Tribune libre- Au ministre Adjourouvi : la vérité n’a pas besoin des muscles pour s’exprimer

L’intervention récente du ministre togolais des Droits de l’homme, M. Pacôme Adjourouvi, sur les antennes de France 24, au sujet des manifestations en cours dans le pays, a soulevé un émoi légitime dans l’opinion publique. Plus que les mots employés, ce sont le ton, la gestuelle et l’attitude corporelle du ministre qui interpellent. Dans ce contexte marqué par une tension sociale palpable, l’apparente nervosité de celui qui est censé incarner la sérénité républicaine laisse songeur.

On attendait d’un ministre des Droits de l’homme qu’il projette une image de responsabilité, d’équilibre et de retenue. Or, durant cette interview, M. Adjourouvi s’est distingué par une gestuelle nerveuse, un débit précipité et une intonation hachée, traduisant davantage une fébrilité politique qu’une maîtrise de la situation. Ce langage non verbal, loin d’être anodin, trahit l’embarras du pouvoir face à une jeunesse qui, malgré la peur et la répression, continue de réclamer le retour à l’ordre constitutionnel.

La communication gouvernementale exige de la hauteur de vue. On ne peut banaliser les manifestations d’un peuple en souffrance sous prétexte d’un “ordre public” dont la définition varie au gré des intérêts du régime. La parole publique doit rassurer, expliquer, assumer et apaiser. Elle ne peut se réduire à un théâtre d’autorité gesticulée.

A cet égard, il est grand temps que la cellule de communication du ministre repense en profondeur les codes de représentation ministérielle. Les éléments de langage ne suffisent plus. Il faut travailler l’aisance médiatique, la cohérence du discours, mais aussi le langage corporel. Les bras qui s’agitent ne donnent pas du poids aux propos. Une communication d’État réussie repose sur la clarté, la posture, la maîtrise et surtout la justesse des mots. A défaut, elle révèle une attitude défensive qui nourrit le doute au lieu de dissiper les inquiétudes.

Il est pour le moins regrettable que le ministre ait choisi une célébration traditionnelle regroupant une jeunesse d’une seule préfecture pour affirmer l’adhésion nationale des jeunes aux politiques gouvernementales. Cette instrumentalisation politique d’un événement coutumier s’est déjà heurtée à une réponse cinglante : les chants populaires scandés par les jeunes présents traduisaient une désapprobation claire, dénonçant la récupération politique d’une tradition censée rassembler et non diviser. « La politique détruit nos coutumes », était la chanson principale pour cette édition 2025 dans les arènes de lutte.

Ce que le ministre n’a pas aussi dit, c’est que les visages des “milliers” de jeunes qui auraient « conforté et applaudi » le “chef de l’État” selon lui , étaient figés, fermés, marqués par une tristesse lourde et un silence pesant. Au point où le PC, Faure Gnassingbé, s’est vu contraint de leur demander s’ils étaient affamés ou s’ils souhaitaient manger avant de danser, tant l’ambiance évoquait davantage une veillée funèbre qu’une rencontre festive.

Ce mutisme n’était pas neutre ; il incarnait le cri étouffé d’une jeunesse désabusée, enfermée dans une précarité chronique, venue non pas par adhésion, mais dans l’espoir de gagner un billet de banque pour s’acheter, au mieux, un savon. Le ministre n’a pas jugé utile de préciser que ces jeunes, chaque année, se déplacent par nécessité plus que par conviction, dans une mise en scène devenue rituel d’humiliation. Là où le pouvoir voit de l’enthousiasme, les jeunes manifestent leur désenchantement par l’apathie. Ce fossé entre l’image projetée et la réalité vécue traduit l’incapacité du gouvernement à entendre ce que le peuple dit, même lorsqu’il se tait.

A peine cette manifestation de rejet passée, le ministre retombe dans les travers d’une communication réactive, incapable d’intégrer les leçons du réel. La répétition des maladresses révèle une dissonance entre l’image que le gouvernement veut projeter et la perception qu’en ont les citoyens.

Lorsque le ministre affirme que « les manifestations ne sont pas interdites », il se heurte au mur des faits. Depuis plusieurs années, de nombreuses demandes de manifestation ont été interdites ou réprimées, souvent sans décision judiciaire préalable. Les libertés publiques, pourtant garanties par la Constitution et les engagements internationaux du Togo, sont suspendues dans la pratique, remplacées par une logique d’autorisation politique qui dénature le principe même de liberté d’expression.

Le contraste est d’autant plus saisissant que le ministre s’exprime sur une chaîne aujourd’hui suspendue au Togo pour manque présumé de professionnalisme. Ironie du sort, cette même chaîne, accusée d’être partisane, lui ouvre grandement son antenne.A qui s’adresse -t-il finalement ?

Si les médias étaient véritablement engagés contre l’État, M. Adjourouvi n’aurait sans doute pas eu le loisir de s’y exprimer. Cette incohérence témoigne moins d’un désordre médiatique que d’une dérive autoritaire du régime, incapable de tolérer la contradiction.

L’aveu du ministre selon lequel « il y a eu des morts » lors des manifestations est un tournant majeur. Mais il soulève une série de questions graves : qui a tué ces manifestants ? Qui rendra des comptes ? Une chose est désormais établie,  des Togolais sont tombés lors de manifestations. L’État, par la voix de son ministre des Droits de l’homme, le reconnaît. Dès lors, l’obligation de vérité et de justice devient inéluctable.

Faute d’une justice prompte à diligenter des investigations crédibles et transparentes, il appartiendra au ministre, dans sa fonction et dans sa conscience, d’apporter un jour les éléments qui manquent aujourd’hui au droit, et d’assumer sa part de responsabilité dans la construction d’un récit d’État qui ne pourra éternellement éluder les faits.

Le ministre, pour justifier la répression, évoque des appels à attaquer des ambassades et des services publics. Mais une accusation, pour être recevable dans un État de droit, exige des preuves matérielles, des arrestations circonstanciées, des faits établis. Quels jeunes ont été interpellés dans les enceintes diplomatiques avec un arsenal de guerre en main ? Aucun élément tangible n’a été produit à ce jour. Le procureur de la République n’a jamais communiqué sur une telle accusation. L’on ne peut, au gré des peurs fabriquées, justifier la suspension des droits fondamentaux.

Une telle déclaration, sans fondement judiciaire, alimente les soupçons de manipulation et de criminalisation de la contestation. Elle renforce le sentiment d’un gouvernement plus préoccupé par sa survie politique que par le respect des règles qu’il prétend défendre.

En définitive, cette interview, loin de rassurer, a mis à nu les failles d’un régime en perte de maîtrise de son discours. Le langage gestuel fébrile du ministre, son discours imprécis, ses contradictions, tout concourt à fragiliser l’image de l’État. La chaîne suspendue, sur laquelle il s’exprime, devient paradoxalement le miroir de l’effondrement de la parole officielle. Car dans ce pays, ce ne sont pas les médias qui se délitent, ce sont les institutions qui se dérobent sous le poids du doute.

La vérité, elle, demeure simple, droite et tranquille. Elle n’a pas besoin de bras levés, ni de voix criardes pour s’imposer. Comme le dit l’adage : « quand la force des arguments manque, on use de l’argument de la force ». Mais la vérité, elle, finit toujours par surgir. Et ce jour-là, elle ne criera pas. Elle parlera en silence.

Ricardo Agouzou

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