Un Président en exercice qui concerte ses prédécesseurs et détracteurs premiers aux fins de décrispation du climat politique et donc de réconciliation, c’est très rare pour être souligné. Alassane Ouattara, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, a le mérite de poser cet acte historique en Côte d’Ivoire. Au-delà d’un homme, ce sont plutôt la symbolique et la finalité de la démarche qui ont besoin d’être exaltées et servir de leçon aux autres dont particulièrement Faure Gnassingbé.
Le Président ivoirien avait déjà brisé le mythe en recevant son prédécesseur Laurent Gbagbo à son retour au pays après son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI). C’était le premier pas. Mais la rencontre du jeudi 14 juillet dernier à Abidjan est d’une portée bien plus grande.
« Levain de la décrispation », de réconciliation…
Leurs partisans respectifs tomberaient encore des nues tant les rancœurs sont profondes et ils avaient des raisons de se haïr réciproquement. Les chances d’une telle rencontre et de rapprochement des différents courants politiques étaient faibles au regard des inimitiés peu ou prou légitimes. Mais les trois Présidents de la Côte d’Ivoire ont brisé le verre de glace. Ils se sont vus et ont échangé sur les grands sujets d’intérêt national. On parle des prochaines échéances électorales, de la réconciliation nationale…
Cette initiative d’Alassane Ouattara cache peut-être des desseins obscurs et donc difficile de gager de la sincérité de l’homme qui, il faut l’avouer, n’est pas un saint…Mais elle mérite d’être louée. ADO est descendu de son piédestal et a invité à des échanges ses prédécesseurs et plus grands détracteurs du moment. Dieu sait que l’opposition actuelle est presque désarmée par Alassane Ouattara et donc inoffensive, ses plus grands critiques sont les partisans de Laurent Gbagbo et d’Henri Konan Bédié.
Au-delà de la disponibilité des deux anciens Présidents, une chose a aussi marqué les esprits au sujet de cette rencontre d’échanges, c’est l’atmosphère détendue ayant caractérisé le point de presse. « Benjamin », « Doyen », c’est ainsi qu’Alassane Ouattara désignait respectivement Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Prenant premièrement la parole, il a indiqué qu’il revenait au « Benjamin » de faire le compte-rendu des échanges aux médias et demandé l’avis du « Doyen » qui a acquiescé par un « absolument ». Le « Benjamin » s’est alors exécuté.
Beaucoup de militants ou observateurs sont certainement encore dubitatifs et refuseraient, légitimement d’ailleurs, de donner leur langue au chat. Mais c’est l’objectif déclaré ou la finalité qui importe. Décrispation de l’atmosphère politique, réconciliation nationale, paix…ce sont les vertus chantées de cette concertation historique. Formellement, on parle de « levain de la décrispation ». En attendant de voir si toutes ces bonnes intentions déclamées vont se traduire dans les faits. La leçon de l’histoire, c’est qu’au nom de la paix en Côte d’Ivoire, ces « frères ennemis » peuvent donc avaler leur ego et se parler. Même si c’est plein d’hypocrisie de tous les côtés, cela aura tout de même le mérite de calmer un tant soit peu les rancœurs qui pourrissent la vie dans ce pays et rapprocher leurs partisans respectifs. Au finish, c’est la Côte d’Ivoire qui gagne.
Faure Gnassingbé dans sa tour d’ivoire
Soit dit en passant, il n’existe pas d’ancien chef d’Etat vivant au Togo pour qu’on veuille les voir se rencontrer. Tous sont passés de vie à trépas. Le Togo n’ a connu que trois (03) dirigeants en bonne et due forme : Sylvanus Olympio assassiné le 13 janvier 1963 officiellement par Gnassingbé Eyadema, ce dernier lui-même mort de sa propre mort le 5 février 2005 après trente-huit (38) ans de règne et depuis lors son fils Faure qui en est déjà à dix-sept (17) ans de régence. Mais des opposants et critiques du moment, il en existe, et à foison. Parmi eux, en tête de liste depuis la présidentielle du 22 février 2020, Gabriel Agbeyome Kodjo et son courant politique la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK).
L’ancien Premier ministre est renvoyé sur le chemin de l’exil au sortir de ce scrutin dont il continue de réclamer la victoire. C’est d’ailleurs cette audace qui lui coûte cet éloignement de la mère patrie et toutes les tribulations qu’il vit. Il y est avec son père spirituel Philippe Fanoko Kpodzro. Et depuis, leur regroupement politique est devenu la cible à abattre, coincé et empêché de mener librement ses activités politiques, certains de ses responsables, sympathisants ou militants jetés en prison, en représailles.
Il n’y a pas que la DMK comme contempteur du régime en place. Les partis et leaders qui maintenaient le flambeau de la contestation et ont tenu la dragée haute au pouvoir depuis des années sont toujours là – suivez les regards. Que dire du Parti national panafricain (PNP) qui a durement éprouvé le régime RPT/UNIR en 2017 par ses manifestations et failli le faire conjuguer au passé composé ? Ce culot est à la base des tribulations de son leader Tikpi Atchadam, aussi contraint de prendre ses jambes à son cou et vivre loin de sa terre natale. Même s’il est muet depuis un bon bout de temps et son parti presqu’inactif, ce qui sonne aux yeux de certains, à tort ou à raison, comme une démission du combat politique, difficile de penser qu’ils ont déjà mangé leur totem et renoncé.
Parmi les détracteurs, il y a également cette société civile engagée, à défaut d’une alternance formelle, pour l’Etat de droit, le respect de la dignité humaine, un changement de gouvernance, l’équité sociale, la juste répartition des richesses…dont la tête de pont est sans doute le Front citoyen Togo (FCTD) coordonné par Prof David Ekoue Dosseh, également à la tête des Universités sociales du Togo (UST) et de Tournons La Page (TLP) Togo. Cette aspiration l’a encore conduit du 6 au 8 juillet dernier au Botswana au sommet sur le constitutionnalisme et la consolidation des acquis démocratiques où il a pu convaincre le Président Monkgweetsi Masisi de respecter la constitution de son pays et favoriser l’alternance, avec la remise du sceptre symbolique de l’alternance après le chef de l’Etat béninois Patrice Talon.
Les opposants (sic) au régime cinquantenaire en place, ce sont aussi ces millions de Togolais qui ne sont pas de la minorité pilleuse et qui souffrent de sa gouvernance humanicide. C’est donc avec tout ce beau monde que Faure Gnassingbé devrait prendre langue, au nom de la décrispation et de la paix sociale au Togo, comme l’a fait Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. A l’instar d’ADO, Patrice Talon a essayé de faire pareil au Bénin en rencontrant son prédécesseur et un de ses opposants farouches (sic) Boni Yayi. Avec lui, il a posé les bases de la décrispation avec la libération d’une première vague de prisonniers politiques. Même au Burkina Faso, devant le péril djihadiste et l’urgence de consolidation du tissu politique et social, l’auteur du coup d’Etat le plus cocasse et lâche de ces dernières décennies en Afrique de l’ouest, le Col Paul-Henri Damiba a pris langue avec Roch Kaboré sa victime, mais aussi Blaise Compaoré…
Cet ensemble d’exemples est parlant et devrait inspirer Faure Gnassingbé, au nom de la décrispation politique, de la paix…Devant le péril terroriste qui est aujourd’hui une réalité quotidienne, le renforcement du tissu social constitue l’arme la plus efficace. Mais le « Jeune doyen » est resté dans sa tour d’ivoire, prenant presque ses opposants en aversion totale. Bien plus, il crée davantage de rancœurs en empêchant certains de manifester leurs ressentis au travers d’un simple meeting, pendant que son gouvernement laisse faire d’autres manifestations…
Source: L’ALTERNATIVE