Vous pouvez avoir toute l’armée avec vous, la police derrière vous pour arrêter tous ceux qui ne vous plaisent pas, mais ce n’est en aucun cas, la garantie que c’est vous qui gagnerez le match à la fin, quand tout cela sera terminé. Parce que vous avez oublié un petit détail : vous être dans un système international qui applique la théorie du conflit inégal.
Jean-Paul Pougala
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Leçon d’éducation politique n°2286 de Jean-Paul Pougala sur la dynamique des élections du 12/10/2025 au Cameroun, destinée aux enfants des écoles primaires d’Afrique à lire dans la salle de classe climatisée avec d’autres 2285 leçons et 15.000 livres gratuits à télécharger sur www.pougala.net
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Lundi 28 octobre 2025, le Conseil Constitutionnel a annoncé au Cameroun la victoire du président Paul Biya âgé de 92 ans vainqueur des élections présidentielles du dimanche 12 octobre 2025 avec 53,66 % contre 35,19 % pour son principal rival, Issa Tchiroma Bakary qui a immédiatement contesté, rappelant que là où le candidat sortant Biya aurait eu le plus de voix, c’est paradoxalement la région qui est en guerre depuis plusieurs années, le Sud-Ouest, tenue par les séparatistes dits Ambazoniens, c’est-à-dire, là où les pro-Biya avaient été soit sauvagement tués soit kidnappés pour des demandes de rançon et les autres pour cette raison avaient été obligés de quitter la région depuis longtemps.
Et c’est là où le candidat de l’opposition, Issa Tchiroma est allé promettre qu’il mettrait fin à la guerre, avec un cessez-le-feu de la part des Ambazoniens, pour « aller voter en masse le candidat Issa Tchiroma », récitait le communiqué des séparatistes.
Et à l’arrivée, Paul Biya annonce que c’est là où il aurait obtenu 86% des suffrages, lui qui n’a réussi aucune solution pour mettre fin à la guerre, et qui n’a jamais effectué le moindre déplacement dans la région ou assisté à la moindre commémoration des obsèques des militaires camerounais tués dans ce conflit.
Le premier quotidien français, Le Figaro titrait hier lundi à sa une ceci :
«C’était une mascarade» : au Cameroun, la victoire présidentielle contestée de Paul Biya »
Le journaliste français, Tanguy Berthemet rappelle les propos tenus par Issa Tchiroma à l’Agence France Presse (AFP) qui appartient au gouvernement français écrit :
«Il n’y a pas eu élection c’était plutôt une mascarade. Nous avons gagné de manière indubitable».
Il y a une semaine, les mêmes chiffres avaient déjà été officiellement dévoilés et immédiatement contestés. Issa Tchiroma s’était d’ailleurs proclamé vainqueur il y a plusieurs jours avec, selon son décompte, 54,8 % des suffrages. Son parti souligne, comme autant de preuves de fraude, les scores étonnamment hauts et la participation record de certaines régions du…
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Source : https://www.lefigaro.fr/…/c-etait-une-mascarade-au…
En d’autres mots, annoncer qu’il a gagné là-bas mieux que partout au Cameroun, s’appelle dans notre langage de notre ghetto du quartier 10, le plus pauvre de Nkongsamba, quand j’étais petit, du Hop-Eye, c’est une expression venue de l’anglais qui signifie en d’autres :
« je te dépasse, j’ai la force avec moi, je fais ce que je veux, jusqu’à prendre ce qui est à toi. Puisque tu ne peux rien me faire ».
Hop Eye : je te menace juste en soulevant ma tête et en ouvrant grand mes yeux ! Et tu dois t’exécuter.
L’intérêt pour nous de revenir sur ce bras de fer qui commence entre les deux principaux candidats aux élections présidentielles au Cameroun c’est d’utiliser ce cas précis, pour vous expliquer la dynamique des conflits étudiée par la sociologie politique, qui débouche souvent sur des guerres.
Le cas en examen, prend le nom de la théorie du conflit inégal.
De quoi s’agit-il ?
Définition :
La théorie du conflit inégal est une ramification de la théorie du conflit qu’on étudie en sociologie, et qui met l’accent sur les inégalités structurelles dans la société et les luttes de pouvoir entre groupes dominants et dominés.
Selon cette théorie, les conflits sociaux comme politiques, ne sont pas simplement des désaccords, mais des manifestations d’un déséquilibre profond dans l’accès aux ressources, au pouvoir et à la reconnaissance.
Pour qu’on dise que nous sommes en présence de la théorie du conflit inégal, il faut le concours de plusieurs circonstances :
Inégalités de pouvoir : Lorsqu’il arrive que les groupes sociaux, les races, les tribus ne sont pas sur un pied d’égalité, on risque d’avoir la situation selon laquelle, la tribu qui a le pouvoir politique, dispose pour cela de plus de ressources (économiques, politiques, symboliques) que les autres et imposent ses intérêts aux autres tribus, en utilisant des slogans divers comme la recherche de la paix pour le pays ou l’unité nationale.
2) Domination et subordination : Lorsque ce pouvoir pratique le népotisme (ce mot vient du latin « nipote », qui veut dire le neveu. Il s’agit d’un système où on recrute en priorité les frères, les cousins, jusqu’aux neveux) et s’il est détenu par le même groupe depuis trop longtemps, on finira la conséquence que les institutions sociales (État, école, médias, etc.) vont forcément reproduire les rapports de domination, au profit des élites de ce groupe.
Ces deux premières conditions vont arriver à une troisième phase qui n’est que la conséquence des deux premières la résistance et le changement.
3) Résistance et changement : Les groupes dominés ont le choix entre accepter la domination perpétuelle du premier groupe, ou y mettre fin en entrant en conflit pour renverser l’ordre établi, ce qui peut échouer si le premier groupe bénéficie de plus de soutient externe ou réussir, et conduire à des transformations sociales et politique. Il parlera alors dans ce cas, de révolutions, de réformes, ou de mouvements sociaux.
D’où vient cette théorie ?
Elle vient de la lutte des classes étudiée par Karl Marx et les marxistes comme approche pour analyser les conflits entre bourgeoisie et prolétariat. Ensuite, les penseurs postcoloniaux ont analysé les rapports Nord-Sud comme des conflits inégaux hérités de la colonisation.
Après Karl Marx considéré comme le père de la théorie du conflit économique, on a eu d’autres auteurs qui ont travaillé sur le sujet, notamment Max Weber qui a élargi la notion de conflit à la sphère politique qui nous intéresse aujourd’hui, mais aussi culturelle. Enfin, un autre penseur comme Pierre Bourdieu est allé plus loin et a montré comment les inégalités symboliques (capital culturel, social) reproduisent les dominations. Et devenir pour cela source de conflit ou même de guerres du futur.
C’est donc de ces auteurs que nous vient la théorie du conflit inégal qui va nous aider à comprendre pourquoi certaines tensions sociales ou politiques sont structurelles et persistantes, et pourquoi les changements politiques nécessitent souvent des luttes profondes contre des systèmes de domination.
Après la proclamation des résultats par la Cour Constitutionnelle du Cameroun hier annonçant la victoire de Paul Biya, et l’immédiate contestation par le candidat Issa Tchiroma et les violences qui en sont suivies immédiatement après, j’ai reçu hier plusieurs sollicitations d’interview des médias en Occident qui partaient de mes articles des jours précédents pour demander mon avis sur ce qui allait se passer au Cameroun.
Parmi ces médias, il y a la RSI, la Radio Suisse Italienne où je suis contributeur depuis, le passage sur la chaine pour la présentation de mon livre autobiographique en italien « In fuga dalle tenebre » en 2007 qui m’a demandé une seule chose : que va-t-il se passer maintenant ?
Mais c’est la question d’un diplomate qui est allé plus loin : Pensez-vous que Issa Tchiroma dispose des soutiens de l’occident ?
Cette question résume tout l’enjeu de la situation de violence généralisée au Cameroun en ce moment.
Pour le comprendre, il faut revenir à la conclusion de notre définition du concept du jour : la théorie du conflit inégal, lorsque j’ai écrit :
« Les changements politiques nécessitent souvent des luttes profondes contre des systèmes de domination ».
La lutte contre un système de domination est avant tout un problème de rapport de force qui peut exiger des alliances opportunistes ou réelles.
Comme je l’ai annoncé dans une leçon précédente rappelant que c’est Washington et Paris qui allaient décider du vainqueur des élections, en prêtant la somme de 570 milliards de francs cfa à Paul Biya le 25 juillet 2025, moins de deux mois avant les élections et stipulait qu’il s’engageait à rembourser cet argent en cinq ans, n’était à mon avis qu’un message clair et net que les maîtres habituels du Cameroun, Washington et Paris qui ont financé pour maintenir Paul Biya au pouvoir pendant 42 ans, voulaient continuer sur la même trajectoire.
Mais ceci n’était que le premier set d’un match prévu pour durer 5 sets.
Toute la question est celle maintenant de savoir, si Issa Tchiroma qui sort de ce système, et qui a pris le temps de bien l’analyser pour savoir qu’il ne peut réussir aucune révolution, aucun changement sans l’accord de Paris ou de Washington, a-t-il pris les mesures, pour cela ?
Comme pour les pays de l’AES, il ne suffit pas de se déclarer contre la domination pour réussir sa révolution contre ce même système, parce que les rapports de force sont si inégaux, qu’un changement véritable est difficilement perceptible sur le long terme.
Les camerounais pourront tout casser, tout bruler, mais ce qu’ils ne savent pas est qu’il faudra aller recomposer avec ceux qui tiennent le Cameroun, en état d’assistance respiratoire depuis 65 ans : Washington et Paris.
Je peux donner mon point de vue très acerbe contre le bilan catastrophique de monsieur Paul Biya, mais mon analyse va toujours finir par se heurter à une réalité amère, celle de notre incapacité à produire la richesse, pour financer notre souveraineté.
La théorie du conflit inégal met en avant le fait que le plus fort n’est certainement pas assez fort pour plier le plus faible, c’est pour cela que le conflit par définition inégal, ne pourra pas prendre fin, poussant le pays vers la concentration des ressources non plus pour créer la prospérité, mais pour faire la guerre. C’est un peu la situation des pays de l’AES en ce moment.
Le précédent conflit inégal avec la France a été gagné par les militaires qui ont pris le pouvoir, mais, lorsqu’on voit avec quel enthousiasme, les médias publics français comme RFI, France24 ou privés comme Le Monde parle du succès des rebelles au Mali ou au Burkina, pour savoir que sortis perdants dans le conflit inégal avec ces pays, ils alimentent l’ancien conflit inégal avec les rebelles rendant la guerre perpétuelle.
Ceci soulève une autre question : jusqu’à quel point Washington et Paris soutiennent Paul Biya s’ils laissent s’éterniser le conflit du Noso ?
Les Ambazoniens n’ont pas suffisamment les moyens pour prendre le dessus, et l’état du Cameroun non plus n’a pas assez de moyens pour mettre fin à la guerre.
Est-ce que Washington et Paris n’ont pas tout simplement transformé ce conflit en conflit inégal pour avoir un meilleur levier de pression contre toute personne qui dirigerait à Yaoundé ?
QUELLES LECONS POUR L’AFRIQUE ?
Les États africains sont souvent soutenus par des puissances étrangères, ce qui renforce l’asymétrie face au peuple, aux groupes locaux ou insurgés.
Mais ce soutien n’est en réalité qu’en trompe-œil, parce que ce n’est qu’un prétexte pour affaiblir les dirigeants africains qui du coup gouvernent sans gouverner véritablement, orientant une partie de maigres ressources au service des conflits inutiles qui n’avaient pas raison de commencer, si le pays était gouverné par des gens qui comprennent le piège colonial tendu par la France et décrit par Deltombe dans son livre collectif cité au début de cette leçon.
Par exemple, au Cameroun, les séparatistes anglophones affrontent un État centralisé, avec peu de reconnaissance internationale et des moyens limités. Sur le papier, cette faiblesse devrait permettre à l’état du Cameroun de fermer ce chapitre le plus rapidement possible. Ce qui n’est pas le cas, ou en tout cas, pas jusqu’aujourd’hui 29 octobre 2025 quand j’écris cette leçon.
La raison tient au fait que cet état du Cameroun, ne produit pas assez de ressources, pour se donner les moyens de remporter la guerre dont la pérennité renforce au contraire, le pouvoir des puissances étrangères dominantes, Washington et Paris, sur toutes les décisions politiques et économiques prises par le Cameroun.
C’est la même chose en République Démocratique du Congo (RDC) ou dans le la région du Kivu, les milices locales financées par l’Occident à travers le Rwanda, se battent pour le contrôle des mines, face à une armée nationale qui n’a pas les moyens militaires pour venir à bout d’une telle milice, créant un conflit inégal qui fragilise fortement le pouvoir central de Kinshasa qui n’a pas les moyens pour venir à bout de ces milices.
CONCLUSION
Je ne sais pas sur quoi ou sur qui compte Issa Tchiroma pour enclencher son bras de fer contre Paul Biya, soutenu par la France et Washington.
Ce que je sais en revanche est que si les casses continuent dans les villes du Cameroun, cela peut ouvrir une fenêtre vers un conflit non plus inégal, mais de guerre civile, où Washington et Paris, se contentent de faire en sorte qu’aucun camp ne remporte une victoire décisive. Cela permet de faire perdurer la Françafrique et la pauvreté entretenue d’une bonne partie du peuple africain.
Mais si Paris et Washington lachent Paul Biya, on tourne juste la page d’un serviteur qui n’a pas compris à temps qu’il n’était qu’un simple pion, le temps de son service. D’autres dirigeants avant lui sont passés par là avec un lâchage en plein par Waqshington. Saadam Hussein l’a appris trop tard.
A rien ne sert de se prêter au jeu des magiciens qui devineraient le futur. Je peux juste me limiter à analyser pour permettre aux jeunes qui vont se lancer dans la politique de comprendre certaines dynamiques du pouvoir et des manipulations internationales qui vont avec.
Les prochains jours donneront une réponse plus précise à nos interrogations.
Jean-Paul Pougala
Mercredi le 29 Octobre 2025

