« Plus un empire est proche de son effondrement, plus ses lois sont folles. » Cette maxime prêtée à Cicéron, résonne comme un écho au Togo. À l’heure où les réseaux sociaux [Facebook, X, TikTok, WhatsApp…] sont devenus le pouls battant de l’expression collective, au Togo, le régime impose aux usagers une ligne rouge aussi fine qu’un fil de rasoir à ne plus franchir. Likez, commentez, partagez… et vous pouvez vous retrouvez en prison.
En effet, hier vendredi, lors d’un point de presse à Lomé, le Procureur de la République, Talaka Mawama, a invité les utilisateurs des réseaux sociaux à observer une vigilance particulière. Selon lui, le cadre légal togolais – du nouveau code pénal à la loi sur la cybersécurité, en passant par le code de la presse et la protection des données personnelles – permet de sanctionner les « dérives » sur ces plateformes.
Les infractions ? Un catalogue glaçant : injures, diffamation, outrages aux autorités, apologie de crimes, provocation à la haine ou à la violence, diffusion de fausses nouvelles troublant l’ordre public. Le plus troublant c’est que ces poursuites ne s’arrêtent pas à l’auteur du contenu. Non : quiconque reproduit, diffuse, publie, partage… ou même commente pour valider une publication jugée « illicite » s’expose à des sanctions pénales. Pire : le like, ce pouce levé anodin qui dit « j’approuve » ou simplement « j’ai vu », pourrait être interprété comme une « complicité par approbation ». La loi, martèle-t-on, impose à tous de dénoncer les délits dont on a connaissance. Autrement dit : surveillez vos amis, ou devenez complice.
Bien sûr, nul ne conteste l’utilité des réseaux sociaux pour le bien commun. Personne ne défend l’anarchie numérique. La haine ethnique, les appels à la violence ou les fake news qui sèment le chaos méritent une riposte ferme. Mais où trace-t-on la frontière, au juste ? Le procureur lui-même distingue la « liberté d’expression, garantie à tous », de l’« attaque gratuite » ou de la diffamation.
Louable en théorie, mais problématique en pratique. Car qui décide ce qui est « illicite » ? Un algorithme ? Un magistrat ? Un pouvoir en place qui voit dans chaque critique une menace à la « sécurité de l’État » ?
Comme le dira l’autre, la liberté d’expression « existe » bel et bien au Togo… c’est la liberté après l’expression qui, elle, n’existe presque plus. Dans un pays où la presse indépendante est déjà sous pression, où les journalistes s’autocensurent et où des citoyens pourraient se retrouver en prison pour leur opinion sur les réseaux sociaux, cette nouvelle sortie du Procureur, loin d’être une simple « intimidation », est à prendre au sérieux.
Le Procureur nous invite à « tourner notre petit doigt avant d’appuyer sur partager ». Même si les intentions sont de protéger l’ordre public et d’assurer le respect de la loi sur ces plateformes, un like n’est pas un contrat de crime ; c’est un geste éphémère, subjectif, souvent impulsif. Le criminaliser, c’est non seulement étouffer la voix du citoyen lambda, mais aussi paralyser le débat public. Une nation qui emprisonne pour un like est-elle encore libre ?
Au Togo, comme ailleurs, les réseaux sociaux restent un défi majeur pour la cohésion sociale et la sécurité de l’État. Le bon sens commande de rétablir l’équilibre – punir les abus réels, sans pour autant transformer chaque clic en chef d’accusation. Sinon, Cicéron nous l’aura bien dit : les empires s’effondrent quand la folie légale étouffe le souffle vital de la parole libre.