S’il est un leader politique au Togo radicalement opposé au régime en place et demeure fidèle à ses convictions, c’est bel et bien, Claude Améganvi, le premier responsable du Parti des Travailleurs qui avec d’autres figures taxées de « venus de France » a terriblement défié la chronique le long de l’historique conférence nationale tenue en 1991 dans la salle Fazao de l’hôtel 2 février de Lomé. Dans l’interview qu’il nous a accordée, l’opposant radical au régime en place, décline la doctrine de son parti et la philosophie qui la sous-tend avant de se prononcer sur les épineux sujets d’actualité. Claude Améganvi assimile la CNAP à un véritable basculement de société qui a été consommé, une liquidation très avancée des conquêtes démocratiques arrachées de haute lutte et au prix du sang versé par les martyrs tombés depuis le soulèvement populaire du 5 octobre 1990 au Togo. Quant à la politique de décentralisation, telle que pratiquée au Togo, pour lui, il s’agit d’une vaste entreprise qui a vidé de son contenu ce qui aurait dû être l’institution d’une véritable politique de communalisation intégrale du pays permettant aux populations de prendre en main la gestion de leurs propres affaires. Parlant de la privatisation des sociétés d’État et des banques nationales, il affirme que c’est une stratégie qui consiste à racheter tous les biens du Togo avec l’argent même du peuple togolais, ce qui est totalement inacceptable, selon lui. Malgré ce tableau sombre, Claude Améganvi espère en une issue heureuse de la lutte pour un changement démocratique au Togo : « … le temps du basculement démocratique arrive à grand pas et nous sommes certains quant à nous que dans pas longtemps, le peuple togolais va se libérer » martèle-t-il. Pour plus détails, l’intégralité de cette interview.
Le Changement : Vous êtes l’un des leaders dont la combativité pour un changement démocratique radical au Togo, ne souffre d’aucun commentaire. Pouvez-vous édifier nos lecteurs sur la doctrine de votre parti et la philosophie politique qui la sous-tend ?
Claude Améganvi : Cette doctrine et cette philosophie politique comme vous le dites sont définies au premier point de notre Charte de fondation adoptée à la Conférence de fondation de l’OTTD les 23 et 24 juillet 1988 et reconfirmée au Congrès de sa fusion-transformation en Parti des travailleurs les 27-28 novembre 1998, comme suit : « Le Parti des travailleurs organise les travailleurs des villes et des campagnes. En effet, il y a une réalité de la division de la société togolaise et des sociétés africaines en classes sociales distinctes dont les rapports à la l’impérialisme sont précisément déterminées et dont les composantes fondamentales sont : – la bourgeoisie compradore togolaise représentée aujourd’hui par le clan EYADEMA, sa camarilla, les hommes et femmes d’affaires de tous genres qui constituent les artisans et les soutiens de la dictature togolaise érigée pour permettre le pillage des richesses du pays et l’exploitation du peuple travailleur par l’impérialisme. En contrepartie, ce dernier leur laisse des miettes de son système de profit. C’est à l’ombre de cette dictature que leurs affaires prospèrent par les salaires de misère imposés aux travailleurs, la corruption et les détournements de deniers publics.
Ils ont ainsi pu accumuler des fortunes colossales pour la préservation desquelles ils ont intérêt à ce que la dictature soit maintenue. – les travailleurs des villes et des campagnes qui sont les principaux producteurs des richesses mais sont exclus de leur jouissance pleine et entière. A eux sont imposés sous tous les gouvernements, le blocage mais aussi la diminution des salaires, les impôts de toutes sortes, les plans de misère et de famine, les licenciements et le chômage décidés par l’impérialisme notamment à travers ses organismes comme le FMI, la Banque mondiale, et l’Union européenne, la répression, etc. C’est donc pour les travailleurs qui n’ont aucun intérêt dans la perpétuation de la dictature que le Parti des travailleurs constitue un cadre d’organisation pour combattre le système d’oppression et d’exploitation jusqu’à l’instauration d’un pouvoir populaire qui, n’ayant pas d’intérêts différents de ceux des masses togolaises, placera au centre de son activité la satisfaction de leurs besoins. »
Comment se porte le Parti des Travailleurs et comment expliquez-vous son absence des divers scrutins tenus au Togo ? Etes-vous le même Claude Améganvi qui avait ‘’secoué’’ le ‘’Baobab’’ lors de la conférence nationale ou avez-vous entre temps changé de conviction comme nombre de vos compagnons de lutte de première heure qui se la coulent douce, aujourd’hui à l’ombre du pouvoir ?
Claude Améganvi : Je sous rassurerai d’abord en disant que je suis le même Claude AMEGANVI et peut-être encore un des rares à n’avoir pas changé depuis la Conférence nationale comme beaucoup me le disent généralement. Il est vrai que je n’ai jamais changé de conviction depuis mon engagement en politique, m’attachant à rester fidèle au peuple travailleur du Togo et du reste du monde, en internationaliste que je suis, tout en restant fidèle aussi à la mémoire de tous ceux qui ont versé leur sang sur la terre de nos aïeux : Sylvanus OLYMPIO, Tavio AMORIN et tous ces nombreux martyrs du Togo que je ne trahirai jamais ! Quant au Parti des travailleurs, il se porte comme le Togo c’est-à-dire pas très bien puisque rien ne va au Togo ; néanmoins, il poursuit son combat dans les conditions difficiles qui sont celles des partis qui s’opposent véritablement à la dynastie EYADEMA-GNASSINGBE. Sur la question de notre absence de participation aux divers scrutins qui se sont tenus au Togo, il y a trois explications à donner :
-1°) Nous n’y avons jamais participé parce que le cadre en est totalement pipé ; ce ne sont que mascarades électorales sur mascarades électorales. A quoi bon aller cautionner dans ces conditions des processus que nous savons viciés d’avance ?
-2°) Nous avons toujours demandé aux responsables des autres partis se réclamant de l’opposition togolaise qu’il nous faut combattre au préalable pour arracher les conditions d’organisation transparente des élections avant toute participation mais nous n’avons jamais été entendus. Car, à chaque fois que le régime organise une mascarade électorale, il en trouve toujours un parmi ces partis prêts à collaborer avec lui contre les intérêts du peuple togolais. Et les autres suivent en prétendant qu’ils ne vont pas laisser d’autres prendre leur place ce qui fait qu’au final, c’est à une gigantesque pagaille à laquelle nous assistons avec des fraudes sur fraudes, coups d’Etat électoraux à répétition au terme desquels ces participationnistes-accompagnateurs viennent crier à chaque fois : « On nous a volés ! On nous a volés ! ». Ce qui n’est pas sérieux car tous savaient très bien, dès le départ, qu’on les volerait dans ces conditions-là ! Finalement, c’est le peuple togolais qui se trouve toujours berné à travers ces lamentables processus. Vous voudriez qu’on s’y associe en cautionnant cela ? Nous, nous disons : Non ! et c’est pourquoi vous ne nous y voyez pas.
-3°) Le troisième point concerne le financement des partis. Dans un régime démocratique normal fonctionnant sur un système électoral transparent, chaque parti, sur la base de son programme qui synthétise ses idées et choix de société s’adresse à ses partisans et sympathisants auxquels il les fait partager et leur demande de le financer à travers des cotisations, souscriptions et autres collectes de fonds pour qu’il les soumette plus largement au peuple tout entier lors des élections. Cela, c’est le principe même de la démocratie. Or, au Togo, nous avons un système totalement perverti où, sur la base d’un financement public, assuré par les impôts prélevés sur les citoyens, on finance à grands frais tous les partis acceptant de cautionner les mascarades électorales.
Au bout de ce processus, on en arrive à un système ubuesque où, pour vous donner un exemple concret, des citoyens qui désapprouvent et combattent le régime RPT-UNIR se voient contraints à le financer à travers les impôts qu’ils payent à l’Etat, à travers ce financement public de ses campagnes électorales.
Vous voyez donc à quelle aberration on arrive lorsque ce parti, que nous estimons pour notre part être responsable du malheur du peuple togolais, en vient à engranger des millions, voire des milliards, des citoyens togolais pour continuer à les soumettre à l’oppression et à l’exploitation. Ce n’est pas normal et, cela, nous ne pouvons ni l’accepter, ni le cautionner ! Face à toute cette situation qui perdure, nous pensons très sérieusement que ceux qui acceptent de s’associer à ces machinations électorales destinées à maintenir dans les souffrances le peuple togolais depuis plus de 58 ans, portent une lourde responsabilité dont ils auront à répondre devant l’histoire.
Depuis quelques semaines, le débat se trouve cristallisé par les recommandations issues de la CNAP. Selon vous, s’agit-il d’une supercherie, c’est-à-dire, une causerie de cabaret entre des copains et des coquins ou une véritable opportunité de sortie de crise ?
Claude Améganvi : Non, ce n’est rien de tout cela car ce qui s’est passé à la CNAP est extrêmement grave et il faut le dire avec la plus grande clarté : c’est un véritable basculement de société qui a été consommé, une liquidation très avancée des conquêtes démocratiques arrachées de haute lutte et au prix du sang versé par les martyrs tombés depuis le soulèvement populaire du 5 octobre 1990 au Togo. En réalité, ce 31e dialogue, qui n’est qu’un énième marché de dupes a d’abord pour fonction de tourner les pages sombres de l’élection présidentielle du 22 février 2020 en engageant le processus de préparation des élections régionales prévues pour le premier trimestre 2022. Comme toute la pléthore de précédents dialogues, c’est sa fonction première. Et le régime RPT-UNIR a eu beau jeu d’exploiter le climat délétère entre partis se réclamant de l’opposition fait de différends, injures, invectives et autres pour réaliser ce nouveau coup de force, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
En réussissant à choisir des partis de l’opposition pour l’accompagner dans cette funeste entreprise, il a réussi le tour de force de ravaler ces partis au rang d’ailes marchantes comme au bon vieux temps du régime du parti unique – parti État RPT. Comme vous l’aurez constaté, cela, après que ceux des partis qui osent vraiment contester le régime, aient vu leurs militants et responsables arbitrairement arrêtés et emprisonnés au nom de grossiers et rocambolesques chefs d’accusation les assimilant quasiment à des « terroristes » par une « Justice » totalement instrumentalisée par le pouvoir devant lequel il se met à plat ventre.
Pour parfaire ce summum d’arbitraire, rien d’étonnant que les décisions de la CNAP aient prévu de faire disparaître tous les partis qui ne feraient pas allégeance à la dynastie RPT-UNIR à travers une révision scélérate de la Charte des partis qui permettrait à l’Etat de s’arroger le droit de s’ingérer de façon intolérable dans le fonctionnement des partis. Cela n’existe nulle part au monde et c’est un véritable scandale qu’il faut dénoncer tout en se battant pour qu’il soit mis en échec !
Depuis quelque temps, les Togolais croupissent sous le poids splendide du phénomène de la vie chère et la pandémie du coronavirus. Croyez-vous que la hausse du prix des produits pétroliers, l’augmentation et la multiplication des taxes et la vaccination y soient une quelconque solution ?
Claude Améganvi : En aucun cas, lorsque vous voyez ce qui se passe dans le pays. On a comme l’impression que la dynastie EYADEMA-GNASSINGBE, mettant à profit cette double conjonction que sont d’une part la pandémie du coronavirus, d’autre part une opposition dont elle a réussi à transformer une frange en aile marchante de son parti, pense avoir réussi à mettre en place les conditions lui permettant de faire régresser le Togo vers ce régime arbitraire de parti unique-parti Etat sous lequel il l’a vécu de 1969 à 1990. Cela, à quelle fin ? Pour permettre qu’à l’ombre de ce régime de terreur, la minorité pilleuse qui s’impose au peuple togolais par coups d’Etat, assassinats, tortures, arrestations et détentions arbitraires interposés puisse continuer à s’accaparer tranquillement et en toute impunité des richesses du pays. En accablant injustement les populations de cette multiplication de taxes, et hausses intempestives des prix des produits vitaux pour leur survie. Cela, nous ne pouvons ni le tolérer, ni l’accepter !
Que pensez-vous de la décentralisation telle qu’amorcée au Togo ?
Claude Améganvi : Il s’agit d’une vaste entreprise qui a vidé de son contenu ce qui aurait dû être l’institution d’une véritable politique de communalisation intégrale du pays permettant aux populations de prendre en main la gestion de leurs propres affaires. Ce à quoi nous assistons avec cette décentralisation made in Togo n’est qu’une supercherie visant d’une part à renforcer la surexploitation du peuple togolais en l’accablant de taxes multiples et injustifiées. D’autre part, à assurer aux caciques du régime en place et à tous ceux qui sont prêts à l’accompagner, de confortables subsides, rien de plus, si on en juge par tous les scandales qu’on entend fuser de partout dans la gestion des communes instituées !
Que vous inspire la politique de privatisation des sociétés d’Etat et des banques nationales en cours dans le pays et dont se targuent si allègrement, les dirigeants
Claude Améganvi : Comme nous n’avons jamais cessé de le faire depuis notre constitution, il faut dénoncer dans ces politiques de privatisation un honteux vol par lequel la minorité pilleuse s’approprie indûment et illégalement, en réalité pour son propre compte, tout un patrimoine appartenant collectivement au peuple togolais qu’elle brade en le rachetant à vil prix à l’ombre d’hommes de paille étrangers. Comme nous n’avons jamais cessé de le faire depuis notre constitution, il faut dénoncer dans ces politiques de privatisation un honteux vol par lequel la minorité pilleuse s’approprie indûment et illégalement, en réalité pour son propre compte, tout un patrimoine appartenant collectivement au peuple togolais qu’elle brade en le rachetant à vil prix à l’ombre d’hommes de paille étrangers.
En d’autres termes, on est en train de racheter tous les biens du Togo avec l’argent même du peuple togolais, ce qui est totalement inacceptable ! C’est pourquoi, pour nous au Parti des travailleurs, toutes les entreprises nationales et sociétés d’Etat privatisées doivent être renationalisées sans indemnité ni rachat à la chute de la dynastie dictatoriale EYADEMA-GNASSINGBE et tous ses biens saisis.
Avez-vous un message à l’endroit des Togolais résolument engagés dans la lutte pour le changement qui se désolent des espoirs déçus que ne cessent de leur susciter les agissements de certains leaders de l’opposition ?
Claude Améganvi : Notre message est très simple : pour nous au Parti des travailleurs, nous faisons une totale confiance au peuple togolais car nous savons qu’il est actuellement dans un processus de réorganisation par lequel il se prépare à trouver une issue victorieuse à sa longue lutte par son propre mouvement. Cela, en tirant les leçons de sa propre expérience, après avoir été trop longtemps floué par une direction politique de son combat qui lui a fait systématiquement perdre les multiples occasions que ce peuple lui a offertes en versant son sang pour que soit réalisé le changement démocratique au Togo.
Lorsqu’on observe et analyse attentivement le cours des événements dans notre pays, on s’aperçoit que le temps du basculement démocratique arrive à grand pas et nous sommes certains quant à nous que dans pas longtemps, le peuple togolais va se libérer. Avec tous les bouleversements qui surviennent à l’échelle internationale où, même la grande puissance mondiale, les États-Unis d’Amérique, viennent, après le Vietnam en 1973, de subir une retentissante défaite en Afghanistan, il est à prévoir que cet événement surprendra le monde entier ! Donc, courage et détermination au peuple togolais auquel nous disons : « En avant vers la victoire : A bas la dynastie dictatoriale EYADEMA-GNASSINGBE ! »