une rue n’a pas plus de dix mètres. Elle peut toutefois évoluer en profondeur et en hauteur. Il en est de même pour les villages. La ferme quant à elle, est construite dans le but de surveiller les champs et les productions. Elle n’a pas vocation à évoluer pour devenir un village, encore moins une ville. Une ferme est une ferme, enfermée dans ses frontières originales, et entourée de vastes champs et exploitations.
Pour couper court, je dirai que dans les pays occidentaux, la politique foncière est telle, qu’un individu ne peut décider de son seul et propre chef de gaspiller la terre pour quelque motif que ce soit. Ce qui implique que les espaces exploitables, officiellement enregistrés, sont conservés pour de vastes champs de production de produits vivriers, des forêts intouchables, des pâturages pour bétail et autres programmes d’utilité publique. C’est ainsi qu’on a des villages et des fermes centenaires qui sont toujours enfermés dans leurs frontières originales ; du moins sans extension exagérée.
Dans nos pays africains et plus particulièrement au Togo, c’est le schéma contraire auquel nous sommes confrontés, favorisé et accéléré par une découverte magique conduisant à un enrichissement facile et rapide pour les uns, et à une accumulation hors pair de propriétés pour les autres. Il s’agit de la vente libre de terres. Les fermiers et les villageois ont découvert le sésame et n’hésitent pas à faire lotir leurs domaines champêtres et à les vendre à ceux qui en veulent.
Les jeunes jadis héritiers de vastes champs de leurs parents, aujourd’hui à la recherche d’une facilité pour survivre, n’hésitent pas à brader leurs possessions pour s’acheter des motos pour en faire des taxis en ville. Les conséquences de cette pratique sont multiples. L’exode rural avec ses prolongements est un gros dossier à traiter à part.
Dans cet écrit, c’est la rareté artificielle des terres cultivables qui m’intéresse de traiter. Nos populations sont à 80% agricoles. Les habitants des villages et des fermes vivent des produits des champs. Et voilà que tous les terrains sont en train d’être vendus à tour de bras, achetés par des nantis des villes et de l’administration qui n’en font pas un usage immédiat. On achète, on clôture, on place un portail et on fixe un cadenas, point. Le paysan est dépossédé. Plus de terres, plus de champs. Or ce paysan a des enfants dont il ne peut anticiper l’avenir. Que leur laisserait-il ? Le grand écrivain français Edmond ABOUT n’a-t-il pas écrit : « Nous sommes les héritiers de tous ceux qui sont morts, les associés de tous ceux qui vivent, la providence de tous ceux qui naîtront. » ?
Analyser cette réflexion dans tout son contenu reviendrait à ouvrir un gros chapitre à plusieurs facettes, sur la base de la trilogie qu’elle propose. Il serait néanmoins opportun de souligner avec le message du futur Edmond ABOUT que, pour témoigner notre reconnaissance aux mille générations qui ont graduellement fait de nous ce que nous sommes, il faut perfectionner la nature humaine en nous et autour de nous. Parce que nous ne serons meilleurs et plus heureux que nos devanciers, que si nous faisons en sorte que notre progéniture soit meilleure et plus heureuse que nous. En effet, si nous existons aujourd’hui, c’est que nos ancêtres et parents avaient pensé à nous, en ce sens qu’il n’est pas d’homme si pauvre et si mal doué qui ne puisse contribuer, dans une certaine mesure, au progrès de ceux dont il est le géniteur.
De notre côté, pensons-nous véritablement à l’avenir du monde et plus particulièrement à celui de nos progénitures ? Comme je l’ai déjà dit plus haut, je répète que dans nos pays, nous sommes essentiellement agricoles.
Gouverner, c’est prévoir. Et vivre c’est anticiper. A l’allure où vont les choses en matière de gestion de nos terres, que deviendra la vie dans nos campagnes à court, moyen et long terme ? Ne dit-on pas que : « C’est quand la campagne trouve à manger que la ville se rassasie » ?
De Lomé à Aného, on ne peut pas parcourir un kilomètre de route sans voir installée, de manière isolée, une bâtisse. Pareil sur le tronçon Lomé-Tsévié et autres itinéraires. Bientôt, nous risquons de mourir de notre propre mort par la faim. Les prix des produits vivriers grimperont à tel point que, seule une minorité nantie pourrait s’en procurer. Ce serait un vrai désastre qui se perçoit déjà à l’horizon.
Et pourtant, ce n’est un secret pour personne que dans notre pays, des gens se permettent de s’acheter des centaines d’hectares de terre, et qui deviennent leurs propriétés privées ; patrimoines que d’autres personnes ne pourront pas toucher. Dans le meilleur des cas, lorsqu’ils ont un peu plus de moyens, ils y construisent une maison plus ou moins grande qu’ils visitent de temps en temps, sinon très rarement. Simple gaspillage ! Existe-il une approche de solution ?
Si elle doit exister, l’approche de solution doit nécessairement passer par la politique. Il faut arriver un jour à avoir une Assemblée nationale attendue de tous leurs vœux par les Togolais ; une institution de la République véritablement représentative des élus du peuple qui initient et votent des lois et des textes sur le foncier et sur la gestion de nos terres, dans le sens de leur préservation.
L’une des prescriptions que ce parlement idéal devrait adopter, porterait sur l’expropriation systématique par l’Etat de toutes les terres cultivables, (surtout rurales inexploitées), contre bien sûr une indemnisation forfaitaire, lois, que l’Assemblée nationale idéale que les Togolais attendent de tous leurs vœux.
Si je fais cette proposition pour le long terme, sur la base de l’idée que je défends et qu’exprime si bien Edmond ABOUT, c’est que j’ai la ferme conviction qu’un jour viendra où notre pays sera doté d’une Assemblée nationale véritablement démocratique, issue d’élections libres et transparentes, représentant ainsi le peuple togolais qui se reconnaitrait enfin dans une institution de base. De ce fait, ledit peuple serait prêt à adhérer aux décisions qui en sortiraient.
Bien évidemment, une telle Assemblée nationale aura pour tâche de commander en amont, des études techniques relatives au domaine que j’évoque, en vue de dégager les conditions d’expropriation des terres par l’Etat auxquelles je fais allusion, (zone par zone, région par région), etc.
En conclusion, toutes les idées et préoccupations développées dans cet article ne sortiraient du domaine de l’utopie que si, comme nous l’avons évoqué plus haut, une volonté politique les accompagne et en constitue le socle.
En attendant l’avènement d’une Assemblée nationale telle que nous l’envisageons, les autorités doivent suspendre les lotissements et ventes anarchiques des terres, surtout dans les villages et les fermes.
NOUS NE SERONS MEILLEURS ET PLUS HEUREUX QUE NOS DEVANCIERS, QUE SI NOUS FAISONS EN SORTE QUE NOTRE PROGENITURE SOIT MEILLEURE ET PLUS HEUREUSE QUE NOUS.