Il avait à cœur le devoir, sacré, d’une nation, qui était de protéger ses citoyens. Mais lorsque, à une période délicate de sa vie, le « grand serviteur de l’État » a eu besoin de protection, on l’a tout simplement abandonné à son sort…
L’annonce de la mort, en détention, lundi 21 mars, de l’ancien Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, a donné lieu à de nombreux commentaires émus à travers le continent. Comment expliquer que seule la déclaration du président Mohamed Bazoum du Niger déclenche des réactions virulentes à Bamako ?
Sans doute parce que c’est celui qui désigne, par les mots les plus précis, et avec la gravité qui sied, la cruelle désinvolture avec laquelle a été gérée l’agonie de l’homme. L’état de « Boubèye » était connu, et les médecins avaient tiré la sonnette d’alarme. Son épouse avait même ouvertement supplié le colonel Goïta d’éviter à son mari une « mort par abandon et négligence programmée ». Hélas ! L’histoire se termine de la manière tragique que tous craignaient. Sous prétexte de ménager les susceptibilités, on a pris, en Afrique, l’insupportable habitude de ne pas désigner les situations par leur nom. Bien des drames auraient pu être évités à ce continent, si les chefs d’État, avec courage et franchise, savaient rappeler à leurs devoirs les dirigeants qui s’égarent.
On ne sauvera pas ce continent par la couardise. Un homme est mort, que l’on savait en danger, et il faut oser le dire. En 1977, Modibo Kéita est mort dans des circonstances à peine différentes, c’est un fait historique. Pour l’Afrique, renouer avec de telles pratiques est un recul, et les personnes qui seraient tentées d’applaudir devraient garder à l’esprit que cela peut arriver à chacune d’entre elles.
Vous êtes donc en colère, vous aussi… Mais, « Boubèye » était tout de même inculpé pour « faux, usage de faux et favoritisme », dans une affaire de détournement de deniers publics !
Rendre justice implique de veiller à ce que le prévenu arrive, vivant, devant ses juges, pour répondre de ce qui lui est reproché, même si certains trouvent commode qu’il ne soit plus là pour s’expliquer.
Quelle curieuse preuve d’amour pour la patrie, que celle qui consiste à laisser mourir un homme que l’on salue, par ailleurs, comme un grand serviteur de l’État !
Par probité morale, je me dois de préciser, ici, que Soumeylou Boubèye Maïga est mon camarade de promotion. Nous avons sillonné le monde ensemble, à l’époque où les étudiants de troisième année du Cesti de Dakar et de l’École supérieure internationale de journalisme de Yaoundé se regroupaient, pour un semestre à l’Institut français de presse, à l’université de Paris II, Panthéon-Assas, puis un semestre à l’université de Montréal, au Canada.
Perceviez- vous déjà l’homme politique derrière l’étudiant ?
Pas tant que cela. Il avait des convictions. Par contre, j’ai pu le voir à la manœuvre, pour dissuader par une menace de grève un chef de département, à l’université de Montréal, qui voulait, pour des raisons budgétaires, raccourcir notre séjour à New York. Or, pour nous, ces quelques semaines étaient le bouquet final, sacré, pour nous familiariser avec le système des Nations unies et, surtout, pour une immersion dans ce qui était alors considéré comme la plus grande école de journalisme au monde, l’École de journalisme de Columbia University.
Longtemps après, alors que j’étais en reportage à Bamako, Boubèye, le patron des services de renseignements, m’a emmené en balade dans la ville. Soudain, désignant un immeuble en chantier, il m’explique que le promoteur est recherché par la justice internationale. À ma question : « Allez-vous le livrer ? », il répond : « C’est notre compatriote. Nous lui devons protection ».
Au moment où, malade, lui avait tant besoin de protection, on l’a laissé tout simplement mourir…
Jean-Baptiste Placca