Le Togo est une nouvelle fois éprouvé par une attaque meurtrière. Plusieurs localités dans la préfecture de Kpendjal, à la frontière avec le Burkina Faso au Nord, et le Bénin à l’Est, ont été attaquées dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 juillet 2022. La plupart des victimes ont été égorgées par les terroristes. Que comprendre de cette nouvelle attaque ? Les auteurs ou encore leurs motivations ? Des approches de solutions ? Entre autres questions, analyse du journaliste togolo-burkinabè, Edouard Kamboissoa Samboé, observateur des mouvements terroristes dans le Nord du Togo.
Plus d’une dizaine de morts ; c’est le bilan provisoire que dressent les médias locaux et les témoins. Mais le mode opératoire est sans pareil depuis le début des incursions armées terroristes en terre togolaise. Cette fois-ci, ce sont des civils qui ont été visés, égorgés à l’arme blanche, ils étaient tous des hommes et des leaders communautaires, notamment des chefs coutumiers, leurs notables et des jeunes hommes en âges de se défendre et défendre leurs communautés. Désormais, il ne reste que leurs veuves pour pleurer les morts, alors que la situation humanitaire s’accentue dans cette zone déjà menacée par l’insécurité alimentaire depuis plusieurs mois.
Ils ont égorgé des civils. C’est qu’on retient, lorsqu’on voit ces corps longés contre le sol, montrant des jeunes et des hommes valides de Koundjaoré et de Pognon. Une situation qui montre que le mal a été perpétrée après une préparation bien organisée qui a débouché sur une descente nocturne. Des victimes semblent avoir été identifiées lorsqu’on voit les chefs locaux et ses personnes qui semblent faire autorité dans cette localité. Lorsqu’on analyse le tranchant des épées et des couteaux qui sont passés sous les cous des victimes, on a l’impression qu’il s’agit d’une attaque programmée, dont l’objectif était de faire des morts ciblées.
Nous sommes à Kpendjal, une préfecture qui fait frontière avec le Bénin à l’Est, et le Burkina, au Nord. De cette zone des trois frontières, un même peuple, qui parle les mêmes langues. Une zone transfrontalière partagée par une faune. C’est aussi une zone de collines et de la flore.
Il n’est plus étranger pour personne, les groupes armés affiliés au JNIM ou GSIM sont très actifs dans la zone, lesquels sont issus de la Katiba du Gourma qui opère aussi dans le Nord du Bénin et du Togo comme au Burkina, Niger et le Mali. Ils ont déjà parlé eux-mêmes.
D’ailleurs plusieurs attaques ont été déjà revendiquées dans un passé récent et des recrutements locaux ne pouvaient être exclus, au point ou le gouvernement béninois avait dissuadé toute tentative d’enrôlement sur son sol, contre les promesses juteuses. Leurs mouvements étaient scrutés à la lettre par des drones turcs, cotés togolais et des frappes d’aéronef ont commis une bavure. Mais l’usage des armes blanches aux fins d’égorger des civils dans ces villages perdus du Togo, en dit long sur la détermination de leurs auteurs ; lesquels, lorsqu’après avoir fini de d’égorger les paysans, ont posé des engins explosifs artisanaux, qui ont aussi fait des victimes civiles que militaires.
Exacerbation des conflits éleveurs-agriculteurs ?
Mais à l’analyse de l’incident, certains éléments font défauts. Il convient de convoquer ces éléments pour comprendre le mode opératoire de ces individus : La Zone de Kpendjal est une zone d’élevage et de pâturage, mais aussi une zone agricole qui enregistre des incidents chaque année, en saison pluvieuse, période de l’agriculture. Il y a des incidents sporadiques qui éclatent pratiquement depuis plusieurs années entre éleveurs et agriculteurs qui sont souvent mal gérés, dont les conséquences perdurent depuis plusieurs années. Mais ces incidents ont toujours trouvé des solutions locales. A l’analyse des faits, on pourrait dire que cette situation s’est exacerbée par la fuite des éleveurs de l’Est du Burkina Faso, à cause des violences djihadistes. Lesdits éleveurs qui ont perdu leur pâturage au Burkina ont élu domicile dans certaines localités de Kpendjal, depuis plusieurs années et surtout, passent chaque saison pour paître les troupeaux.
En conséquence, les conflits sont souvent légions, mais l’intensité de l’incident tel que vécu ce 14 et 15 juillet dépasse les limites. On est dans une dynamique d’exacerbation des conflits latents exploités par des individus sans foi, ni loi, avec l’usage des armes blanches et des complicités aux fins d’éliminer des individus gênants. Ce qui dépasse les différends éleveurs-agriculteurs notés chaque année, et qui ont pu trouver des moyens de se résoudre par le passage du temps. L’opération telle que menée a pu se faire avec des complicités ou par effet de surprise, or dans la dernière hypothèse dans ces petits villages « tout le monde connaît tout le monde », comme le dit l’adage.
Nouvelle stratégie du GNIM ou un règlement de compte ?
Depuis 2021, le GNIM lorgne cette partie du Togo pour intensifier ses activités terroristes. Il a été contré à plusieurs reprises par les forces armées togolaises, au cours des affrontements de Kpekankandi et de Gouloungoussi. De la frontière du Togo, le Gnim a montré qu’il vise les positions des forces armées togolaises pour créer un espace de passage. La même tactique lui est connue au Burkina Faso, au Niger, le Bénin et le Mali, pays dans lesquels, ils attaquent les positions de l’Etat, à travers son armée, sa police et ses institutions publiques.
Il est aussi connu au Jnim des prédications et l’invitation de la population locale à se joindre à la cause. Dans les pires cas, les éléments du GNIM donnent des ultimatums aux populations civils pour quitter leurs localités, pillent leurs ressources et ramassent le bétail. Dans les cas précis, vu la descente nocturne et les tueries sans sommation, on s’interroge quant aux véritables mobiles ?
Mais tout porte à croire que l’usage des engins explosifs improvisés et les tueries de masse, le GNIM pourrait avoir contribuer à exacerber les tensions latentes, une forme d’exploitation des failles communautaires. Mais aussi, il peut s’agir d’une représailles des groupes armés contre les civils informateurs de l’armée togolaise, tout comme d’une nouvelle stratégie du GNIM qui s’appuie sur les recrues locales qui veulent s’affirmer et montrer leur loyauté au chef de Katiba.
En attendant toutes précisions, le règlement de compte entre éleveurs et agriculteurs exploité par les individus opportunistes dont les éléments de l’Etat islamique pourrait ne pas être exclus, lorsqu’on connaît la force mobilité de ces groupes armés terroristes liés à l’Etat Islamique.
Edouard Kamboissoa Samboé
Observateur des groupes armés extrémistes au Nord du Togo à la frontière avec le Burkina
Que chacun prenne des armes afin de pouvoir se protéger, seule issue. Le gouvernement ou l’armée ne pourra protéger tout le monde si vraiment tel est leur dessein
A bien suivre les analyse du journaliste Togolo-burkinabè Edouard Kamboissoa Samboé, il va falloir que les autorités des trois pays entre autres le Burkina-Faso, le Bénin et notre pays le Togo, travaillent ensemble pour stabiliser cette zone. La paix et la sécurité de la préfecture de Kpendjal dépendent de cette collaboration de ces pays pour échanger le renseignement, mutualiser les moyens. Ces éliminations ciblées des dignitaires dans les dernières attaques montrent que ces terroristes cherchent clairement à affaiblir l’organisation sociopolitique des villages dites afin d’en faire leurs bases arrière au Togo. Tout ceci est très inquiétant et doit amener les plus hautes autorités à prendre à bras le corps les choses. C’est vrai que le Chef de l’Etat Faure Essozimna Gnassingbè prend à cœur la situation sécuritaire des concitoyens de la préfecture de Kpendjal et de ces environs, il a fait plusieurs fois, personnellement le déplacement sur les lieux, et initié plusieurs projets sociaux. L’initiative Koudjouaré est aussi là pour protéger un tant soit peu la zone de toutes attaques terroristes. Aujourd’hui, il faut aller plus loin, afin de continuer à défendre l’intégrité de notre pays.