Le coup d’État militaire survenu au Burkina Faso le 24 Janvier 2022, après ceux du Mali et de la Guinée, ne peut engourdir, par la surprise qu’il a créée, la curiosité de chercher à comprendre les mobiles de l’intrusion des armées dans la vie politique des États de l’Afrique de l’ouest.
Cette région de l’Afrique, réputée pour sa stabilité politique, sa culture non violente et la solidité de ses institutions, est depuis quelques mois le théâtre de pronunciamientos à répétition. Inauguré au Mali où le président Ibrahim Boubacar KEITA, récemment décédé, a été renversé par les FAMA (Forces Armées Maliennes), il a survolé la chaine des monts Koulouba pour atterrir en Guinée et balayé le régime de cet autre Malinké, le professeur président Alpha Condé. Comme s’il trônait aux alentours, le coup d’État est arrivé au Burkina Faso et cette fois, non sans interpeller les analystes et autres observateurs à s’interroger sur les causes de l’intrusion des militaires dans les processus politiques des Etats et leurs réelles motivations. Ce qui force davantage la curiosité et pousse à comprendre le sens de ces putschs militaires est qu’ils revêtent de parfaites similitudes : ils sont intervenus après des mouvements d’humeur ou de contestation des régimes en place ; ils emportent des dirigeants qui sont peu ou prou issus du suffrage universel et sont l’œuvre d’officiers supérieurs (lieutenant-colonel ou colonel) souvent jeunes et bien formés. Cette vague de coups d’État qui emporte les régimes l’un après l’autre fait dire à certains que l’histoire se répète en Afrique, d’autant que ces scénarii rappellent la période d’après l’indépendance où les militaires ont renversé en cascade les régimes nationalistes, se sont emparés des États et y ont instauré des régimes de dictature qui ont brisé la vie des populations et conduit l’Afrique à la ruine. En revanche ceux qui voient dans ces coups d’État militaires les prodromes d’une refondation africaine se plaisent à poser la question : à qui le tour ? Cette question mérite d’être posée par les peuples africains devenus l’otage de processus démocratiques dévoyés par des élites politiques et intellectuels qui ont érigé des systèmes politiques corrompus, leur permettant de se succéder à la tête des États pour servir leurs propres intérêts, souvent avec la complicité des réseaux de la Françafrique. Les soi-disant régimes démocratiques installés en Afrique, à quelques rares exceptions, sont pires que les dictatures des années d’avant 1990. Ces régimes démocratiques qui sont censés changer les conditions de vie des populations et instaurer partout un état de droit où règneraient la justice sociale et la liberté sont plus que jamais les violateurs des droits de l’homme, les faiseurs de misère et les fossoyeurs de la démocratie. Faut-il les laisser conduire l’Afrique de l’ouest vers le chaos ?
Les vrais mobiles des coups d’État en cascade en Afrique de l’ouest
Les coups d’État qui font émerger de jeunes officiers sur la scène politique dans les pays d’Afrique de l’ouest, renversant des pouvoirs plus ou moins élus, sont l’expression de la volonté et de l’aspiration des peuples à des changements profonds, aussi bien sur le plan social que politique. C’est du reste la raison pour laquelle ils sont exécutés par des militaires instruits, bien formés, porteurs de valeurs, qui maitrisent les grands enjeux politiques du moment. Ces nouveaux hommes forts sont différents de la racaille de soldats du genre Samuel Doe, des officiers sanguinaires comme Sani Abacha, Mengistu Hailé Mariam, et d’autres encore… La liste est longue. Ils sont la reviviscence de Marien Nguoabi, Jerry Rawlings, Thomas Sankara… La liste est courte. Ils ont été amenés a intervenir dans la vie politique de leurs États parce que leurs peuples n’en pouvaient plus de supporter des injustices, de vivre la misère et de voir les élites confisquer la vie publique sans aucun souci et aucune pitié pour les autres composantes de la société. De plus, leur implication dans la vie publique n’est pas le résultat de conspirations néocoloniales préparées depuis des cellules de l’Élysée.
Partout ailleurs en Afrique de l’ouest, les trente (30) années de processus démocratique n’ont guère transformé la vie des peuples. L’éducation est au rabais ; l’école publique est débordée au point que les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants dans l’école privée ; les soins de santé sont inappropriés ; les hôpitaux africains sont de vrais mouroirs que les élites fuient pour aller se soigner à l’étranger ; la justice, censée être un pouvoir au service de la veuve et de l’orphelin, est aux ordres des pouvoirs exécutifs ; les élections sont manipulées et volées ; l’argent public est détourné par les dirigeants et pour couronner le tout, la jeunesse, force vive de toute nation, n’est inscrite dans aucune perspective futuriste. Cette jeunesse sacrifiée, préfère aller se noyer dans la méditerranée, en prenant le risque de gagner “l’eldorado” européen plutôt que d’être diplômée sans emploi chez elle. Les oppositions politiques qui sont le baromètre de la démocratie sont étouffées, les libertés publiques sont bâillonnées et les marchés publics importants confiés aux entrepreneurs proches des sphères du pouvoir. Les institutions prévues par la constitution sont sous la coupe réglée, elles n’existent que pour servir les intérêts des régimes politiques. Tel est le tableau sombre de la gestion des Etats en Afrique de l’ouest. Pour tout dire, l’expérience démocratique des trois (3) dernières décennies a été un échec dans cette région.
Les putsch militaires qui ont cours en Afrique de l’ouest sont la réponse au désastre politique orchestré par les élites politiques. Ils sont portés essentiellement par deux mobiles : la nécessité d’une refondation politique de la région ouest-africaine après l’échec des processus démocratiques et l’urgence de redéfinir les rapports de la France avec la région. En effet, les jeunes officiers, auteurs des coups d’État militaires, portent l’aspiration des peuples africains à la rupture avec la politique africaine de la France. Partout dans les pays de la région, le sentiment anti-français grandit et appelle les élites à travailler au changement des rapports entre la France et les États qui sont ses anciennes colonies. Il n’est pas admissible que la France continue de soutenir les dictateurs et leurs régimes au détriment des peuples. Ses intérêts ne peuvent pas prévaloir sur la vie de millions de gens qui aspirent à la justice, à l’égalité et au respect de leurs droits. Les peuples se valent et les Africains ont droit à la dignité et à l’humanité autant que le peuple français. Le soutien massif des peuples africains à la politique de la junte militaire au pouvoir au Mali illustre très bien le désir profond des peuples de rompre avec la politique paternaliste et condescendante de la France vis-à-vis de l’Afrique. Comment expliquer que cette France qui, en 1990 au Sommet France-Afrique de La Baule, a exigé aux régimes de dictature de l’époque d’aller vers la démocratie, soit devenue le pourfendeur de la démocratie africaine et le soutien des régimes dictatoriaux ?
Les coups d’État militaires sont-ils la solution pour l’Afrique de l’ouest ?
Nul ne peut soutenir un coup d’État qui viendrait renverser un régime démocratique, loin s’en faut. De même que personne ne soutient une horde de militaires ambitieux qui usent de la force que lui confère l’État pour s’emparer du pouvoir et jouir de ses délices comme on l’a observé en Afrique de 1960 à 1990. En revanche, tout le monde doit soutenir un coup d’État qui vient sonner le glas d’un régime pseudo démocratique corrompu qui n’a aucun souci du bien-être de son peuple. Quand on analyse les pays dans lesquels les militaires ont renversé récemment les régimes politiques, force est de constater que les dirigeants ont montré leur incapacité à apporter des solutions aux problèmes des populations. Au Mali, IBK était au bout du roulot. Affaibli par la maladie et dépassé par les élites corrompues, son fils Karim y compris, il ne parvenait plus à gérer le pays. En Guinée, après avoir toiletté la constitution pour s’octroyer un troisième mandat interdit, Alpha Condé, du haut de ses 82 ans, n’était plus en mesure d’apporter les solutions. Au Burkina Faso, Roch Kaboré, en dépit de sa bonne volonté, n’avait pas de réponse à la crise sécuritaire qui secoue son pays. Dans un cas comme dans l’autre, le coup d’État est parfaitement justifié. Il l’est d’autant plus que les présages indiquaient que ces trois (3) pays et bien d’autres en Afrique de l’ouest allaient à vau-l’eau.
Les officiers militaires qui ont pris le pouvoir en Afrique de l’ouest peuvent être la solution pour leurs peuples, qui d’ailleurs les ont bien accueillis, s’ils incarnent véritablement leurs aspirations. Dans ce cas, il serait impossible qu’ils se soumettent aux injonctions de la CEDEAO, ce syndicat de chefs d’État, qui leur impose des transitions courte- durée qui feraient basculer à nouveau le pouvoir entre les mains des élites politiques corrompues, une fois que des élections seraient organisées. Ces officiers, nouveaux hommes forts, doivent se muer en de véritables acteurs de refondations politiques qui poseraient les bases de vrais États de droits, forts, dans lesquels règneront l’égalité, la justice et la liberté. Ils doivent tracer leurs sillons, s’ancrer dans leurs peuples et ériger des armures contre la CEDEAO et ses soutiens internationaux.
Fulbert Sassou ATTISSO
Écrivain et Consultant en communication