Pauvre, assistée… Et si l’Afrique osait changer d’image ?

Marginalisé dans les imaginaires collectifs, trop souvent stigmatisé car jugé sous perfusion perpétuelle, le continent souffre d’un défaut d’attractivité.

C’est désormais un rituel. L’institut de sondage Ipsos a publié son prestigieux Nation Brands Index, un indicateur de performance annuel qui mesure le rayonnement des pays à travers le monde. Il entend mettre en exergue les efforts réalisés par les États en matière de commerce, de tourisme et de relations diplomatiques.

L’enjeu majeur pour toute nation est la maîtrise de son récit à l’heure de la guerre globale de la culture et des médias

En 2021, une fois de plus, le constat est sans appel : aucun pays africain n’apparaît dans le classement des trente principales marques pays. Dans un monde globalisé, caractérisé par l’intensification de la concurrence et une certaine forme d’uniformisation culturelle des sociétés, les pays africains ont encore du mal à faire entendre leurs voix.

Déconstruire les stéréotypes

Si l’Afrique est victime d’un défaut d’attractivité, ce n’est pas faute d’atouts à valoriser, mais plutôt à cause de la faible mise en avant de ses forces. Entendons-nous bien, l’enjeu majeur aujourd’hui pour toute nation est la maîtrise de son récit à l’heure de la guerre globale de la culture et des médias.

Dans ces conflits idéologiques, le continent est le terrain de jeu de puissances étrangères qui ne manquent pas de diffuser leurs visions du monde au travers de contenus télévisuels et cinématographiques. L’influence des classiques hollywoodiens dans notre imaginaire collectif n’est plus à démontrer. Il en est de même pour les télénovelas brésiliennes, qu’on ne présente plus dans les rues d’Abidjan ou de Douala.

Un tiers des informations publiées par les médias africains proviennent d’agences de presse étrangères

C’est un secret de polichinelle  : l’image des pays africains est façonnée à l’étranger. Une problématique confirmée par le dernier rapport de l’ONG Africa No Filter [ANF], qui rappelle qu’un tiers des informations publiées par les médias africains proviennent d’agences de presse étrangères.

Dans ce contexte, peut-on espérer un meilleur traitement médiatique de l’Afrique à l’international  ? Il est de la responsabilité de chaque État de définir un récit propre à son identité et à ses valeurs afin de déconstruire les multiples stéréotypes et images reçues dévalorisantes.

Narrations à contre-courant

Face à cette pensée dominante se développent, à contre-courant, de nouveaux récits inspirants au sein de pays émergents. La Corée du Sud en est le chef de file au travers du phénomène Hallyu, qui désigne l’exportation de dramas télévisés et produits culturels sud-coréens.

Le dernier exemple en date est la célèbre série Squid Game, qui a généré plus de 900 millions de dollars de revenus. Un succès planétaire qui participe à la construction d’une nouvelle narration du pays depuis plusieurs décennies. Cette promotion de l’identité sud-coréenne par le biais de la culture s’est traduite par un essor des investissements. En ce qui concerne le secteur touristique, la Hallyu a attiré près de 1,1 million de visiteurs étrangers en 2019, selon l’Office du tourisme coréen.

Des ambassadeurs tels que Burna Boy et Wizkid incarnent un nouveau paradigme en véhiculant une vision optimiste de l’Afrique

Sur le continent africain, l’industrie cinématographique nigériane, surnommée «  Nollywood  », fait figure de précurseur. En exposant l’héritage culturel du Nigeria par l’intermédiaire de sa langue et de ses traditions, le cinéma a considérablement bouleversé le regard que porte le monde sur ce géant d’Afrique de l’Ouest.

Cette narration d’un nouveau genre est renforcée par une industrie musicale forte, avec des ambassadeurs tels que Burna Boy et Wizkid, qui incarnent un nouveau paradigme en véhiculant une vision optimiste de l’Afrique. Ainsi, en 2018, la production cinématographique et musicale a engrangé 4,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 2 % du PIB du Nigeria. De plus, il est important de rappeler que Nollywood est devenu le deuxième employeur du pays après l’agriculture.

Audit, spécialisation, coordination

Les succès du Nigeria comme ceux de la Corée du Sud ne tombent pas du ciel. La création d’une marque-pays se doit de respecter trois règles essentielles. D’abord, la mise en place d’un audit réputationnel. Il s’agit d’une étude approfondie des forces et faiblesses d’un pays lui permettant d’identifier ses aspects à valoriser. À l’aide d’une approche quantitative (sondages, enquêtes en ligne) et qualitative (focus groups, interviews), l’audit réputationnel permettra de faire émerger une évaluation authentique de la perception d’un État par ses habitants mais également par les touristes et les partenaires étrangers.

En associant son image à celle de célèbres clubs de football, le Rwanda a pu bâtir la réputation d’un État en pleine croissance, synonyme de dynamisme et progrès

Ensuite, chaque État se doit de développer une stratégie de spécialisation qui repose sur la valorisation d’un atout. L’exemple le plus parlant est l’initiative Visit Rwanda, une campagne de promotion touristique misant sur les richesses naturelles de ce territoire des Grands Lacs. Grâce à une communication maîtrisée et à des partenariats stratégiques, le Rwanda a su rompre avec une image négative, entachée par les violences du génocide de 1994.

À l’aide d’une stratégie moderne de relations publiques, le pays se présente au reste du monde comme un territoire abritant un environnement naturel singulier. En associant son image de marque à de célèbres clubs de football comme le Paris-Saint-Germain, le Rwanda a pu bâtir la réputation d’un État en pleine croissance, synonyme de dynamisme et progrès. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes  : après la mise en œuvre d’un partenariat, en 2018, avec le club de football anglais Arsenal, le Rwanda a accueilli 1,7 million de visiteurs l’année suivante.

Favoriser des synergies entre les acteurs

Enfin, la création d’une entité chargée de la coordination des diverses activités promotionnelles d’un pays est une priorité pour pouvoir structurer les campagnes de communication visant à garantir l’attractivité des États africains. Un cas d’école est très certainement l’organisme Brand South Africa, qui a comme principales missions d’inspirer et d’unifier «  la société civile, les entreprises, le gouvernement et les médias pour construire la réputation de l’Afrique du Sud et contribuer à sa compétitivité mondiale  ».

L’avantage d’une telle organisation est de favoriser des synergies entre les multiples acteurs mobilisés. Il est également question de garantir une cohérence des messages véhiculés par les parties prenantes. Une initiative concrète en faveur d’une nouvelle narration africaine.

Jean-Wilfried Kemajou

Consultant en communication d’influence

Source : Télégramme228

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