« Dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets ». Si ceci est une vérité indéniable, il va de soi qu’on puisse raison garder dans le choix des postures afin d’éviter de se reprendre toutes les fois qu’on croyait entreprendre. Au Togo, en trois décennies de lutte pour la démocratie, le compteur est resté bloqué à zéro. Car, l’alternance n’est jamais au rendez-vous en dépit de toutes les initiatives prises çà et là et qui à la fin, confinent au mythe de Sisyphe : revenir pour recommencer. Alors, d’autres voix comptent agir de manière différente pour arriver à cette alternance tant souhaitée. Serait-t-il possible cette fois-ci d’engager un débat sain sur la voie à suivre pour démocratiser le pays ? Au fond, que propose-t-on de nouveau pour l’alternance ?
Dans un discours mémorable prononcé le 11 juillet 2009 au Parlement ghanéen, le président américain Barack Obama proclamait que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ». Des années plus tôt, l’histoire des peuples révolutionnaires renseigne que le 04 juin 1979, le jeune capitaine d’aviation, Jerry John Rawlings qui s’est emparé du pouvoir au Ghana, fit aussi une déclaration des plus mémorables qui rendrait plus explicite les pensées positives du président Obama :
« Nous allons mettre en place des institutions si fortes que, même si le diable en personne arrivait au pouvoir, il lui sera impossible de faire ce qu’il veut. Le dernier mot reviendra toujours au peuple ghanéen », avait-il annoncé. Ces réflexions concentrent l’essentiel du débat sur le projet et la programmation politiques de tout État. Ainsi, une fois établi, quiconque aura la responsabilité d’être à la tête de cet État pour jouer le rôle de locomotive, c’est-à-dire, être au-devant de la scène pour porter le projet politique commun à sa réalisation, eh bien, cette personne, n’aura jamais la chance de faire ce qu’elle veut parce qu’elle s’écartera d’emblée du projet collectif. Alors, elle n’agira que dans l’intérêt commun, faire ce qui est décidé par tous. C’est peut-être dans cet esprit qu’il faut comprendre le concept de « projet politique » lancé par le Parti des Togolais et son président, Nathaniel Olympio.
Les fondements d’une stratégie… « Nous n’avons pas besoin d’élections pour avoir la démocratie, nous avons besoin de démocratie pour avoir des élections »
Le 14 septembre 2020, Nathaniel Olympio et les cadres du Parti des Togolais ont rassemblé autour d’eux, un parterre de journalistes au siège du parti à Lomé. L’échange a tourné autour de la politique nationale, notamment le contentieux lié au scrutin du 22 février 2020 au Togo avec une ouverture sur les crises politiques dans la sous-région. En tirant des conclusions sur la crise togolaise, Nathaniel Olympio a annoncé que trois choses ont essentiellement retenu son attention.
Primo, il fait observer que « le noyau dur qui tient le régime est hermétiquement fermé à toute évolution démocratique ». Secundo, il soutient que « dans les conditions actuelles, aucune élection ne peut offrir aux Togolais le changement souhaité ».
Tertio, en posant son diagnostic du contentieux électoral, il a affirmé que les élections ont toujours été une source de division pour les partis de l’opposition.
« Au-delà de ces constats, on peut aussi affirmer que le peuple a toujours fait preuve de disponibilité et de courage, à chaque fois que les leaders l’ont sollicité. Le fait de ne pas avoir atteint l’objectif du changement relève principalement de la responsabilité des leaders », a-t-il conclu.
Dès lors, il nourrit la réflexion d’une réorientation de la lutte. « Nous devons, dit-il, cesser de courir après les postes électifs pour nous engager dans une lutte pour l’avènement de la démocratie. Nous n’avons pas besoin d’élections pour avoir la démocratie, nous avons besoin de démocratie pour avoir des élections ». Sur la même lancée, il a proposé la conception d’un projet politique commun, un projet citoyen, un projet d’intérêt national. L’idée consiste à ne plus abandonner la lutte démocratique dans les seules mains des partis politiques qui semblent n’être programmés qu’à participer aux élections, conscients qu’ils ne sont pas en mesure de se voir reconnaître leur victoire à cause des conditions d’organisation de ces élections qui sont aux antipodes des standards internationalement admis.
« Comme nous ne voulons plus aller à des élections frauduleuses parce que nous ne pouvons pas les gagner, il faut sortir du schéma qui met le parti politique devant la lutte. Les partis politiques doivent avoir la force, la compréhension et l’intelligence politique de se dire qu’ils ne peuvent pas gagner des élections frauduleuses. Ils doivent opérer un repli stratégique et laisser la lutte devenir citoyenne », soutient-il.
D’ailleurs, au sujet des élections, la Fédération Europe-Asie de l’ANC, reste formelle : « Aucun de nos compatriotes n’accepterait que l’ANC cautionne ce régime en participant à des élections sans conditions. Le but ultime de notre combat est le “Changement” et non une simple participation aux élections ! ».
Dans l’émission « Rétro 7 » du 29 mai dernier, Nathaniel Olympio, l’invité de la radio Victoire FM, ne fait donc que répéter une ligne de pensée qu’il essaie de partager depuis quelques temps avec le peuple togolais dans l’optique de susciter une adhésion populaire. L’idée, d’après les explications du parti, est de convier chaque Togolaise et chaque Togolais à s’engager pour asseoir les bases du nouveau Togo qu’elle ou qu’il rêve.
Pour Nathaniel Olympio, « il ne s’agit pas de dissoudre les partis politiques. Les Togolais ont payé un lourd tribut pour la conquête du multipartisme. Il ne s’agit pas de revenir en arrière. Chaque parti politique, chaque organisation de la société est libre, aussi bien que ses membres, de continuer à dérouler l’agenda de leurs activités. ». Mais, l’adhésion au projet politique doit être individuelle, une initiative personnelle affranchie de son manteau politicien.
L’idée, est de transcender les intérêts égoïstes et partisans pour se fondre dans l’intérêt général. L’objectif poursuivi est d’éclore une lutte citoyenne, loin des calculs politiciens, parfois mesquins. « C’est en passant ces étapes préalables que les prochaines grandes manifestations – comme savent si bien le faire les Togolais – auront l’efficacité nécessaire qui produira le changement tant attendu », a-t-il souligné.
Convergence de vues… « Lutte citoyenne déconnectée des carcans des partis politiques »
Dans un entretien avec la radio Kanal K, Dr Yves Ekoué Amaïzo, le Coordonnateur Général du Collectif pour la Vérité des Urnes-Togo-Diaspora (CVU-Togo-Diaspora), membre du directoire du Réseau de la Coordination de la Diaspora Togolaise Indépendante (RCDTI) déclarait : « La particularité des dirigeants de l’opposition togolaise est d’avoir réussi la prouesse d’aller à plus de 28 dialogues sans avoir de stratégie et de projet de société commun. Le problème est que malgré ces échecs, ils veulent continuer à conduire le peuple à l’impasse. Ils devraient avoir la décence de se mettre en retrait et soutenir les nouvelles approches et stratégies fondées sur la condamnation de l’État togolais, notamment sa partie la plus mafieuse et commettant de crimes contre les citoyens togolais ». Une déclaration qui rejoint d’une certaine manière celle de Nathaniel Olympio du Parti des Togolais.
En vérité, le CVU-Togo-Diaspora et le RCDTI proposent une « Charte de Refondation du Togo » dont les déclinaisons se rejoignent sur l’invitation adressée à chaque citoyenne et chaque citoyen togolais, désireux de rétablir les bases et l’environnement propice à l’indépendance au sens “Ablodé”, de prendre conscience de la réalité de l’indépendance et du détachement de Faure Gnassingbé et consorts à son égard. Aussi soutiennent-ils que le peuple togolais ne doit plus accepter de suivre ceux qui l’ont conduit dans l’impasse. Ce sont des « diplômés de l’échec », disent-ils, allusion faite aux partis politiques. Cette charte, expliquent-ils, sera fondée sur la contribution de toutes et de tous les volontaires afin de valoriser l’intelligence collective par l’inclusion, l’échange avec l’ensemble des acteurs de la société qui veulent construire un Togo nouveau ancré sur la base de principes éthiques, de respect de l’autre, de la vérité, de cohérence dans la probité et la loyauté envers le peuple.
A tout prendre, après trente ans de lutte politique sans résultats escomptés, beaucoup ont été déçus des partis politiques de l’opposition, assurant qu’une lutte citoyenne permettra de réveiller les consciences pour une alternance réussie.
Nouvelle voie… un projet qui fédère
La bonne nouvelle, c’est que pour une fois, les Togolais sont invités à débattre autour d’une idée. Celle de se prononcer sur le Togo dans lequel ils veulent vivre et laisser aux générations futures. Les Togolais ont le choix entre continuer à s’entre-déchirer autour des leaders (politiques ou de la société civile) ou créer une organisation soudée, une méthode de travail efficace et un élan de lutte citoyenne déconnectée des carcans des partis politiques et des organisations de la société civile. L’idée étant que le citoyen soit mis au centre des préoccupations et qu’il se prenne directement en charge, qu’il soit militant d’un parti, de la société civile ou qu’il ne soit membre d’aucune organisation.
Au final, le Parti des Togolais dit qu’il faut conceptualiser la lutte. Pour cela, il faut répondre à la question fondamentale : « Dans quel Togo voulons-nous vivre ? » puis, fonder le projet politique sur la réponse à cette question et le faire porter par un groupe de citoyens. C’est le préalable à toute mobilisation. Les personnalités du monde politique, social et économique, les responsables d’organisations de la société civile, les syndicalistes, les universitaires et les hommes de culture seront-ils assez courageux pour se positionner dans un débat salutaire ? Ou vont-ils faire allégeance aux « diplômés de l’échec » qui tirent d’énormes avantages de leur méthode de l’échec, vu qu’ils ont des agendas cachés ? Aux conservateurs du système de l’échec, allez-vous tirer les leçons du passé et débattre d’idée au lieu de tirer à boulets rouges sur les promoteurs du nouveau projet ?
Source: La Manchette N°157