« Qui veut voyager loin doit ménager sa monture ». Proverbe africain
La situation actuelle du Togo, et ce que je pense de la lutte pour son avenir me ramènent à une histoire très édifiante de mes années de cours primaire.
Un marchand qui voyageait avec son âne fort mal en point rencontra quelqu’un qui revenait de la localité vers laquelle ce marchand se dirigeait. Le marchand demanda à ce dernier combien de temps il lui fallait pour arriver à destination. Celui-ci scruta notre marchand et son âne chargé et lui dit : « si tu t’empresses, tu arriveras dans 3 jours, mais si tu y vas doucement, tu arriveras aujourd’hui à la tombée de la nuit » ; puis ce dernier continua son chemin.
Après son départ, notre marchand se mit en colère, poussa un juron, insulta même celui qui venait ainsi de le renseigner. « Qu’est-ce qui m’a pris de poser la question à un tel idiot ? Comment puis-je arriver dans 3 jours si je me presse, alors que j’arriverai ce soir si je vais lentement ? N’est-ce pas le contraire qui est vrai ? quel idiot ! Trois jours ? C’est le lendemain du marché ! »
Notre marchand décida de faire fi du conseil que venait de lui donner l’étranger, décida de se presser afin d’arriver à destination plus tôt. Il fouetta son âne, tant et si bien que l’âne s’effondra complètement, le forçant à marquer une pause. Il fallut deux jours à l’âne pour retrouver sa santé et transporter les marchandises jusqu’à destination. C’est-à-dire que le marchand arriva exactement trois jours après sa rencontre avec l’étranger, et au lendemain du jour du marché pendant lequel il comptait écouler ses produits. Puisque les acheteurs venus de toute la région étaient déjà repartis, notre marchand fut obligé d’écouler ses produits à perte.
Quel est le lien entre cette histoire et la situation actuelle du Togo ?
Eh bien l’âne chargé et mal en point, c’est le peuple togolais. Le marchand, (toute proportion gardée), c’est la classe politique, en l’occurrence celle qui se réclame de l’opposition, celle qui affirme lutter pour le changement politique et un meilleur devenir du Togo. La localité de destination, c’est un Togo débarrassé d’une dictature militaire et dynastique bientôt vieille de 60 ans. Et qui est cet étranger qui avertit le marchand que l’empressement allait le retarder ? C’est tous ceux qui, à la lecture de cette histoire, seront convaincus comme moi que les erreurs les plus conséquentes que nous avons commises (et puissions encore commettre) dans la quête du changement politique sont pour la plupart dû à l’empressement, et qui se décideront à lever la voix à chaque fois que nous serons sur le point de répéter les mêmes erreurs.
Face au désastre, à l’abîme sans précédent dans lequel le régime militaire du RPT-UNIR a plongé le Togo, il y a récemment, aussi bien sur les médias traditionnels que les réseaux sociaux, un appel à une « refondation » du pays. Or avec les dirigeants actuels, on ne peut rien refonder, ce qui suppose avant tout de repenser la lutte qui devrait conduire à la refondation, la lutte pour le changement politique. Si la majorité des intervenants semble savoir que le peuple qui porte le fardeau de la lutte pour le changement est un peuple à bout, les interventions appellent à des actions qui sont susceptibles de pousser le peuple à l’effondrement total et à la remise en cause permanente de notre quête du changement, notre destination.
L’une des erreurs que nous avons toujours commises dans cette lutte, c’était de toujours tirer sur la seule corde qui nous parait capable de faire plier le régime parce que cette corde avait l’avantage de mobiliser assez de monde : ce fut le cas des grèves et autres opérations villes-mortes et des manifestations de rues. Mais il faut se rendre compte que cette approche a contribué à la lassitude du peuple (l’équivalent de l’âne du marchand) car le régime a trouvé des parades aux cordes sur lesquelles nous tirons en tout temps.
L’avenir de la lutte pour le changement politique réside en des actions qui tiennent compte du niveau d’essoufflement du peuple, et offrent des opportunités d’actions politiques parallèles circonscrites à des espaces géographiques et/ou culturels.
Pour ne pas parler dans le vide, voici deux pistes.
En des termes pratiques, cela suppose de privilégier des actions politiques qui sont guidées de tout temps non pas par la seule intelligence des « leaders » politiques, mais aussi et surtout par les limites imposées par la lassitude ou les possibilités de résilience, telles que révélées par les échanges avec les citoyens. L’innovation ici serait de mettre en place des canaux d’échanges entre la population et les « leaders », en dehors des groupes WhatsApp, Facebook, et autres qui sont trop marqués par l’hypocrisie et les éloges vis-à-vis des responsables de partis politiques.
Certains soutiennent qu’il suffit que tous « les Togolais de Lomé à Cinkassé sortent dans la rue » pour qu’ait lieu le miracle, c’est-à-dire la fin du régime militaire du RPT-UNIR. Le problème est qu’au point où nous sommes, tous les Togolais ne sortiront pas dans la rue, non pas parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce que les contraintes en termes de manifestations de rue, de grève ou de désobéissance civile sont juste insurmontables pour certains Togolais. L’innovation ici suppose qu’il faut en tenir compte, et accepter que les habitants de Tandjouaré, de Pya ou de Temedja qui estiment ne pas pouvoir participer à une manifestation de rue puissent mener d’autres formes de contestation qu’il leur appartient de déterminer. Jusqu’ici, nous avons commis l’erreur de ranger automatiquement derrière le régime tous ceux qui ne pouvaient s’inscrire dans la forme unique de contestation retenue par les QG (quartiers Généraux) des partis politiques.
La refondation du Togo commence par la refonte de notre réflexion sur l’action politique censée nous mener vers le changement politique. Comme on dit, « le plus dur n’est pas d’adopter de nouvelles habitudes ; c’est d’abandonner les anciennes ».
A. Ben Yaya
New York, 20 janvier 2022
Quelles propositions concrètes dans ce laïus ? On n’est guère plus avancé après lecture sur le contenu de l’organisation concrète de “canaux d’échanges entre la population et les « leaders »” et la manière de les organiser ? Pas davantage sur les “autres formes de contestation” ? En revanche, très bel exercice dans l’art de parler pour ne rien dire ou si peu ou de parler…pour…exister ! En conséquence il est peu probable que les togolais puissent en tirer un quelconque enseignement pour la lutte.