L’opposition togolaise traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Autrefois fer de lance de la contestation contre le régime en place, elle semble désormais réduite à une quasi-inexistence, conséquence d’une série d’échecs stratégiques, d’un verrouillage méthodique de l’espace public par le pouvoir et d’un peuple relégué au rang de spectateur de son propre destin.
Au début des années 1990, le vent du multipartisme souffle sur l’Afrique, nourrissant les espoirs d’une démocratisation du Togo. L’opposition naissante parvient alors à ébranler le général Gnassingbé Eyadéma, au pouvoir depuis 1967. Plusieurs événements marquent cette période et façonnent les aspirations démocratiques du pays.
D’une part, les manifestations de 1990 et la répression des étudiants, donnent naissance à une contestation populaire d’ampleur. D’autre part, la Conférence nationale souveraine de 1991 constitue un tournant décisif, en plaçant temporairement le régime sous surveillance et en instaurant une transition démocratique dirigée par Joseph Kokou Koffigoh. Toutefois, la crise politique de 1992-1993, marquée par le siège de la Primature et une répression sanglante, met en lumière la fragilité du rapport de force et la résilience du pouvoir en place.
Si cette séquence permet à l’opposition d’arracher certaines concessions, elle révèle également la capacité du régime à contenir l’élan démocratique naissant. En multipliant les manœuvres dilatoires, en exploitant les divisions internes et en exerçant une répression ciblée, le pouvoir parvient progressivement à réaffirmer son emprise.
Les décennies suivantes offrent à l’opposition quelques succès épisodiques, notamment à travers l’imposition de discussions avec le pouvoir. Toutefois, ces dialogues, au fil des ans, se révèlent être de simples exercices de diversion. Pas moins de 27 dialogues politiques ont été organisés, donnant l’illusion d’une ouverture démocratique tout en consolidant le statu quo.
L’échec le plus cuisant reste sans doute celui de 2018. Alors que le Parti National Panafricain (PNP) et la coalition C14 parviennent à mobiliser une contestation d’envergure, leur dynamique s’effondre face à une répression implacable et une absence de stratégie cohérente. L’éclatement de la C14, qui incarnait l’espoir d’une opposition unifiée, scelle définitivement le déclin de l’adversité politique face au régime.
Aujourd’hui, le Togo connaît un verrouillage politique sans précédent. La mainmise du pouvoir se traduit par une répression systématique et une neutralisation totale des acquis démocratiques des années 1990. Non seulement le multipartisme s’est vidé de son sens, mais la presse, autrefois perçue comme un contre-pouvoir redoutable, est désormais muselée et contrainte à l’autocensure.
Les organisations de défense des droits de l’Homme, jadis influentes, sont marginalisées et peinent à jouer leur rôle. Quant aux syndicats, autrefois forces de pression redoutées, ils ont été affaiblis par des mesures répressives, notamment le licenciement abusif des enseignants grévistes en 2023. L’opposition se retrouve ainsi dans une situation d’effacement absolu, un phénomène inédit dans l’histoire politique récente du pays.
Si le pouvoir a su verrouiller l’espace politique, l’opposition porte néanmoins une part de responsabilité dans sa propre disparition. Minée par des luttes intestines, des querelles de leadership et son incapacité à identifier et neutraliser les “opposants fabriqués” infiltrés par le régime, elle a progressivement perdu toute crédibilité.
À cela s’ajoute une lassitude populaire. Autrefois moteur du changement, le peuple togolais, épuisé par les échecs répétés et la répression omniprésente, s’est résigné. Dès lors, l’éclipse de l’opposition ne résulte pas uniquement de la répression du pouvoir, mais aussi de son incapacité à incarner une alternative crédible et unie.
L’effacement de l’opposition se manifeste de manière éclatante dans le processus de l’élection sénatoriale en cours. Bien que controversée, cette nouvelle institution constitue une composante supplémentaire du système politique togolais. Or, l’opposition y est totalement absente. Tous les partis contestataires ont appelé au boycott, laissant ainsi le champ libre au pouvoir pour modeler une institution taillée sur mesure.
Cette absence illustre un phénomène plus large : l’opposition ne participe plus activement aux processus institutionnels, abandonnant ainsi les derniers leviers d’influence encore accessibles. En désertant le terrain politique et en se repliant sur des postures purement contestataires, elle offre au régime un boulevard pour asseoir son hégémonie.
Un nouveau cycle politique en gestation : une opportunité à saisir
Alors que l’opposition semble réduite à l’impuissance, un nouveau cycle politique s’ouvre avec les élections municipales de 2025. Ces élections, qui marqueront la fin du mandat des élus locaux, constituent une occasion de rebattre les cartes et de redonner un souffle nouveau à la lutte politique.
Si l’opposition veut renaître, elle doit impérativement rompre avec les stratégies répétitives et infructueuses du passé. Plutôt que de se limiter à des dénonciations stériles, elle doit s’investir pleinement dans le processus électoral à venir et chercher à peser dès ce nouveau cycle. Il est impératif d’élaborer une stratégie efficace pour contrer les fraudes d’un régime passé maître dans l’art des manipulations électorales.
Les municipales de 2025 marqueront le début d’un enchaînement crucial jusqu’en 2030, avec les législatives, les régionales et les sénatoriales. Chaque scrutin représente une opportunité de reconquérir progressivement du terrain, de réanimer la flamme militante et d’occuper des espaces institutionnels permettant d’influer sur les décisions politiques.
Pour ce faire, il est impératif d’abandonner l’amateurisme et de bâtir une stratégie électorale cohérente, fondée sur des alliances solides, une communication efficace et une implantation locale renforcée. L’enjeu est de taille car un régime sans opposition s’expose inévitablement à une dérive autoritaire et à une radicalisation progressive.
L’histoire récente du Togo démontre que chaque affaiblissement de l’opposition a conduit à un durcissement du pouvoir et à un renforcement de son emprise sur les institutions. Aujourd’hui, Faure Gnassingbé s’est assuré une présidence à vie grâce à l’adoption du régime parlementaire, instaurant ainsi une démocratie sans véritable contre-pouvoir, une situation périlleuse pour l’avenir du pays.
Si l’opposition ne parvient pas à se réinventer, le Togo risque de sombrer dans une stabilité de façade, où le silence apparent ne sera que le prélude à de nouvelles convulsions. L’enjeu dépasse ainsi les simples considérations partisanes : il s’agit d’un impératif d’équilibre démocratique et de survie politique.
L’heure est venue pour l’opposition de sortir de sa léthargie et d’exister à nouveau dans le paysage politique togolais.
Ricardo Agouzou