RDC-Un deuil bien frustrant

Sur un continent où la disparition d’un seul leader d’envergure suffit pour que le destin de tout un peuple se trouve détraqué, et pour longtemps, nombreuses sont les leçons que les hommes politiques et les peuples africains peuvent tirer du sacrifice de sa vie, consenti par Patrice Lumumba.

Sa famille semble apaisée de pouvoir donner enfin à Patrice Emery Lumumba une sépulture où reposer en paix. Alors que les populations de la République démocratique du Congo, dans une ferveur perceptible, n’en finissent pas de s’incliner devant la seule relique qui reste du héros panafricaniste, certains Africains refusent de se résoudre à cet apaisement voulu par sa famille, et continuent de crier leur colère. Comment expliquer cela ?

À l’indépendance, Patrice Lumumba était de ces leaders totalement en phase avec leur peuple et leur patrie. Il portait les espérances de l’Afrique, avec une détermination qui a vite effrayé le néocolonialisme naissant, dont les tenants étaient, pour la plupart, dans le camp occidental. Le langage, pour exprimer alors la foi panafricaniste, résonnait aux oreilles de l’Occident comme le pire péril communiste. En pleine guerre froide, l’Ouest comme l’Est n’envisageait avec l’Afrique qu’un amour exclusif, frisant le totalitarisme. Et l’assassinat, l’aurions-nous oublié, est un moyen de travail habituel et justifié du totalitarisme cynique.

D’où la cruauté avec laquelle ils ont achevé Lumumba, et qui continue de révulser des millions d’Africains. Car, selon les propres mots de Lumumba, « les blessures sont encore trop douloureuses, aujourd’hui, pour que l’Afrique puisse les chasser de sa mémoire ».

Certes, la récupération de cette dent met fin à six décennies de profanation du corps du héros continental. Mais, respecter la paix du cœur voulue par la famille n’empêche pas de décolérer, rien qu’en imaginant l’inhumaine férocité avec laquelle ces gens ont achevé ce leader posé, pacifique, qui n’avait pour seule arme que la puissance du verbe, au service de la dignité de son peuple. Ni canif ni rien d’autre, pour agresser ou pour se défendre.

Mais n’était-il pas opposé à une trop forte coalition d’intérêts ?

Évidemment, à cette ignominie se trouvaient mêlés, à des degrés divers, la Belgique, les États-Unis, d’autres pays occidentaux, peut-être même quelques sensibilités, dans le bloc soviétique. Mais le pire est que d’autres Africains, dirigeants du Congo d’alors ou futurs maîtres du Zaïre, étaient également impliqués. Sans compter les petites mains d’Africains serviles, assignés aux besognes trop répugnantes, pendant que leurs maîtres regardaient ailleurs.

Cela signifie-t-il que c’était aussi aux peuples de protéger leurs leaders ?

Pour avoir essuyé les pires violences de l’histoire, ces peuples, qui constituent ce que Césaire appelait une communauté d’oppression subie, devraient cesser de rester là, à pleurer leurs héros assassinés, et à tenir les comptes, pendant que sont liquidés, sous leurs yeux, d’autres, leurs prophètes, comme dirait Bob Marley. Depuis Lumumba, que de dirigeants jaloux des intérêts de leurs peuples ont péri ou fait l’objet d’attentats ! Tout au long de ces six décennies, chaque profil qui se distinguait comme leader charismatique, à la probité intacte, devenait une cible.

À son peuple, Lumumba promettait que seraient désormais siennes, cette terre et toutes ses richesses. Mais en quoi les Congolais se sont-ils rendus maîtres des richesses du Congo, depuis soixante-et-un ans ? Il pleurerait, s’il découvrait que rien n’a changé, même dans le triste destin de « peuple de boys », dont il ne voulait plus pour les Congolais ! Le seul véritable réconfort résiderait aujourd’hui dans le fait que par son sacrifice, Lumumba a davantage fait pour le Congo que Mobutu et consorts. Si seulement les dirigeants africains pouvaient comprendre enfin que leurs peuples sont une bien meilleure source de légitimité que les soutiens opportunistes qu’ils recherchent à l’extérieur, et qui finissent, tôt ou tard, par fragiliser toute la nation ! Dans l’immédiat, l’Afrique a plus que jamais besoin de héros vivants, tant la disparition d’un seul bon leader semble suffire, pour que le destin de tout un peuple se trouve détraqué, et pour longtemps.

Jean-Baptiste Placca

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