À l’occasion du 20ᵉ anniversaire du décès de l’ancien président Gnassingbé Eyadema, le gouvernement a lancé une campagne de consultations médicales gratuites, destinée à soulager les populations dans plusieurs localités. Cette initiative, qui se tient notamment à Kara du 13 janvier au 8 février 2025, dans les locaux de Togo-fruits non loin de l’ENAM Kara, est décrite comme un hommage aux valeurs de solidarité et de bien-être prônées par le défunt chef d’État.
Cette action humanitaire mérite d’être saluée. Elle répond à une attente légitime des populations vulnérables, confrontées à des défis économiques et sociaux croissants. Elle reflète une volonté louable de mettre la santé au cœur des préoccupations nationales, tout en prolongeant les idéaux sociaux que Gnassingbé Eyadema avait incarnés durant son règne selon le gouvernement.
Cette initiative soulève cependant des questions légitimes concernant sa portée nationale.
Le communiqué gouvernemental, bien qu’annonçant une mobilisation dans plusieurs localités, reste flou sur les villes bénéficiaires en dehors de Kara. « Donc pour les autres localités, si les gens veulent se faire soigner, ils vont envoyer un courrier au gouvernement afin qu’on puisse les indiquer, c’est ça ? », se demande un internaute. Ce manque de précision alimente les doutes sur la sincérité et l’universalité de cette initiative. Il pourrait être perçu comme une inégalité dans la répartition géographique des efforts, alors que cette initiative se veut un symbole d’unité et de solidarité nationale.
Le choix de concentrer la campagne à Kara, bien que compréhensible au regard des origines du président défunt, pourrait aussi donner l’impression d’une régionalisation d’un projet censé être national.
Les tensions identitaires, exacerbées par des discours polarisants sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, rendent encore plus crucial le besoin d’une initiative véritablement inclusive. Cette campagne aurait pu renforcer le sentiment d’appartenance collective si elle avait été communiquée avec davantage de clarté et d’équilibre. Il serait opportun que le gouvernement réexamine son communiqué afin d’apporter des précisions sur les autres localités bénéficiaires, renforçant ainsi le caractère inclusif et national de cette initiative louable.
Cette commémoration révèle également une fracture dans la gestion des symboles historiques. Alors que le gouvernement consacre ses efforts à honorer le président Gnassingbé Eyadema, le père de l’indépendance, feu Sylvanus Olympio demeure largement absent des hommages officiels. Ce déséquilibre est d’autant plus marquant que le 13 janvier, date de lancement de la consultation gratuite en mémoire d’Eyadema, correspond à l’anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, figure fondatrice de la République. Pourtant aucune initiative n’a été faite en son mémoire.
Ce traitement différencié alimente un sentiment de marginalisation et nourrit une polarisation mémorielle. L’opposition traumatisée par le long règne du système, en focalisant ses célébrations sur Sylvanus Olympio, parfois au prix d’un discours empreint de rancœur, participe également à ce clivage, ne favorisant pas une réconciliation nationale.
Dans ce contexte marqué par des tensions historiques et identitaires, le président Faure Gnassingbé pourrait poser un acte fort en rassemblant les Togolais.Inviter le peuple à honorer conjointement les mémoires de Sylvanus Olympio et Gnassingbé Eyadema serait un geste de réconciliation et d’unité.Cela permettrait non seulement de dépasser les rancunes historiques, mais aussi de jeter les bases d’une véritable construction nationale.
Un tel effort exige un leadership visionnaire, capable de transcender les divisions et de placer l’intérêt supérieur de la nation au-dessus des considérations partisanes. Ni le pouvoir ni l’opposition ne peuvent réussir seuls. Le Togo a besoin de se redéfinir autour de valeurs communes et d’une mémoire collective qui inclut tous ses citoyens, sans distinction.
Que les mémoires de Sylvanus Olympio, père de l’indépendance, et de Gnassingbé Eyadema, artisan de paix et de stabilité, inspirent les générations présentes et futures à œuvrer pour l’unité et le progrès du Togo.
Ricardo Agouzou