De la présence française au Mali, il ne reste plus grand-chose. Huit années de déploiement militaire, mobilisant plus des deux tiers des troupes françaises déployées à l’étranger, auront coûté 880 millions d’euros rien que pour l’année 2020.
Il est néanmoins certain que la France dispose toujours d’un enracinement au Sahel. Mais si l’ancienne puissance coloniale garde des bases aériennes à Niamey, au Niger, et à N’Djaména, au Tchad, ces dernières années, le centre névralgique du dispositif militaire a bien été le Mali. Et plus précisément le nord du pays.
La Russie plutôt que la France
Échappant au contrôle de l’État central, c’est de là qu’est partie l’insurrection de groupes armés qui visait, en 2013, à faire tomber le gouvernement. Si la France a bien réussi à stopper net cette avancée, elle s’est ensuite enlisée en tentant vainement de combattre des djihadistes insaisissables, rompus aux techniques de guérilla, dont les effectifs sont sans cesse renouvelés et qui se dissimulent dans l’immense zone dite «des trois frontières»: Mali, Burkina Faso, Niger.
«Une guerre contre une insurrection ne peut être remportée qu’avec une volonté nationale, comme cela a été le cas en Mauritanie [le pays n’a pas connu d’attaques djihadistes depuis 2011, ndlr]», estime Pascal*, un officier supérieur déployé à plusieurs reprises dans le pays.
Enfin, deux coups d’État perpétrés en moins d’un an, en 2021, ont porté au pouvoir une junte militaire hostile à Paris, qui a décidé de faire appel à Moscou et à la société paramilitaire Wagner, sonnant le glas de l’opération Barkhane, officialisé en février 2022. Accueillie en libératrice en 2013, la France est mise dehors, et contrainte de repenser son logiciel. Cet engrenage est comparable à ce qui s’est produit en République centrafricaine, où après l’opération militaire française Sangaris (2013-2016), le pouvoir a là aussi décidé de se lier à la Russie.
Faire revivre l’esprit «Takuba»
Ce changement de paradigme fragilise la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), créée en 2014, et qui rassemblait 5.000 hommes jusqu’au départ du Mali le 15 mai dernier. Aujourd’hui, le Tchad et le Niger tentent de revitaliser la force avec le soutien de la France et de fonds européens.
La deuxième victime collatérale de la fin de l’opération Barkhane est la task force «Takuba», une agrégation de forces spéciales européennes créée en mars 2020. Toutefois, «la France a la volonté de faire perdurer l’esprit “Takuba”, afin de faire avancer dans le même temps la défense européenne», décrit Pascal, lui-même chargé d’opérations de logistique lors de l’implantation de la force à Gao, au Mali.
«L’objectif pour des pays comme l’Estonie ou le Danemark est d’effectuer un baptême du feu, afin d’éviter d’être des armées sociales comme on en voit dans 80% des pays européens. Les forces ont eu des bons retours d’expérience et la réflexion continue pour faire renaître l’esprit “Takuba”.»
Le Niger, un allié important
Le dispositif français se repositionne donc, notamment au Niger, pays encerclé par les groupes terroristes, et devenu le meilleur allié de la France dans la région. «Le président nigérien, Mohamed Bazoum, est très déterminé et compétent, contrairement à Ibrahim Boubacar Keïta, l’ancien chef d’État malien renversé par la junte [en août 2020, ndlr]», affirme Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, au Sénégal ou encore en Gambie.
Sur la base militaire de Ouallam, au Niger, non loin de la frontière malienne, des légionnaires français en képi blanc travaillent ainsi avec les soldats nigériens. Toutefois, seul le drapeau orange, blanc et vert nigérien trône au-dessus de la base, selon l’Agence France-Presse.
Un partenariat discret donc, en dépit des déclarations du président nigérien Mohamed Bazoum, pourtant partisan d’une coopération «totalement décomplexée» avec Paris. «Bazoum est très francophile et il sait que la France est en capacité de l’aider de façon importante, mais il n’est pas tout puissant, et le Niger est le pays de tous les dangers car gangrené par l’islamisme, la pauvreté et une démographie incontrôlable.»
Ce nouveau partenaire central peut aussi compter sur la pièce maîtresse de la lutte antiterroriste, qui permet de neutraliser 40% des combattants djihadistes: les drones américains Reaper, déployés sur la base militaire d’Agadez, deuxième plus grande base des États-Unis en Afrique après Djibouti, où la France est elle aussi présente.
«Toujours est-il que le concept de la présence militaire française au Sahel doit évoluer dans le sens de la discrétion», renchérit Nicolas Normand. «Les autorités locales doivent communiquer seules, tandis que les forces françaises restent en deuxième ligne.» Les drones font partie intégrante de cette stratégie.
Faire face aux menaces
Depuis 2015, les forces djihadistes se sont étendues progressivement dans les pays du golfe de Guinée, situés à la limite de la zone sahélienne, notamment dans des parcs nationaux et zones rurales peuplées de populations musulmanes. Le Bénin et le Togo font l’objet d’attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières. Elles sont attribuées à Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM), un groupe armé lié à Al-Qaïda et formé au Mali.
La France, qui a toujours des éléments déployés au Sénégal, au Gabon et en Côte d’Ivoire, veut intensifier sa coopération dans la sous-région, comme en témoigne la visite d’Emmanuel Macron à Cotonou, au Bénin, le 27 juillet dernier. «Ce que nous voulons faire, c’est bâtir ensemble de manière très concrète la rénovation de la présence française et de ce partenariat en appui, en soutien: formation, équipement et accompagnement», a déclaré le président français.
En outre, un nouvel instrument européen intitulé «facilité européenne pour la paix» va l’aider dans cette tâche. Il permet de financer les aides bilatérales directes et ainsi de financer les salaires, achats d’armes et munitions. «C’est une révolution institutionnelle très importante», affirme Nicolas Normand. «Le mécanisme devrait être appliqué en Afrique de l’Ouest pour renforcer, grâce à des fonds européens, les armées du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire ou encore du Bénin.»
Emmanuel Macron doit, en outre, participer en octobre à une réunion de l’Initiative d’Accra, qui réunit les pays du golfe de Guinée ainsi que le Burkina Faso. Une volonté de coordination pour faire face aux menaces donc, et pour la France une manière de réinventer sa stratégie militaire et politique en Afrique de l’Ouest.
*Le nom a été changé.
Pierre Coudurier — Édité par Natacha Zimmermann