Nouvelle réaction du confrère Luc Abaki sur la crise malienne. L’ancien Directeur Général de la Chaîne du Futur (LCF) revient sur le bras de fer diplomatique entre la France et la junte au pouvoir au Mali. Lecture!
“L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur, s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte des maîtres qui prétendent l’affranchir. Seule la lutte libère “.
Je ne sais s’il peut exister une intelligence plus affirmée et plus affûtée qui puisse saisir avec plus de lumière et de pragmatisme, cette vérité éternelle martelée par feu Thomas Sankara et qui permet à chaque individu d’assumer son destin sur cette terre.
L’histoire que sont en train de construire les maliens dans leur combat contre le maître d’hier me sert d’appui pour illustrer l’état d’esprit de conquérant et même de gagnant qu’il nous faut tous développer en tant qu’êtres humains.
D’abord le fait pour eux, de vouloir faire autre chose que ce qui se fait d’habitude dans les systèmes de gouvernance de nos États, est le principal objet qui nourrit tous les débats aujourd’hui.
La vérité, c’est qu’au-delà du simple coup d’État qui est devenu routinier dans nos pays, l’acte qui suscite autant d’ire de la France et à travers elle, ses complices dont la CEDEAO, reste le fait pour les dirigeants maliens d’envisager la perspective d’un temps assez long dans la conduite de la transition.
Quand bien-même cet intervalle qu’ils envisagent est argumenté, documenté et appuyé par des réalités évidentes et certaines qui empêchent le vivre ensemble au Mali, il y’a, de toute évidence, une ligue internationale contre eux simplement parce qu’ils osent sortir du conformisme et de l’establishment dont les résultats, dans les faits, restent encore très en deçà des aspirations minimales d’un être humain qui veut donner sens et saveur à sa vie.
Suivez simplement les discours qui sont servis et toutes les accusations portées contre les dirigeants maliens, ils se résument en ce fait tout simple, de vouloir s’affranchir des habitudes qui ont téléchargé dans l’esprit des humains, des automatismes consistant à dire par exemple qu’une transition doit, par essence, être courte dans la durée et puisque, dans ce même esprit, il a été établi là encore par les mêmes êtres humains, ce fait que 5 ans est un mandat, alors aucune transition ne doit atteindre les 5 ans.
Or ce faisant, l’on sort littéralement des faits qui légitiment ou fondent l’existence de la transition elle-même, et ainsi donc personne, avec une tête froide, n’est en mesure de questionner la vocation de la transition malienne en lien avec l’histoire, le présent et le devenir du peuple destinataire des actions qui seront posées dans le cadre de cette transition, surtout que toutes les formules d’hier ont lamentablement échoué par rapport au projet logique et légitime de création d’un creuset commun dans ce pays.
Mais, il a juste suffi que le colonel Goïta et les siens se montrent déterminés et résolus à rester fidèles et conformes à leur conviction et à leur vision qui sont de chercher à tout prix, les moyens par lesquels, ils vont sortir les maliens de la prédation, pour que tout cet attelage de conceptions théoriques, des concepts dogmatiques et des automatismes routiniers, commence à se lézarder au point où l’on ne retrouve plus ni de cohérence ni de rectitude dans le discours.
La France en effet, avait martelé que si IBK n’était pas rétabli dans ses fonctions, elle quitterait le Mali parce qu’elle n’entend pas collaborer avec des dirigeants “illégitimes”. Ce dernier n’a pas été rétabli, elle non plus n’est pas partie de là.
Elle a ensuite juré que si jamais Wagner pointait son nez dans ce pays, ce serait la ligne rouge à ne pas franchir. Elle-même, aujourd’hui, affirme à travers ses propres médias que cette présence russe est confirmée. Là encore, elle tergiverse, relativise et cherche des subterfuges et des alibis pour ne pas se faire rattraper par ses propres affirmations d’hier.
Le Mali va jusqu’à expulser l’ambassadeur français, à intimer l’ordre aux forces spéciales danoises clandestinement parachutées sur son sol, exactement comme des sans-papiers sous la coupole de cette même France, rien à faire, elle prend juste acte et se réfugie derrière les partenaires qui, selon elle, doivent désormais aider à définir la voie à suivre et l’attitude à adopter quant maintien ou non de la présence des forces militaires européennes dans ce pays.
Pendant ce temps, malgré le vent et la tempête, malgré les vagues qui se déchaînent, malgré les trahisons, malgré les sabotages et les coups-bas, l’équipe Goïta est restée imperturbable, marquant continuellement des pas par rapport à sa vision, à savoir, libérer le Mali de la prédation à la fois des groupes terroristes que de l’occupation de ses terres par des forces étrangères, mettre les fondamentaux de la République malienne qui vont permettre le vivre ensemble et l’organisation d’une élection saine, veiller à épanouir le peuple en l’amenant non seulement à être fier de lui-même, mais encore, à vouloir se prendre en charge en assumant pleinement son destin même avec les épreuves, les ronces et autres peines qui vont joncher ce parcours.
Les dirigeants maliens réussiront-ils à atteindre véritablement un tel but si noble? Personne, objectivement ne peut le conclure de si tôt.
Mais tout compte fait, la chose que l’on retient reste le parcours qu’ils auront fait, les murs psychologiques qu’ils auront réussi à faire tomber ainsi que les clichés, les mythes et les idées reçues qui servent d’éléments fondamentaux du conformisme limitant la marge d’audace du peuple africain qui donne visiblement et tristement le regrettable sentiment, d’avoir pactisé à vie avec l’esclavage.
Leçon ? Le conformisme n’a jamais forgé de héros dans le monde des vivants et moins permis l’accomplissement des actes relevant de la noblesse. Seuls ceux qui, à un moment donné de leur vie, décident audacieusement de laisser leurs marques personnelles dans le projet de construction d’un bien commun, arrivent à y laisser des empreintes qui résistent à l’histoire.
Les ambitions et les actes de Thomas Sankara ont été écourtés par un coup d’État en cours de parcours, mais il ne reste pas moins éternel aujourd’hui malgré son départ physique de ce monde il y’a de cela plus de trois décennies déjà, après avoir été vilipendé exactement comme l’on le fait aujourd’hui contre Goïta.
Et, à contrario, des dizaines de dirigeants se multiplient et se succèdent ou s’éternisent à la tête de nos pays, sans aucun acte de noblesse qui permettrait d’inscrire leurs noms dans le registre des héros du continent.
Alors que faut-il choisir en fin de compte ? Le lâche conformisme qui est très facile et permet de jouir des dividendes matériels du pouvoir mais confine les humains dans l’anonymat complet ou l’héroïsme qui, lui, exige un supplément d’âme, une dose consistante d’audace et de sacrifice mais, immanquablement loge directement l’être au panthéon de ceux qui, par leurs actes et leur lumière, canalisent et tractent la vie et la mue de l’humanité ?
Luc Abaki