Opinion: La « recette Noam Chomsky », levier ultime du changement politique au Togo

« Le vrai politique, c’est celui qui sait garder son idéal tout en perdant son illusion.» John F. Kennedy, 35eme président américain (1961 – 1963).

La tragédie palestinienne, exacerbée depuis les attaques du Hamas le 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie, continue. Notre propos ici n’est pas de nous engager dans la description ou l’interprétation de ce qui se passe en Palestine, mais d’établir un parallèle entre le sentiment d’impuissance et d’abandon qui a toujours animé les Palestiniens, et le même sentiment qui anime un autre peuple loin de Gaza : le peuple du Togo.

Parlant des Palestiniens, Noam Chomsky dit ceci : « Ce qui explique en partie la tragédie des Palestiniens, c’est qu’ils ne bénéficient singulièrement d’aucun soutien international. Et pour cause, ils n’ont pas de richesse, et ils n’ont pas de pouvoir, par conséquent ils n’ont pas de droits. C’est de cette manière que le monde fonctionne : vos droits dépendent de la richesse et du pouvoir dont vous disposez. C’est la même dynamique qui prévaut sur la plan interne aux Etats-Unis, et nous ne devrions pas être surpris que cela se manifeste chez nous : si tu es un pauvre enfant noir vivant à Roxbury, tu n’as pas les mêmes droits qu’un enfant de riches qui vit dans les banlieues huppées. C’est la même chose dans l’arène internationale. Donc même si les Palestiniens obtiennent des déclarations de soutien, personne ne fera grand-chose pour eux, surtout lorsque les Etats-Unis menacent quiconque essaie de faire quelque chose pour eux.»

Pour replacer ces propos dans notre contexte et tenter un rapprochement entre le traitement des Palestiniens et celui des Togolais, il convient de se demander si les Togolais ont les deux denrées qui font réagir ou forcent la communauté internationale à s’intéresser à la situation de leur pays : l’argent pour acheter l’influence, et le pouvoir de pression sur ceux dont l’avis est capital au moment décisif.

D’un côté, il s’agit de l’argent pour obtenir (ou carrément pour acheter) le soutien de ceux qui façonnent les opinions au sein de cette communauté internationale, du simple auditeur au décideur politique. À l’ère des réseaux sociaux, il s’agit des influenceurs (blogueurs, tiktokeurs, youtubeurs, instagrameurs et facebookeurs, des podcasteurs, parmi tant d’autres), des journalistes des médias traditionnels (presse écrite et audiovisuelle), de préférence non-Togolais. Les acheter à quelle fin ? Afin qu’ils diffusent un narratif plus attractif, qu’ils présentent le changement politique au Togo sous un angle positif, comme l’élément central de la résolution de certains problèmes politiques de l’Afrique de l’Ouest, d’un meilleur devenir de la région. Dans la variété actuelle de l’expression individuelle sur les médias sociaux, il s’agit de payer les influenceurs pour faire la propagande en faveur d’un changement de régime au Togo, car nous en avons grandement besoin.

De l’autre côté, il s’agit du pouvoir de pression sur ceux dont les actes déterminent formellement la position de la communauté internationale. Il s’agit principalement des élus et politiciens d’autres pays (parce qu’ils peuvent plaider pour ou voter des sanctions contre d’autres pays), des fonctionnaires internationaux et le personnel des ambassades présents au Togo (leurs rapports et câbles diplomatiques sur le pays ont un certain poids), ou ceux qui animent les institutions internationales qui ont le potentiel d’infléchir ce qui se passe au Togo par leurs réactions verbales ou leur silence. Aucun acteur dans ces instances n’est trop petit ou trop invisible pour changer la donne car aucun soutien n’est jamais trop petit quand il s’agit d’une cause.

L’on me demandera de quels leviers les Togolais disposent-t-ils pour faire pression sur de tels acteurs ? Je n’en citerais aucun ici, mais collectivement il faut les chercher et certains ont commencé par les utiliser. Chapeau au M66 et bien d’autres organisations qui ont capitalisé sur l’importance de cet élément de pression sur les acteurs internationaux. Outre ces acteurs, il faudrait aussi identifier des moyens de pression sur les « élus » au plan national : conseillers municipaux, maires, députés, sénateurs. Même si nos « élus » sont plutôt des « nommés », il faut collectivement trouver des leviers de pression sur eux en faveur du changement. Toutefois, ce pouvoir de pression lui-même dépend des fonds qu’on met à disposition. Par exemple du côté des Etats-Unis, le pouvoir de pression du lobby juif (AIPAC) dépend largement des fonds qu’il met à disposition pour faire et défaire les acteurs de la vie publique, des plus célèbres aux moins visibles.

Pour obtenir le changement politique au Togo, il n’y a pas plus realpolitik que les facteurs identifiés par Noam Chomsky en ce qui concerne les Palestiniens. Il faut d’une part de l’argent pour s’allier (ou acheter) les consciences de ceux qui peuvent amplifier le message sur la nécessité du changement et faire d’eux les défenseurs, les piliers publics de la cause ; d’autre part le pouvoir de pression sur ceux dont les décisions, publiques ou en coulisse, sont susceptibles de favoriser la cause. Ce sont les règles du jeu, le duo gagnant à l’échelle de la communauté internationale ; appliquons ces règles pour apporter enfin le changement aux Togolais. La mouvance en lutte pour le changement a certainement essayé cela à un certain degré, mais elle devrait l’appliquer encore et encore, parce que le régime militaire pour sa part met cela en pratique depuis belle lurette pour se maintenir, au vu et au su de tout le monde.

A. Ben Yaya,

New York, 14 octobre 2025

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