Le 25 décembre 2025, des frappes américaines ont visé des cibles terroristes dans le Nord-Ouest du Nigeria, précisément dans l’État de Sokoto. Cet événement, lourd de symboles, a ouvert une brèche dans le récit soigneusement entretenu d’un Nigeria présenté depuis des décennies comme la grande puissance militaire et sécuritaire de l’Afrique de l’Ouest. Car au-delà des communiqués officiels et des justifications diplomatiques, une question s’impose : comment un État qui se veut gendarme régional peut-il déléguer la gestion d’une menace interne à une puissance étrangère ?
Le paradoxe est d’autant plus frappant que, quelques semaines auparavant, Abuja s’érigeait en acteur déterminant des dynamiques régionales. Selon ses propres sources, le Nigeria aurait soutenu le président béninois Patrice Talon lors du coup de force du 7 décembre 2025. Dans le même temps, il se montrait incapable de résoudre des crises sécuritaires enracinées sur son propre territoire. Cette dissonance entre posture extérieure et impuissance intérieure fragilise le discours de puissance et expose une réalité plus inconfortable : la puissance nigériane est peut-être davantage proclamée que réellement exercée.
L’histoire récente rend ce constat encore plus amer. On se souvient des années où le Nigeria, à travers l’ECOMOG, menait des interventions tous azimuts dans l’espace ouest-africain. On se rappelle aussi qu’il fut en première ligne lorsqu’il s’est agi de porter la menace d’une intervention militaire pour réinstaller Mohamed Bazoum après le coup d’État du général Abdourahamane Tchiani au Niger. À l’époque, le Nigeria se posait en pilier de la CEDEAO, prêt à diriger une coalition armée au nom de l’ordre constitutionnel.
Pourtant, lorsque des groupes terroristes tuent des innocents sur son propre sol, au nom d’idéologies d’un autre temps, la fameuse force en attente de la CEDEAO semble soudainement inexistante. Serait-elle donc conçue pour remettre des présidents destitués sur leurs fauteuils plutôt que pour protéger des populations civiles face au terrorisme ? Cette interrogation, dérangeante, met en lumière une hiérarchisation politique des urgences sécuritaires.
La communication du gouvernement nigérian n’a fait qu’alimenter le malaise. Les autorités ont reconnu un échange d’environ 25 minutes avec les Américains avant l’attaque. Un délai étonnamment court pour une opération menée sur le sol d’un État souverain, et qui laisse planer l’ombre de dictats déguisés en coordination. Le Nigeria savait, selon ses propres déclarations, où se trouvaient les terroristes. Mais il était incapable d’aller les déloger lui-même. En revanche, il a pu fournir ces informations aux États-Unis, afin qu’ils frappent à sa place. Cette séquence pose une question simple mais brutale : où commence et où s’arrête la souveraineté nigériane ?
Une lecture interne de la situation ne peut être écartée. Le pouvoir nigérian craint-il de s’aliéner certaines communautés religieuses – chrétiennes ou musulmanes – s’il engageait directement une offensive massive contre des groupes se réclamant de l’extrémisme religieux dans le Nord ? Externaliser l’action militaire ne serait alors pas un aveu d’impuissance pure, mais un calcul politique cynique visant à éviter une explosion interne. Mais ce calcul, s’il existe, se paie cher en crédibilité nationale et régionale.
Une autre hypothèse, plus grave encore, mérite d’être posée : et si l’initiative venait principalement de Washington ? Si les Américains avaient agi délibérément, imposant au Nigeria d’en prendre acte et d’en assurer le « service après-vente » diplomatique ? Dans ce cas, la violation du droit international ne serait pas un accident, mais un message stratégique. Un message adressé à des rivaux globaux, peut-être au Venezuela de Maduro, ou plus près de nous, à la Confédération des États du Sahel, qui revendique une autonomie sécuritaire accrue vis-à-vis des puissances occidentales.
Au final, l’épisode de Sokoto agit comme un révélateur. Le Nigeria demeure un géant par sa population et son économie, mais un géant fragilisé, dont les pieds semblent de plus en plus ancrés dans l’argile des contradictions internes, des dépendances extérieures et des ambiguïtés stratégiques. La question n’est donc plus seulement de savoir s’il est encore le gendarme de l’Afrique de l’Ouest, mais s’il maîtrise réellement son propre destin sécuritaire.
Le doute, désormais, est permis.
Dr. Festus Tamakloe
Munich, Allemagne, 28 Décembre 2025


