23 juillet 1992, 23 juillet 2022. Samedi dernier, cela faisait trente (30) ans jour pour jour que Tavio Amorin a été fauché dans la fleur de l’âge, pour ses engagements politiques. Autant d’années après, la lumière n’a jamais été faite sur cette affaire et c’est l’impunité totale pour ses assassins. C’est d’ailleurs ainsi pour la litanie de crimes politiques qui jalonnent la gouvernance des Gnassingbé père et fils et son sort ne fait qu’actualiser une problématique de vieille date…
Le souvenir de l’homme s’étiole d’année en année. Il aurait certainement déjà disparu de la mémoire collective si des gens de bonne volonté n’essayaient pas de le pérenniser. Parmi eux, Claude Ameganvi. Comme à chaque anniversaire de la triste disparition de Tavio Amorin, le Secrétaire chargé de la Coordination du Parti des Travailleurs, accompagné de quelques citoyens engagés, a une fois de plus rendu hommage, samedi dernier, à son camarade de lutte par un dépôt de gerbe de fleur et un recueillement sur sa tombe.
30 ans d’opacité et d’impunité
1er Secrétaire du Parti socialiste panafricain (PSA), membre du Haut conseil de la République (HCR), parlement transitoire issu de la Conférence nationale souveraine (juillet-août 1991), Président de la Commission politique des Droits de l’homme et de la Commission spéciale chargée de l’étude et de la présentation du nouveau projet de Constitution, Secrétaire Général du Collectif de l’opposition démocratique (COD) II, Tavio Amorin était un jeune engagé fauché dans la fleur de l’âge, à 34 ans, pour ses convictions politiques. Brillant, jeune politicien et panafricain, il était un combattant de la liberté et de la démocratie. Mais il a été victime d’un assassinat à Tokoin-Gbonvié à Lomé où il fut criblé de balles le 23 juillet 1992 et mourut trois (03) jours plus tard. Claude Ameganvi retrace les circonstances de son décès dans une de ses tribunes, à l’occasion du 24e anniversaire de sa disparition.
« Le 22 juillet 1992, veille de cet attentat, il avait participé à une émission sur Radio Lomé, la chaîne publique, au cours de laquelle, avec un autre membre du HCR, Me Kodjo ZOTCHI, ils avaient eu la charge de présenter à la population, pour la deuxième fois consécutive, le nouveau projet de Constitution dont cet organe législatif transitoire venait d’achever l’élaboration. Au cours de cette émission, il marqua fermement son opposition à toute idée de modification de ce nouveau projet de Constitution pour pouvoir permettre à GNASSINGBE Eyadéma d’être candidat à toute élection présidentielle à venir, comme la loi portant Statut des Forces armées togolaises et les décisions de la Conférence nationale souveraine le lui interdisaient déjà.
Le jeudi 23 juillet 1992, lendemain de son émission sur Radio Lomé, Tavio AMORIN fut victime de l’attentat qui lui fut fatal : vers 21 heures, au quartier de Tokoin-Gbonvié, à Lomé, des individus ont vidé les chargeurs de pistolets mitrailleurs sur lui. Selon le communiqué publié le 24 juillet par le gouvernement, les agresseurs ont abandonné sur les lieux de l’attentat « une carte professionnelle au nom de KAREWE Kossi, né en 1967 à Pya, préfecture de la Kozah, gardien de la paix en service à l’Ecole de Police en qualité de moniteur de sport, un pistolet mitrailleur de calibre 9mm, un revolver Smith and Wesson 357 magnum, trois chargeurs de P.M., un chargeur de pistolet mitrailleur, des munitions, deux grenades, deux bouchons allumeurs et une paire de menottes ». On apprendra qu’un autre policier, Yodolou Boukpessi, faisait également partie du commando.
Grièvement blessé, criblé de balles à l’abdomen qui le faisaient énormément saigner, Tavio fut transporté au CHU de Tokoin, avant que la décision ne soit prise, face à la gravité de son cas et à l’inexistence au Togo d’un plateau technique médical et de spécialistes pouvant le sauver, de l’évacuer sur un hôpital français afin qu’il y reçoive des soins intensifs.
Le samedi 25 juillet 1992 : au cours de son transfert de l’Hôpital de Tokoin à l’aéroport de Lomé-Tokoin où il devait prendre l’avion médicalisé spécialement affrété pour son évacuation sur l’Hôpital St Antoine de Paris, il fut victime d’un nouvel attentat lorsque l’ambulance qui le transportait tomba en panne au milieu du parcours, sa courroie ayant été préalablement sabotée intentionnellement. Alors qu’on le transférait dans une autre ambulance faisant partie du cortège, un inconnu, surgi d’on ne sait où, lui porta des coups de poignard empoisonné. A son arrivée à Paris, sa famille devait constater qu’il portait au front, du côté droit, une blessure résultant vraisemblablement d’une arme blanche de l’avis de certains médecins, qu’il n’avait pas lors de son admission et tout au long de son séjour à l’Hôpital de Lomé-Tokoin ainsi qu’à son départ pour l’aéroport ».
Jamais la lumière n’a été faite sur ce crime par le pouvoir cinquantenaire et les auteurs formellement identifiés et punis, plus de 30 ans après. Un black-out et une impunité assez expressifs. Et Dieu sait que ces genres de cas abondent au Togo des Gnassingbé.
Atsutsè Agbobli, Toussaint Madjoulba…
Le 15 août prochain, cela fera exactement quatorze (14) ans jour pour jour qu’Atsutsè Agbobli aura dispararu dans des circonstances obscures, son corps découvert à la plage de Lomé près de Sarakawa, à moitié nu, mais avec des hématomes au visage. Pour un homme politique, pas un bandit de grand chemin et malfrat qu’on aurait abattu au cours d’un de ses forfaits, c’était plus que curieux. Les contradictions du pouvoir hésitant entre suicide, noyade et intoxication médicamenteuse vont en rajouter à la confusion et créditer la thèse de l’assassinat politique.
On se rappelle, le même jour au journal de 20 h, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile d’alors, le Général Atcha Titikpina évoqua à travers un communiqué la piste de noyade, sans aucune enquête formelle. Le commun des Togolais l’avait compris, il voulait orienter l’opinion. Mais cette thèse sera très vite battue en brèche par une autopsie du médecin légiste Pr Gado Napo-Koura qui conclut, lui, à une intoxication médicamenteuse, mais n’avait pas pu indiquer la composition des produits à cause de l’indisponibilité d’équipements adaptés. Une contre-expertise réalisée par l’expert onusien Dr Nizam Peerwani, sur requête de la famille et de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), balaya du revers de la main et la thèse de noyade et celles d’intoxication médicamenteuse ou de mort violente. La confusion fut absolue.
Entre-temps, aux fins d’étouffer un tant soit peu la polémique, des journalistes furent invités à Lomé 2 par le maitre de céans et en furent ressortis les poches pleines. Avec la pression de certains membres de la famille ayant des entrées faciles au sein du sérail, les obsèques du défunt furent précipités sur les 29 et 30 août. Dans la foulée, pour se donner bonne conscience et essayer de dédouaner le régime, le tout-puissant Procureur de la République d’alors, Robert Bakaï ( re) monta au créneau pour parler de contrexpertise du travail de l’expert onusien et claironna que des prélèvements furent effectués et envoyés dans des laboratoires de renommée internationale en France et ailleurs en Europe pour vérification. Mais depuis cette fin décembre 2008, les résultats n’ont jamais été communiqués à l’opinion.
De fait, 14 ans après la découverte du corps de l’ancien journaliste, écrivain, ministre et président de parti politique, le Mouvement pour le développement national (MODENA), les circonstances de sa mort ne sont pas clairement établies et les auteurs de ce qui apparait clairement comme un assassinat politique ne sont point identifiés et punis.
Colonel Toussaint Madjoulba. C’est le plus récent des cas et sa dépouille serait toujours à la morgue. D’aucuns diraient que ce n’est pas le même registre, à raison certainement. Lui, c’était un militaire et l’opinion ne lui connait aucunement d’engagement politique qui lui aurait coûté la vie, comme dans le cas de Tavio Amorin ou encore d’Atsutsè Agbobli. Mais le lien réside dans le crime formel, l’opacité sur les circonstances de son décès et l’impunité qui l’entoure.
En effet, cet officier de l’armée fut assassiné dans la nuit du 3 au 4 mai 2020, alors qu’il avait participé à la prestation de serment de Faure Gnassingbé à la suite de sa victoire (sic) à la présidentielle du 22 février 2020 que lui disputait et d’ailleurs continue de lui disputer le candidat de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), Agbeyome Kodjo. Son corps a été retrouvé inerte dans son bureau. Plus de deux (02) ans après, ni la famille, ni l’opinion ne connaissent les circonstances exactes de sa mort. Mais les quelques indices révélés sur la place publique permettent à chacun de se rendre à l’évidence d’un assassinat formel.
Le patron du 1er Bataillon d’intervention rapide (BIR) a été tué d’une balle tirée dans son cou. Les dernières informations partagées parlent de balle venant de sa propre arme, de marque Beretta. Une commission rogatoire avait été émise et il fut procédé à la saisie de soixante-seize (76) armes et cent cinquante-deux (152) douilles de balles, lesquelles auraient été envoyées à des experts français et ghanéens. A la suite de ces deux expertises, il a été conclu que l’arme du crime serait la sienne propre. Toute chose qui renforce la thèse du suicide, en tout cas ne permet guère de mener vraiment vers l’auteur du crime. Suicide, règlement de comptes ou crime politique ? Les questions restent posées. Jusqu’à ce jour, l’opinion n’est pas située sur ce cas. Mais beaucoup restent convaincus, ici également, d’un assassinat. Malheureusement, le ou les auteurs ne sont jamais connus et poursuivis.
Attentat de Soudou le 5 mai 1992 sur Gilchrist Olympio, meurtres de la Lagune de Bè où étaient jetés des corps, massacre de 2005 ayant entouré la montée au pouvoir de Faure Gnassingbé et coûté la vie à un millier de Togolais, assassinat des jeunes élèves Anselme Sinandaré et Douti Sinanlèngue le 15 avril 2013, incendies des grands-marchés de Kara et de Lomé en janvier d’alors, récentes bavures militaires ayant couté la vie à sept (07) jeunes gens à Margba sans le canton de Natigou…Il y a décidément beaucoup de cadavres dans le placard…
Source : L’Alternative / presse-alternative.info
Dans le cas de Madjoulba, il ne faut pas oublier la gorge tranchée. Ce serait une première dans l’histoire de l’humanité que quelqu’un se suicide avec une arme à feu et réussisse à s’égorger aussi.
Pour en venir aux morts dont les auteurs sont non seulement restés impunis, mais ont été promus par leurs commanditaires, il y en a tellement. Il y a des milliers de Togolais fauchés par des balles lors des manifestations, disparus de la surface de la terre comme s’ils n’avaient jamais existé, tués même dans des pays étrangers où ils pensaient être à l’abri, des militaires, policiers et gendarmes exécutés parce que soupçonnés (à tort ou à raison) de vouloir un changement politique (certains de ces crimes ayant fait l’objet de communications officielles parlant d’accidents de circulation), d’autres envoyés « en mission » et qui ne reviennent jamais vivants, etc.
Pour qu’il y ait des enquêtes qui aboutissent, il faut de la bonne volonté. Ce régime n’en a aucun. Et plus on tue pour le régime, plus on monte dans la sphère, que ce soit dans les corps habillés ou l’administration ou même les responsabilités politiques. Il y a tant de cas à citer. Mais je me limite seulement au cas du major retraité dénommé Kouloum qui a semé la terreur à Atakpamé et dans ses environs et qui a été décoré par non moins que le fils du père!