Au front face à la pandémie à Coronavirus, Dr Michel Anama TOUSSO, Psychologue clinicien et de la santé au CHU Sylvanus Olympio, Président de l’Association des Psychologues Cliniciens et de la Santé Hospitalier (APCSH-Togo) dans un entretien exclusif au bihebdomadaire Le Correcteur revient sur les facteurs de stress du Covid-19, les effets psychologiques et sociaux ainsi que sa gestion psychologique. Il est également revenu sur les fonctions précises du psychologue clinicien et de la santé. Lecture
Qu’est-ce qu’un psychologue clinicien et de la santé ?
Un psychologue clinicien et de la santé est un spécialiste de la santé ayant reçu une formation théorique et pratique de haut niveau (DESS ou Master professionnel au minimum) à l’université.
Le psychologue clinicien et de la santé, est un cadre de conception (autonomie et responsabilité professionnelles, confidentialité) qui a pour mission de « Concevoir, élaborer et mettre en œuvre des actions préventives, curatives et de recherche à travers une démarche professionnelle propre prenant en compte les rapports individuels (la vie psychique des individus) et collectifs (le fonctionnement des groupes et leur interaction avec l’organisation) afin de promouvoir l’autonomie et le bien-être de la personne » (Journal des psychologues, Rémy Mervelet, 2012).
Le psychologue clinicien et de la santé collabore au projet thérapeutique ou pédagogique du service (ou département) ou de l’établissement et son action s’articule, autour de deux aspects (Circulaire DH/FH3/92 n°23 du 23 juin 1992 Français) :
– Une fonction clinique qui peut s’adresser à des personnes et des groupes. La mise en œuvre de ces actions individuelles fait appel aux méthodes, moyens et techniques correspondant à la qualification issue de la formation reçue par les psychologues.
– Une fonction de formation, d’information et de recherche.
Le psychologue clinicien hospitalier répond aux besoins affectifs et psychologiques du service où il exerce. Il exerce les fonctions diverses, fonctions portant sur la composant psychique des individus considérés individuellement ou collectivement, conçoit des méthodes et met en œuvre les moyens et techniques correspondant à la qualification qu’il a reçu. A ce titre, il étudie et traite, au travers d’une démarche professionnelle propre, les rapports réciproques entre la vie psychique et les comportements individuels et collectifs, afin de promouvoir l’autonomie de la personnalité.
Lorsqu’un problème de diagnostique différentiel se pose, le psychologue clinicien peut avec ses méthodes et techniques propres, affiner le diagnostic, susciter une discussion avec ses collègues, avec les médecins, avec l’équipe afin d’apporter une ouverture sur de nouvelles perspectives de travail.
En somme, les activités du psychologue clinicien et de la santé concernent trois pôles : les activités cliniques auprès des patients, les activités cliniques institutionnelles et les activités de formation, d’information et de recherche (Joëlle Mignot et al., 2013).
Le champ d’application de la profession de psychologue clinicien et de la santé sont : le monde du travail et de l’entreprise, la santé mentale, l’expertise judiciaire, la justice, l’éducation, la fonction publique hospitalière (Joëlle Mignot et al., 2013). Dans le champ de la santé, le psychologue clinicien et de la santé est autant un cadre supérieur, professionnel de la santé (Bioy & Fouques, 2008). Il a l’exclusivité de la consultation psychologique, de l’examen psychologique et de l’explication psychologique qui en découle.
Le psychologue clinicien et de la santé peut travailler en libéral.
Dans la fonction publique hospitalière, le psychologue clinicien et de la santé exerce dans tous les services des hôpitaux : Neurologie, Cardiologie, Gynécologie et maternité, Pédiatrie, Gastro-entérologie, Dermatologie, Médecine interne, Cancérologie, Chirurgie, Hémodialyse, Traumatologie, Psychiatrie, Hôpital de jour, etc.
Quels sont les facteurs de stress du Covid-19 ?
Avec le Covid-19, les facteurs stressants sont en autres :
– Le manque d’informations claires et fiables associé au trop plein de désinformation peu documenté, aux rumeurs et aux fausses informations qui se propagent plus que le Covid-19 et entretiennent la panique.
– Les informations alarmistes présentant les chiffres toujours croissants des cas infectés et des décès sans faire état du nombre aussi élevé de personnes guéries. C’est vrai que c’est pour créer un choc émotionnel (la peur) qui va amener la population à respecter les mesures recommandées pour limiter la propagation du coronavirus. Mais on constate que cette peur s’amplifie et c’est plutôt la panique, l’anxiété qui se propage plus que le Covid-19 avec toutes les conséquences néfastes au plan psychologique et social.
– Le plateau technique dans les hôpitaux africains qui ne rassure pas la population qui entend dans les médias nationaux et internationaux les ravages du Covid-19 en Chine, en France, en Italie, aux USA où les hôpitaux disposent de plateaux techniques de dernières générations. En dehors de cette déficience du plateau technique en Afrique, la population observe une absence cruelle de lits de réanimation et l’incapacité des Etats à s’en doter comme cela se fait en occident dans ce contexte actuel de Covid-19 en dépit de la disponible légendaire.
– L’absence de vaccin pour prévenir le Coronavirus et l’absence de médicaments pour anéantir ce nouveau virus.
– La possibilité de confinement : la durée du confinement, la carence de certains produits de consommation courante, la perte de revenus, l’ennui sont autant de préoccupations qui stressent. Etre confiné chez soi signifie dans ce contexte que c’est se cacher pour éviter un danger (Covid-19) qui porte atteinte à la vie et à celle des autres. Cette perception du confinement entraine des réactions de stress immédiat et avec le temps un syndrome de stress post-traumatique.
– Le caractère contagieux du coronavirus : Au fait, le virus se dissémine dans la nature, dans l’air, sur des objets (poignets de portes, argents, portables, boutons des Gabs etc.) touchés par une main sur laquelle se trouve le virus. Toute personne ayant touché ces objets et qui porte sa main au visage, ou celle en contact avec l’air contenant ces gouttelettes avec le virus, sera infectée. L’invisibilité du virus à l’œil nu, fait qu’il est impossible de savoir si l’on est en contact à l’instant T avec ce virus ou pas. Cette incertitude est stressante et crée l’angoisse.
– La peur de l’infection elle-même tant pour nous-même que pour nos proches à cause de la promiscuité accrue et la vie en communauté en Afrique qui laissent présager une propagation exponentielle du Covid-19. Les déclarations de l’OMS et du Secrétaire Général de l’ONU soutiennent cela en parlant du « pire » et « des millions de cas infectés » si le Covid-2019 arrivait en Afrique.
– Un parent test positif au Covid-19 ou qui présente les signes du Covid-19 : Va-t-il mourir ? Quel est son état de santé à ce jour depuis qu’il est mis en quarantaine ? Suis-je infecté ? autant de questions qui préoccupent la personne concernée.
– L’inaccessibilité des gants, des masques de protection, des gels hydroalcooliques à cause de leur coût très élevé et de leur quantité insuffisante.
La rupture de la routine quotidienne qui engendre une frustration
Quels sont les effets psychologiques et sociaux du Covid-19 ?
Le Covid-19 a un impact sur la santé mentale. On va observer auprès de cas infectés une détresse psychologique qui se manifeste par une insomnie, un sentiment d’impuissance, une solitude et l’angoisse de la mort. Auprès de la population, plusieurs vont présenter l’insomnie, la tristesse, la baisse de motivation au travail, une difficulté de concentration, une mauvaise humeur, une indécision, une confusion, une baisse d’efficacité au travail, une irritabilité, une colère, une inquiétude, un sentiment d’impuissance, la frustration qui sont entre autres les caractéristiques de la détresse psychologique. La dépression, l’angoisse de la mort, les réactions de stress immédiat et l’état de stress post-traumatique sont les troubles psychologiques qui vont apparaitre chez des personnes. Chez le personnel soignant, en dehors de la détresse psychologique faite d’insomnie, d’inquiétude, de la peur d’être contaminé, un syndrome d’épuisement professionnel du fait de la charge du travail surtout et un syndrome de stress post-traumatique avec le temps ne sont pas à exclure.
On notera chez les soignants et la population des plaintes physiques dont les analyses paramédicales n’identifieront aucune cause organique. Il peut s’agir par exemple de céphalées, de toux, de la fièvre, des difficultés respiratoires, d’une fatigue, des douleurs etc. Ce sont des troubles psychosomatiques. Car il existe une relation entre le corps et le psychisme. En effet tout ce qui arrive au psychisme influence le corps et vis-versa. L’anxiété et la panique agissent négativement sur le système immunitaire en affaiblissant celui-ci. Ce qui ne permet pas à l’organisme de lutter contre les microbes dont les virus. Il faut rappeler que la plupart des personnes infectées au Covid-19 qui sont guéries l’ont été grâce à la combativité de leur robuste système immunitaire. Donc si la panique est permanente, le Covid-19 va emporter le combat avec le système immunitaire affaibli. La peur va générer des réactions inadaptées auprès de la population. C’est ainsi que plusieurs personnes vont être à la recherche de solutions miracles (médicaments etc.) pour prévenir ou éviter l’évolution du Coronavirus au cas où celui-ci entrait dans leur corps.
Quelle est la gestion psychologique de la pandémie Covid-19
Nous proposons aux décideurs de :
– créer des lignes vertes animées par des spécialistes de la santé mentale (psychologues cliniciens et de la santé, psychiatres, etc.) formés à l’écoute téléphonique pour permettre aux personnes d’exprimer leurs craintes, leurs inquiétudes, leurs angoisses et leur stress liés au Covid-19
– mettre en place une cellule de prise en charge médico-psychologique des patients pour gérer la détresse psychologique, les troubles psychologiques et les troubles psychosomatiques liés au coronavirus.
A la population en général, nous préconisons ce qui suit :
– Ne pas rattacher le Covid-19 systématiquement à la mort comme une épée de Damoclès pendue au cou. Ce n’est pas du tout le cas. Les scientifiques expliquent que la majorité (au moins 95%) guérit grâce à leur système immunitaire et à un accompagnement médical. Mais cela ne doit pas nous encourager à ne pas respecter les recommandations pour éviter d’être infecté. Car personne ne sait s’il fera partie ou pas des 2% de décès. Ne dit-on pas souvent, qu’ « il vaut mieux prévenir que de guérir ».
– Prendre en compte les informations officielles du gouvernement et de l’OMS, se concentrer sur l’aspect positif de ces informations et s’appuyer sur des faits afin de relativiser la situation.
– Eviter la surexposition aux médias, car le cerveau surexposé est plus inquiet ; limiter le temps d’écoute et de lecture des nouvelles. Généralement tout ce que nous avons besoin de savoir sur le Covid-19, nous le savons déjà. Il y a un virus qui se propage dans le monde et dont on n’a pas encore de vaccin et de traitement, comment l’éviter. Appliquer les gestes barrières pour se protéger : se laver les mains avec de l’eau et du savon, utiliser du gel hydroalcoolique, éviter les contacts rapprochés, au moins un mètre entre vous, éviter de porter les mains au visage, porter des masques pour couvrir la bouche et le nez, s’autoconfiner, tousser ou éternuer dans le coude ou dans un papier mouchoir qu’il faut mettre à la poubelle immédiatement, quels sont les symptômes : toux, fièvre et difficultés respiratoires, où s’adresser au 111. En dehors de ces informations utiles, il n’est pas conseillé de chercher des informations supplémentaires sur internet si vous n’avez pas une force mentale qui vous permet de vous protéger des impacts négatifs de celles-ci. Evitez aussi d’envoyer des chaines et de messages fatalistes. Car cela va impacter négativement le psychisme des personnes faibles mentalement.
– Rester calme, responsable, mûr dans nos conduites, respecter le confinement, les mesures d’hygiène énumérées précédemment sans céder à la peur qui peut nous détruire avant le covid-19
– Conserver vos saines habitudes de vie : bien s’alimenter, faire du sport, bien dormir
– Pratiquer des exercices de relaxation, de méditation et de respiration qu’on peut retrouver sur internet
– Eviter d’anticiper négativement le futur
– S’accorder des plaisirs à la maison, se détendre, lire, faire des jeux de société, s’amuser, regarder des films ou séries télé divertissantes : série d’humour, feuilletons…, écouter de la musique à un volume agréable
– Exprimer vos craintes, angoisses et stress liés à la maladie à un psychologue clinicien
– Profiter du temps de confinement pour réaliser les activités domestiques que le manque de temps auparavant vous empêchait de faire.
– Apprendre une langue (anglais), apprendre à dessiner, lecture sur la vie en couple, la psychologie de l’enfant, redécouvrir le ménage, le repassage, la lessive etc.
– Avoir une humeur positive. Ce qui vous aidera à protéger votre système immunitaire défend l’organisme contre les microbes et le Covid 19, alors qu’il a été démontré que les pensées négatives dépriment votre système immunitaire et le rend faible face aux virus.
– Créer une routine malgré les consignes de confinement
– Instaurer des règles et une routine strictes à la maison, qui vont permettre de donner des repères à l’enfant et le sécuriser. Privilégier la communication en expliquant la situation aux plus jeunes tout en les rassurant, en relativisant. Mettre les enfants dans une position active, en leur indiquant les règles d’hygiène et de distanciation sociale à adopter et en leur montrant qu’ils peuvent malgré tout communiquer avec leurs amis et leurs grands-parents même à distance. Eviter de transmettre à l’enfant des angoisses d’adulte. Donner un sentiment de contrôle à l’enfant
– Conserver des liens avec ses proches éloignés grâce à la télécommunication, informez-vous de leurs préoccupations, transmettez leur les recommandations sur l’anxiété et conseiller leur les lignes d’écoute
– Orienter nos pensées vers quelque chose de plus positif et constructif. Ce qui va engendrer une expérience positive et constructive
La peur est naturelle et légitime. C’est une émotion que nous devons accepter sans le juger, tout en recherchant des moyens d’y faire face.
Si vous ressentez l’anxiété monter en vous, tentez de focaliser votre énergie et vos pensées sur des actions que vous pouvez entreprendre, sur lesquelles vous avez du contrôle. Evitez de tourner les idées négatives et les scénarios pessimistes en boucle dans votre tête. Prenez une pause et essayez de vous distraire. Dites-vous que cette pandémie aussi grave soit-elle passera comme celles qui ont sévi dans le passé. Dites-vous que ce virus ne passera pas par vous car vous êtes prêt pour le combattre par tous les moyens de prévention.
Entretien réalisé par Honoré ADONTUI
Le Correcteur