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Togo – 99 jours et des canons

En revenant sur l’assaut meurtrier contre la primature en 1991, Gnimdewa Atakpama, auteur de “La nuit est longue, mais la révolution vient”, rappelle comment le pouvoir togolais, incapable de vaincre politiquement un gouvernement civil, a choisi la violence. Une démonstration, selon lui, de la fragilité d’un régime qui ne tient que par la force.

99 jours et des canons

Le 3 décembre 1991, à 5h30 du matin, les soldats de la garde présidentielle ont ouvert le feu sur la primature avec des canons et des armes lourdes.

Joseph Kokou Koffigoh, premier ministre élu par la conférence nationale souveraine 99 jours plus tôt, a été capturé.

Son visage était tuméfié quand il est apparu à la télévision le lendemain. Le régime a prétendu qu’il avait été attaqué par des abeilles.

Cette attaque militaire a tout balayé. Les espoirs nés de la conférence nationale. Le gouvernement de transition. Les acquis démocratiques arrachés après des mois de lutte.
Et le colonel qui commandait cette opération, c’était Toyi Gnassingbé, le propre frère du chef de l’Etat Eyadéma Gnassingbé.

Voilà leur prétendue force. Voilà leur expertise.
Quand un régime ne peut pas tenir face à un gouvernement civil pendant 99 jours sans envoyer l’armée avec des tanks, ça révèle quelque chose d’essentiel.

Ce régime n’a jamais gagné par l’intelligence. Par la stratégie politique. Par la capacité à convaincre ou à rassembler. Il a gagné uniquement par la violence.

Dans La nuit est longue, mais la révolution vient, j’écris que ce régime est composé de pieds nickelés et de bras cassés.

J’entends souvent les gens dire le contraire. Qu’ils ont des experts, des penseurs, une avance sur l’opposition.

L’histoire du 3 décembre 1991 prouve exactement l’inverse. Ils ont mis en place une conférence nationale parce qu’ils y étaient contraints par la pression populaire et internationale. Ils ont accepté l’élection d’un premier ministre. Ils ont laissé suspendre la constitution de 1980.
Puis, pendant trois mois, ils ont paniqué.

Les militaires faisaient des va-et-vient hors de leurs casernes. Ils ont tenté d’enlever Koffigoh début octobre. Ils ont assiégé sa résidence fin novembre.

À l’aube du 3 décembre, les canons grondaient à la primature, et des dizaines de personnes sont mortes dans l’assaut.

Quand tu n’as que la violence comme réponse, tu n’es pas fort. Tu es faible.

Pendant la période où j’ai siégé à la Conférence des Présidents de la Coalition de l’opposition depuis 2017, j’ai vu la même chose. Nous luttions avec des bouts de ficelles. Eux avaient les moyens de l’État et la force publique.

Il leur a fallu deux ans et une répression barbare pour avoir le dessus.
Deux ans face à une opposition désorganisée, divisée, avec des erreurs stratégiques dans nos propres rangs.

Si ce régime était vraiment intelligent, vraiment stratégique, vraiment bien organisé, ça n’aurait pas pris deux ans. Ça n’aurait même pas pris deux mois.

Le 3 décembre 1991 n’est pas une démonstration de force. C’est un aveu d’impuissance.

Quand tu as le pouvoir depuis 1967, que tu contrôles l’armée, l’administration, les médias, et que ta seule solution face à un avocat président de la Ligue des droits de l’homme, c’est d’envoyer des tanks, tu montres au monde entier que tu n’as rien d’autre.
Pas d’idées. Pas de projets. Pas de légitimité.

Juste des fusils.

Les grondements de canons du 3 décembre 1991 résonnent encore aujourd’hui. Parce que fondamentalement, rien n’a changé dans la nature de ce régime.

Il tient par la violence, pas par la compétence.
Et c’est exactement pour ça qu’il peut tomber.

Parce qu’un système qui ne repose que sur la terreur est un système fragile. Il suffit que la peur change de camp. Il suffit qu’assez de gens comprennent que l’empereur est nu.

Le 3 décembre 1991 aurait dû être leur victoire. Ils contrôlaient le terrain après l’attaque. Koffigoh est resté premier ministre en titre jusqu’en 1994, mais vidé de tout pouvoir réel.

Sauf que cette attaque a aussi révélé au monde entier ce qu’ils sont vraiment.

Des hommes capables de tirer sur leur propre capitale avec des armes lourdes pour garder le pouvoir.

Si tu doutes encore de notre capacité à gagner, rappelle-toi ceci : ils ont eu besoin de canons pour vaincre un gouvernement civil qui n’avait que 99 jours d’existence.

Imagine ce qu’ils devront faire face à un mouvement organisé, déterminé, qui connaît leur faiblesse.

Gnimdewa Atakpama
Auteur de La nuit est longue, mais la révolution vient

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