Dans leur face visible, les Evala consistent en une lutte farouche entre jeunes gens, souvent robustes qui s’affrontent dans les arènes, d’un canton à un autre. Et puisque ces rites ont lieu dans la préfecture natale du Président de la République, elles mobilisent beaucoup de consciences et se présentent finalement comme un événement national du fait de la présence effective aussi bien du chef de l’État en personne que de nombre des gros pontes du pouvoir ainsi que des curieux, des touristes etc.
Mais au-delà de ce folklore, les Evala sont une étape fondamentale dans le processus d’insertion sociale du jeune Kabyè. Les luttes en elles-mêmes renferment un état d’esprit qui est caractéristique du Kabyè et pousse chaque jeune à s’évaluer dans la vie par rapport aux autres de sa classe d’âge. Mais pourquoi le jeune doit-il s’évaluer de la sorte?
Précisément pour lui permettre de prendre amplement conscience de ce qu’il lui faut et de la marge qui est la sienne dans le projet de construction d’une communauté solide qui s’épanouit au jour le jour en s’appuyant sur ses bras valides capables de défendre sa cause partout où besoin est.
Il s’agit en réalité d’une très belle occasion pour la communauté de rappeler à chaque jeune, son devoir vis-à-vis de celle-ci qui exige de sa part, un travail ardu pour être valide, en forme et surtout combatif sa vie durant..
Voilà pourquoi, au cours du processus qui conduit aux luttes elles-mêmes, les jeunes observent une rigoureuse hygiène de vie, en vue d’optimiser leurs atouts physiques, psychiques et même spirituels. Ils ont droit à la viande du chien qui est censée leur transmettre les valeurs propres à l’animal en question, à savoir l’endurance, la combativité, la rage de vaincre, la fidélité et la fierté de servir, car tout le monde sait que le chien à la chasse, ne chasse jamais pour lui-même, mais pour son maître.
Ainsi, des jeunes qui consomment la viande du chien et s’exercent à la lutte, savent que la vie est un combat, mais un combat dont les dividendes ne sont pas pour le seul ventre du jeune, mais pour ses parents, sa famille, sa communauté. Ainsi naît dans la conscience du jeune, l’esprit qui gouverne la culture du bien commun, mais en même temps aussi, celui du sacrifice pour autrui.
Tout ceci, en réalité, participe du mode de pensée et de vie du Kabyè qui repose tout sur la vie communautaire, la complémentaire, la solidarité et la culture des valeurs qui permettent le vivre ensemble, mettent en exergue les forces et les faiblesses de chaque fils et chaque fille, afin de leur permettre, chacun en ce qui le concerne, d’être conscient de ce qu’il doit faire pour devenir meilleur, et ainsi mieux contribuer à la vie de la société.
Perçues donc sous ce prisme, les luttes traditionnelles Evala ne sont pas un simple folklore qui distrait ou égaye la masse, mais un instrument d’éducation et de forge d’un mental de combattant chez les jeunes. Ainsi, un vrai jeune Kabyè sorti du moule d’un tel processus rigoureux d’inculcation de ces valeurs identitaires, sait qu’il ne doit manger dans la vie qu’à la sueur de son front.
Aussi ne doit-il pas tricher ou emprunter des voies lâches, malsaines ou malhonnêtes pour acquérir les biens matériels sans avoir eu à déployer décemment et convenablement ses facultés à cet effet.
En tout, les Evala qui constituent un maillon déterminant du processus éducatif du jeune Kabyè, participent à construire des citoyens intègres, honnêtes, sérieux et surtout combattifs qui ne reculent guère devant l’adversité tel que le feraient des tirs au flanc dont le propre est la veulerie, mais prêts à s’engager dans des causes nobles afin de se rendre totalement utiles à leur communauté tout en donnant un vrai sens à leur vie.
Au regard de toute cette philosophie de vie sur laquelle le Kabyè repose son existence et bâtit sa communauté, il se dégage que comme toutes les autres communautés du pays et même de notre continent, des valeurs saines qui permettent une évolution lisse de nos sociétés existent déjà; il suffit naturellement d’œuvrer inlassablement pour leur promotion, pour s’affranchir aisément des problèmes d’injustice sociale, de corruption ou de détournements et de bien d’autres maux qui affaiblissent nos pays et les empêchent malheureusement de décoller véritablement sur le plan du développement et de l’épanouissement effectif de leurs peuples.
Luc Abaki