Le recours au droit, serait-il la garantie de bons choix en éducation? Questions aux acteurs de l’éducation

Par Maryse QUASHIE

Depuis plusieurs jours, nous sommes en pleine polémique à cause des difficultés dans le secteur de l’éducation, notamment autour des revendications des enseignants et des sanctions prises contre certains d’entre eux. A ce propos, on évoque le droit à l’éducation, le droit syndical, les limites au droit de grève, etc. 

Pourtant a-t-on bien tenu compte de  tous les aspects du problème, et plus précisément, est-ce essentiellement une question de droit ? En préalable, une remarque s’impose : avec le droit on peut tout défendre car il est sujet à interprétation. C’est ce qui fonde notre question : faudrait-il considérer le droit comme le seul recours pour régler tout problème, en l’occurrence dans le domaine de l’éducation ? 

Il m’a semblé indispensable de m’interroger publiquement à ce sujet en m’imaginant devant un public d’acteurs de l’éducation : apprenants et enseignants, administrateurs du public comme du privé, mais aussi parents d’élèves, et donc pratiquement tous les citoyens.  

PREMIERE QUESTION : COMMENT COMPRENDRE LE DROIT A L’ÉDUCATION ? 

Lorsqu’on dit qu’il faut respecter le droit des enfants à l’éducation, cela signifie qu’il ne faut rien faire ou même dire qui fasse entrave à l’éducation, par exemple empêcher les enfants et les jeunes de se rendre à l’école. Cependant le fait que les élèves soient en classe aux jours et aux heures prévus par la législation scolaire, est-ce suffisant pour qu’on prétende avoir respecté le droit de ces élèves à l’éducation ? En effet, L’UNESCO considère que l’éducation est un droit humain pour tous, tout au long de la vie, mais que l’accès à l’éducation va de pair avec la qualité. L’UNESCO est le seul organe des Nations Unies ayant pour mission de traiter de l’éducation, sous tous ses aspects et à ce titre, elle a reçu le mandat de conduire le Programme mondial Éducation 2030, notamment par l’intermédiaire de l’Objectif de Développement Durable 4, qui demande de veiller à ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d’équité et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. 

C’est donc l’éducation de qualité qui constitue le véritable enjeu de développement, le fond de la question du droit à l’éducation. 

DEUXIEME QUESTION : PEUT-ON ASSURER UNE EDUCATION DE QUALITE AUX APPRENANTS SANS PENSER AUX ENSEIGNANTS ? 

On le sait, meilleures sont les conditions de travail et d’exercice de la profession pour les enseignants, meilleures sont les conditions d’apprentissage pour les élèves. Par conséquent, toute mesure prise, toute action en faveur d’un mieux vivre des enseignants va dans le sens de la qualité de l’éducation. En même temps cela rend obligatoire d’affirmer que  toute lutte pour obtenir à terme de meilleures conditions de vie et de travail pour les enseignants va dans le sens du droit à une éducation de qualité pour les apprenants. 

TROISIEME QUESTION : TOUS LES MOYENS DE LUTTE SYNDICALE POUR LES CONDITIONS DES ENSEIGNANTS SONT-ILS ACCEPTABLES ?

 Cela nous amène à nous interroger sur la lutte syndicale. Il est indéniable que des règles régissent cet aspect de la vie du citoyen. Ainsi, tout syndicat comme tout regroupement de citoyens (associations, mouvements, ONG, etc.) doit se fonder sur ces règles de droit pour éviter que son action soit paralysée par des questions de procédure. Mais il faut que les citoyens aillent au-delà de la connaissance des règles de droit en tenant compte des pratiques en vigueur. Par exemple au Togo, il est bon d’être au courant de toutes les exigences en matière de reconnaissance des associations mais aussi du fait que la reconnaissance prend un temps relativement long au plan administratif une fois qu’on a fait enregistrer son dossier.

Pour en revenir aux enseignants, pour toute action syndicale, il y a une procédure à suivre, notamment un délai de préavis. Cependant ces règles s’appliquent-elles dans n’importe quel contexte ? Lorsque des travailleurs ont attendu plus d’une dizaine d’années avant que l’employeur prenne en compte leurs revendications, cet employeur ne se met-il pas en position d’être pris à parti lorsqu’il brandit comme indispensable la règle des journées de préavis à observer avant de déclencher un mouvement de grève ? Il est vrai que le droit lui en donne la possibilité, mais la morale ? Comme quoi appliquer une loi  juridique ne dit pas que vous être moralement vertueux.  

QUATRIEME QUESTION : LA MULTIPLICITE DES ORGANISATIONS SYNDICALES EST-ELLE UN MAL EN SOI ? 

La polémique actuelle concerne un nouveau syndicat d’enseignants, le énième. 

Cela nous pousse à nous interroger sur la vie syndicale au Togo : comment les militants de  base des syndicats peuvent-ils vivre l’échec des revendications durant tant d’années, alors que les enseignants continuent à souffrir ? Ils  comprendront certainement que l’employeur est en quelque sorte « coriace » mais ne pourraient-ils  pas aussi s’interroger sur l’adéquation et l’efficience des stratégies choisies par leurs représentants, au niveau des syndicats de base comme des centrales ? Et l’observateur de la vie sociale au Togo durant la dernière décennie ne comprendrait-il pas que les bases perdent confiance en leurs représentants au point de vouloir créer d’autres syndicats ? Ne serait-ce pas cette perte de confiance qui pourrait-être  à l’origine de la multiplicité des syndicats ? 

CINQUIEME QUESTION : COMMENT APPRECIER LES MESURES PRISES PAR LE GOUVERNEMENT ?  

On annonce un recrutement d’enseignants et la construction de salles. C’est bien. Qui pourrait se plaindre de cela ? 

Mais pour que les citoyens apprécient correctement cette action, il faudrait préciser combien d’enseignants et de salles seraient nécessaires pour que notre système approche des normes de l’UNESCO. Quoi qu’il en soit, on sait que l’insuffisance d’enseignants a un impact négatif sur les performances des apprenants, les classes pléthoriques donnant rarement de bons résultats. Mais le niveau de compétences des enseignants intervient également dans la qualité de l’enseignement qu’ils donnent. Par conséquent lorsque durant des décennies on n’a pas soigné la formation des enseignants recrutant des personnels peu ou pas formés, avec des statuts divers, est-on encore en train de promouvoir le droit des enfants à une éducation de qualité ?   

Et même plus,  sait-on  que « du point de vue de la valorisation du métier d’enseignant, les pratiques qui consistent à recruter des « enseignants bénévoles, volontaires, ou contractuels ou des enseignants de la communauté », etc., violent les principes établis dans les articles 11 à 14 de la Recommandation conjointe de l’OIT/UNESCO de 1966, concernant la condition du personnel enseignant. » (OUEDRAOGO R. Mathieu, Stratégies pour l’amélioration des conditions de travail des enseignants et leur rétention dans les écoles en Afrique, UNESCO, 2011). 

Cette cinquième interrogation restera sans réponse complète dans la mesure où il est difficile de quantifier, à partir des statistiques scolaires officielles la part des différentes catégories de personnel (fonctionnaire, contractuel, volontaire, etc.) dans notre système. Cela introduit notre dernière question.   

SIXIEME QUESTION : QUE DOIT-ON A L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ ?  

L’enseignement privé a toujours eu une grande importance dans le système scolaire depuis le temps colonial pour l’enseignement privé confessionnel, et à partir des années 1990 pour l’enseignement privé laïc. Or, depuis quelques années il est difficile de s’appuyer sur les statistiques scolaires officielles pour calculer la part du privé dans la prise en charge des enfants et des jeunes togolais.

 Cependant, quelles que soient les données chiffrées, les parents d’élèves savent qu’ils comptent beaucoup sur l’enseignement privé comme alternative à l’enseignement public.  L’enseignement privé se développe en général sous le contrôle du public mais pas sous son administration directe. Voilà pourquoi, il n’est pas acceptable que les enseignants du public en grève tentent d’obliger ceux du privé à participer à leurs grèves. Il appartient aux seuls enseignants du privé de prendre la décision de se mettre en grève ou non selon l’appréciation de leurs intérêts. 

Cependant comment faire comprendre cela aux enseignants du public, lorsque, par exemple (et ici nous ne citons qu’un seul exemple), les autorités publiques débordent leurs prérogatives jusqu’à vouloir décider de ce que les enseignants et établissements privés organisent ou non des cours de vacances, de soutien, etc. ? A la limite elles pourraient vérifier dans quelles conditions se déroulent ces cours, mais les interdire  ce serait comme si les directions et les enseignants des écoles privées étaient directement des employés de l’administration publique.     

Il y aurait bien d’autres questions à poser dans le but d’inviter les citoyens à faire le tour de l’ensemble du problème de la condition enseignante. Il faudrait en fait que les citoyens prennent le temps de se réunir pour se pencher ensemble sur la question de l’éducation, notamment à propos du profil de citoyen à former. De cela on pourra déduire ce qu’on confiera à l’école, et donc aux enseignants et c’est dans ce cadre que s’inscriront leurs droits et devoirs. Cette concertation est indispensable et d’autant plus importante que depuis plusieurs décennies on assiste à une certaine précarisation de la profession d’enseignant, au point où elle n’attire plus les jeunes. Est-ce souhaitable dans un pays où plus du quart  de la population a entre 5 et 20 ans ? 

Lomé, le 10 avril 2022

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