En un an, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) aura ainsi fait le tour de toute la presse privée critique de notre pays avec des sanctions les unes plus lourdes que les autres.
Demain mercredi, le Directeur de publication du journal la « Symphonie » sera à la barre, devant cette instance de régulation devenue un vrai gendarme derrière des journaux privés critiques au Togo. Sa faute, il a publié un article contestant la suspension pour quatre mois d’un autre journal, « The Guardian ». Et donc il est « cordialement invité à échanger sur le contenu » de cette dernière parution, avec les membres de cette “cour d’assise”, sise à Agbalepedogan.
Il sait déjà à quoi s’attendre étant entendu que, pour l’essentiel, presque tous les directeurs de publication ayant été invités pour des séances de cette nature en sont quasiment sortis avec des sanctions. Liberté, L’Alternative, Fraternité, Indépendant Express, The Guardian, etc. en ont déjà fait les frais.
L’idée ici n’est nullement de s’appesantir sur le bien-fondé ou non de ces multiples et sempiternelles décisions qui, au bout de compte, rétrécissent drastiquement la marge d’action de la presse privée au Togo.
Il nous semble plutôt opportun, à partir de cette énième convocation de journaliste, de poser le débat sur un certain nombre de principes, mais surtout aussi, sur la mission dévolue à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans notre pays.
Il est clair qu’en tant qu’institution de régulation des médias aussi bien publics que privés, la HAAC a un droit de regard professionnel sur ce que publient les journaux ou passent les médias audiovisuels comme informations et même images à travers leurs canaux.
Naturellement, lorsque des éléments heurtent la déontologie et l’éthique, il est de son devoir d’interpeller les auteurs et de prendre des dispositions pour que des dérapages ne se répètent pas.
De ce point de vue, personne, objectivement ne peut contester la légitimité de la HAAC, dès lors qu’elle est une institution constitutionnelle érigée par le législateur.
Mais au-delà de cet œil que l’institution pose sur le travail des médias, elle doit aussi servir de rempart de protection des acteurs du monde du journalisme dans notre pays, avec en toile de fond, un engagement à rendre ses acteurs plus performants et plus professionnels. Autrement dit, par pur simple bon sens, l’on doit pouvoir comprendre que sans l’existence des médias, personne ne pourrait songer à la mise en place d’une autorité de régulation de ceux-ci.
Ainsi donc, les deux acteurs sont en principe des partenaires dont le succès dépend nécessairement du niveau de complicité et d’inter échanges que ceux-ci ont établis entre eux.
A cette hauteur de notre analyse, le besoin de poser une question toute simple à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans notre pays vient à notre esprit. Quel est selon eux, le niveau de performance actuelle de la presse privée togolaise au bout des cinq dernières années qu’a compté leur mandat?
La réponse immédiate qui peut venir à l’esprit de chaque membre sera sans doute qu’elle a régressé et donc c’est ce qui expliquerait la contrainte que ces régulateurs ont de multiplier des sanctions contre les directeurs de publication afin, pensent-ils sûrement, de redresser la pente.
C’est là justement que se situe le nœud du problème. Comment donc en cinq ans d’exercice d’une régulation, des gens payés par l’argent du contribuable togolais, pour assainir ce secteur des médias, afin de garantir la fourniture d’informations saines au peuple, en viennent-ils, au bout de leur mandat, à établir un tel constat lamentable d’échec ?
Trois hypothèses se dégagent: soit ils sont incompétents, soit ils ont un problème de leadership ou alors simplement, ils mentent en soutenant que la presse a régressé. Dans les trois cas, il y’a forcément un sérieux problème puisque justement, le but pour lequel ils ont été missionnés n’est pas atteint dès lors qu’ils sont encore réduits, en cette fin de mandat, à n’infliger que des sanctions à des journalistes.
Ceci est d’autant plus vrai que leurs sanctions aussi régulières que routinières ont largement participé à écorner gravement l’image du pays à l’extérieur. L’on se souvient en effet, qu’au cours de cette année, à la suite d’autres sanctions prises de façon aveugle sans tenir compte du contexte de la pandémie où les populations ont plus que jamais besoin d’être informées sur la conduite à tenir, l’ONG Amnesty International avait réagi en ces termes :
« D’une manière générale et surtout en ces temps de Covid-19, les autorités doivent garantir le droit des populations à l’accès à l’information et veiller à ce que les médias puissent faire leur travail sans crainte et sans intimidation ni harcèlement ».
Voilà qui a le mérite de situer le contexte dont malheureusement, les membres de la HAAC commettent la monumentale erreur de ne pas tenir compte, au moment de décider du sort à infliger aux journaux et à leurs directeurs de publication.
Étant entendu que ce sont des professionnels en matière de journalisme qui ont été triés sur le volet pour constituer cette HAAC, il est naturellement logique de s’interroger sur ce qui ne marche plus avec eux, au point qu’ils soient non seulement aussi vite portés par des sanctions, mais encore, qu’ils prennent des journalistes, donc leurs propres collègues ou cadets carrément en ennemis.
Comment donc comprendre que dans leur mécanisme de fonctionnement, l’on ne décompte que des sanctions sans jamais d’ovations, de compliments et de félicitations, à l’endroit des journalistes?
Il y’a forcément une vis qui a sauté dans les rapports que la HAAC était censée établir avec leurs partenaires que constituent les journalistes.
Elle a sûrement manqué de comprendre que le respect, la considération ou même ses bons résultats sur les journalistes, ne dépendront pas plus de ses sanctions que de la pédagogie qu’elle doit utiliser pour raisonner ceux qui parmi eux, seraient par moment défaillants dans l’exercice de leur métier.
Ayant raté de développer cette habileté, le bureau actuel de la HAAC n’a réussi, en termes de prouesse, qu’à établir un vrai bras de fer jonché de relations conflictuelles avec le monde des médias, surtout privés. N’est-ce pas dommage!
Pendant ce temps, l’État continue de leur allouer une partie de l’argent du contribuable pour une maigre moisson. Ce seul aspect peut aisément expliquer toutes les difficultés que nos États ont à se construire et à évoluer sainement, car l’argent du pays est absorbé par les hauts commis de l’État pour des performances relativement discutables. Nous avons, de toute évidence, du pain sur la planche.
Luc Abaki
Le problème de quelques journalistes au Togo, c’est de se mettre derrière le titre de journaliste pour tenir des propos injurieux, sans aucun respect non seulement à son prochain, mais aussi à une autorité. La liberté d’opinion, bien sûr, mais dans le respect de l’autre.