Migrations intra-africaines : des images d’accueil incohérentes

Maryse Quashie est maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université de Lomé, au Togo. Dans cette chronique, elle se penche sur le phénomène migratoire à l’intérieur du continent africain.

Les migrants Africains ne prennent pas seulement la direction de l’Occident : ils se déplacent aussi et même plus souvent sur leur propre continent. Au cours de ces migrations, quel accueil est-il réservé aux nouveaux venus ? En réponse à cette question, plusieurs images viennent à l’esprit.

Dans un premier temps, viennent les images qui célèbrent l’hospitalité africaine. Ainsi en est-il par exemple, en pays Akebou (au Togo) des Ntribou fuyant les guerres et dont il est dit que l’assimilation a été totale sur le plan linguistique et culturel, même si chaque groupe conserve le souvenir de son identité historique au point de former des quartiers et des villages distincts. On cite aussi le cas des lignages Peda (Xweda), venus de l’actuel Bénin, dont on trouve des groupes dans des quartiers de nombreux villages au Togo.

Cette hospitalité légendaire est d’ailleurs attestée dans beaucoup de contes et légendes, à tel point que les Africains se retrouvent bien dans le récit biblique d’Abraham qui reçut Dieu en accueillant l’étranger au chêne de Mambré.

Seconde image. En 1958, des hordes de « Dahoméens » fuyant la Côte d’Ivoire, en 1984 et 1987, des Togolais et Ghanéens, traversent Lomé, chargés de leurs effets personnels, en provenance du Nigeria. Dans les années 2000 des Sud-Africains renvoient des Africains d’autres pays, sans même leur laisser le temps de ramasser leurs biens…

Un ensemble incohérent

Comment assembler ces deux images ? Certains ne se gênent pas pour affirmer que la fameuse hospitalité africaine est pure chimère, donnant du même coup raison à ceux – notamment en Occident – qui parlent d’une limite dans l’accueil des étrangers. Cette limite dépassée, il y aurait en quelque sorte des comportements naturels de rejet.

Ne serait-ce pourtant pas que certaines images manquent au tableau ? On y verrait se mouvoir dans l’ombre des personnages murmurant à l’oreille des autochtones des phrases du genre : « Si vous avez faim, n’est-ce pas parce que vous devez partager le peu que vous avez avec ces étrangers venus s’installer chez vous ? » Ou encore : « si vos enfants ne trouvent pas de travail, n’est-ce pas parce que ces étrangers prennent leur place, n’est-ce pas parce que ces étrangers gâchent le travail en acceptant n’importe quel salaire ? ».

Pourtant même ces scènes ne suffiraient pas à rendre l’ensemble cohérent. Il faudrait ainsi évoquer une dernière série d’images. Dans celles-ci, certains hommes de pouvoir se laisseraient convaincre par des discours affirmant qu’ils auraient tout à gagner en désignant
des étrangers à la vindicte populaire, qu’ils pourraient tirer leur épingle du jeu quant à la misère de leur peuple en pointant du doigt les migrants… Les exactions que vivent les Africains subsahariens en Tunisie, n’auraient-elles pas quelque chose à voir avec ce type de scène ?

Le danger de la rumeur

Lorsque toutes ces images auront été intégrées à l’analyse des migrations récentes en terre africaine, peut-être alors pourra-t-on mieux comprendre certains événements. Ainsi, dans les années 1990, dans la ville de Lomé une psychose s’est répandue : tout homme se laissant toucher par un Ibo (originaire du Nigeria), se verrait menacé dans son intégrité sexuelle notamment par une attaque sur ses organes sexuels. La rumeur s’est répandue et a même occasionné des agressions sur les Ibo…

Or ces derniers se sont installés au Togo après la guerre du Biafra (1967-1970) qui poussa plus de trois millions des leurs à quitter le Nigeria. Ils furent accueillis au Togo sans difficultés notables, s’insérant au point d’ouvrir des écoles, d’être les principaux acteurs de paroisses ou communautés religieuses anglophones… Une vingtaine d’années plus tard, le commerce de la friperie et des produits textiles en général, en a fait une communauté relativement prospère. N’était-ce pas alors facile de les pointer comme responsables des malheurs des citoyens togolais ?

Et si, au contraire, l’image finale illustrait plutôt ces phrases : « Il n’y a jamais eu de peuple ethniquement ′′pur”. Chacun des groupes a été constitué (…) d’apports successifs qui se sont plus ou moins fondus dans une nouvelle identité. Qu’elles se soient choisi ou simplement tolérées ces communautés juxtaposées ont appris à vivre ensemble. » (1)

Maryse Quashie

(1) À propos des leçons de l’histoire des Togolais, in, Département d’Histoire de l’Université de Lomé,
Histoire des Togolais, 1997

Source: africa.la-croix

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