Opinion: Pr Robert Dussey et les éloges interminables aux présidents de l’AES : La CEDEAO en désaccord avec le Togo sur son régime parlementaire ?

Depuis quelques jours, la diplomatie togolaise, portée par le ministre des Affaires étrangères Robert Dussey, suscite des interrogations. Si le Togo s’était imposé comme un acteur clé dans les efforts de médiation entre les militaires de l’AES au pouvoir et la CEDEAO, un virage semble s’opérer.

Les récents éloges interminables adressés au président de transition malien, Assimi Goïta, par le Togo, pourtant arrivé au pouvoir par un coup d’État ne manquent pas d’étonner. Ce positionnement interroge, d’autant plus qu’il tranche avec l’image historique du pays, autrefois réputé pour son opposition ferme aux prises de pouvoir par la force. Mais derrière ce basculement, une question brûlante refait surface; celle du positionnement du Togo au sein de la CEDEAO, en lien avec son régime parlementaire controversé.

Depuis son accession à la présidence en 2005, Faure Gnassingbé s’est maintenu au pouvoir, bénéficiant de réformes constitutionnelles qui prolongent son mandat. Alors que la CEDEAO tentait d’imposer une limitation stricte à deux mandats présidentiels, le Togo, avec la Gambie puis la Côte d’Ivoire, a refusé de signer le protocole additionnel à cet effet. Le sommet de 2015 à Accra avait déjà mis en lumière cette fracture. Sous couvert d’arguments liés à la souveraineté nationale, Lomé a constamment rejeté les propositions visant à harmoniser les pratiques démocratiques dans la région.

L’imposition en 2024 du régime parlementaire aux Togolais n’a fait qu’accentuer les doutes. Ce système, bien que rare en Afrique de l’Ouest, permet au président de contourner la fin de son mandat. En effet, dans le régime parlementaire actuel, les obligations envers des protocoles régionaux comme celui de la CEDEAO sur la limitation des mandats semblent s’atténuer. Faure Gnassingbé, qui cumule déjà vingt ans au pouvoir, pourrait se maintenir comme président du Conseil avec concentration du pouvoir, tant qu’il conservera une majorité parlementaire dans un système critiqué pour son manque de transparence électorale. Le Togo reste ainsi en décalage avec les aspirations portées par la CEDEAO pour promouvoir une gouvernance plus inclusive et des transitions pacifiques.

Le refus du Togo de s’aligner sur les recommandations de la CEDEAO renforce les critiques envers l’organisation, souvent perçue comme un “syndicat des chefs d’État”. Si elle a été ferme face aux récents coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso ou au Niger, son silence face aux coups d’État constitutionnels, notamment ceux observés au Togo et en Côte d’Ivoire, entame sa légitimité.

Pourtant, la CEDEAO avait entrepris, ces dernières années, de renforcer sa posture en faveur de la démocratie. Le protocole additionnel de 2001 insiste sur la nécessité de prévenir les crises institutionnelles, notamment via des mécanismes de limitation des mandats. Dans ce contexte, l’exception togolaise crée un malaise, car elle sape les efforts régionaux et alimente les frustrations des populations, en quête de changements démocratiques véritables.

L’attitude du Togo ne se limite pas à des considérations internes. Elle reflète également un repositionnement sur l’échiquier international. Les relations historiquement étroites entre Lomé et Paris semblent se distendre, tandis que le rejet par les États-Unis de l’éligibilité du Togo au programme du Millenium Challenge Corporation (MCC) est un signal fort de désapprobation. Ce contexte diplomatique tendu pourrait expliquer la récente ouverture du Togo envers les dirigeants de transition militaires.

Cependant, cette posture risque d’isoler davantage le Togo au sein de la CEDEAO, où certains chefs d’État voient dans le régime parlementaire une “astuce” pour contourner les principes fondamentaux de l’organisation. Selon des sources diplomatiques, des tensions latentes subsistent entre Lomé et ses pairs, ces derniers craignant une contagion de pratiques similaires dans d’autres États membres.

Alors que Faure Gnassingbé continue d’exercer son pouvoir dans un contexte de contestations internes croissantes, le régime parlementaire semble exacerber les divisions. Si la CEDEAO maintient son cap sur la limitation des mandats, le Togo pourrait devenir un cas d’étude illustrant les contradictions de l’organisation. L’émergence d’un régime qui se soustrait aux obligations communautaires pourrait bien marquer le début d’une période d’incertitude pour Lomé, où la pression diplomatique et intérieure ne cesse de croître.

Dans ce contexte, le rôle du médiateur togolais dans les crises sous-régionales, et surtout dans le rapprochement de l’AES et de la CEDEAO, soulève également des questions. Peut-il encore incarner une voix neutre et crédible alors qu’il exprime ouvertement son admiration, voire l’adhésion du Togo aux pays de l’AES, et aussi perçu comme un acteur en marge des principes démocratiques défendus par la CEDEAO ?

Le futur du Togo au sein de cette organisation semble suspendu à un fil, où s’entremêlent choix de gouvernance interne et réalités géopolitiques complexes.

Ricardo A.

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